La navette atterrit sur une des plateforme extérieures du palais impérial. Entourée par le ciel de Nirauran et culminant loin au dessus des nuages, la structure donnait le vertige. Le bouclier qui protégeait le palais des attaques arrêtait aussi les puissants vents d'altitudes sans quoi il n'aurait pas été possible de se tenir debout.
Un officier s'avançait le long de la passerelle qui reliait l'aire d'atterrissage au reste du palais, suivit de deux soldats en armure. Mené par Nina Septime et Varig, les occupants de la navette l'attendaient près de leur transporteur.
-Directrice Septime, Chevalier Atorias, soyez les bienvenus au palais impérial, lança l'officier en saluant impeccablement, poing sur le cœur.
Nina Septime lui rendit son salut avec plus de désinvolture, comme pour marquer sa supériorité, à moins que ce ne soit simplement la force de l'habitude. Varig quant à lui avait gardé ses habitudes militaires.
-Merci capitaine, lança la directrice. Le conseil nous attend.
-Bien sûr madame, répondit l'officier en inclinant la tête. Toutefois... Je dois vous informer que les nouvelles mesures de sécurité du palais n'autorisent que deux collaborateurs par visiteur.
-C'est moi qui ai ordonné cette mesure, répondit-elle sur le ton de l'évidence.
Le capitaine croisa les mains dans le dos.
-En effet. Vous devez donc comprendre mieux que personne la nécessité de faire respecter strictement cette directive... Madame. Deux collaborateurs par visiteur, pas plus.
Nina Septime fixa silencieusement l'officier de longues secondes, mais ce dernier ne semblait ni intimidé, ni disposé à changer d'avis. Les militaires thrawniens n'étaient pas réputés pour leur souplesse face aux règlements.
Finalement, elle se tourna vers ses agents et en désigna deux pour l'accompagner. Mash se plaça près de Varig, les mains dans le dos.
-Merci madame, lâcha le capitaine en inclina la tête. Par ici.
Avant de pénétrer dans le palais proprement dit, le groupe franchit une longue passerelle au dessus du vide puis entra dans un sas blindé qui se referma derrière eux. Cette antichambre était sans doute bardée de scanners et de systèmes de défense, et le communicateur de Varig lui signala qu'il venait d'être déconnecté de tous les réseaux.
Le sas intérieur s'ouvrit, révélant deux rangs de soldats qui saluèrent avec un bel ensemble. Tous portaient une armure de combat, ce qui était inhabituel pour un détachement de gardes d'honneur.
Le capitaine guida ses "hôtes" à travers les couloirs du palais, un véritable dédale. À mesure qu'ils s'enfonçaient dans le bâtiment, le décors se faisait plus riche et impressionnant; mais malgré les hauts plafonds, les peintures officielles et l'architecture travaillée, il était impossible de ne pas remarquer les gardes anormalement nombreux. On se serait presque cru sur le front; le palais était en état de siège...
L'officier s'arrêta finalement devant un ascenseur dont la porte finement sculptée reproduisait en relief le sceau impérial et encadré de sentinelles.
-Les autres conseillers vous attends, indiqua le capitaine en saluant à nouveau.
Nina Septime et Varig embarquèrent seuls dans l'ascenseur. Il n'y avait aucun panneau de commande; les portes se refermèrent dès qu'ils furent à bord.
-Des nouvelles mesures de sécurité pour le palais? releva le chevalier alors qu'ils commençaient à s'élever.
-Je vous l'ai dit, répondit la directrice en fixant la porte. Les temps d'incertitude sont propices aux troubles. Le capitaine est exactement ce qu'il nous faut en ce moment: il est incorruptible, obéit aux ordres et préférerait se faire tuer plutôt que d'enfreindre le moindre règlement.
-Combien de ses hommes travaillent pour vous?
Les portes s'ouvrirent tandis que la directrice n'offrait pour toute réponse qu'un sourire sibyllin.
Ils traversèrent un salon luxueux mais désert tandis qu'une haute porte ornée du Y impérial s'ouvrait à leur approche.
Varig s'attendait à trouver une vaste pièce grouillant d'intrigues et de personnages importants, fébriles et inquiet.
Il n'en était rien. La table du haut conseil était prévue pour accueillir une dizaine de membres, mais seuls deux hommes étaient présents dans la pièce, en train d'échanger à voix basse.
Pas une mauvaise surprise en fin de compte estima le chevalier; il reconnut l'amiral Verla sans peine, mais eu plus de mal à identifier le second personnage.
Le Gouverneur de Nirauran, Arol Rmiss, n'était pas très connu. En tant que dirigeant du plus important monde impérial c'était pour ainsi dire le civil le plus gradé de l'Empire; logique qu'il soit là. Toutefois son pouvoir semblait assez limité face à la directrice du BSI et au plus haut gradé survivant de la flotte. Mais après tout, Varig était aussi dans ce cas.
-Vous voilà, lança le gouverneur d'un ton sec. Bien.
Il se dirigea d'un pas décidé vers l'un des fauteuils, déboutonnant la veste de son costume bleu flamboyant avant de s'installer. L'amiral lança un regard indéchiffrable aux nouveaux arrivants avant de s'asseoir à quelques sièges de distance du gouverneur. La directrice Septime se dirigea vers son propre fauteuil sans hâte; Varig hésita un peu et s'assit finalement à égale distance de l'amiral et de la directrice.
-Quelle est la situation sur Terranie? demanda Verla sans préambule.
-Le commandant Frallon est en charge des opérations sur place, répondit Nina Septime. Écoutons ce qu'il peut nous en dire.
Elle pianota devant elle sur un clavier invisible et un hologramme ne tarda pas à se matérialiser au dessus de la table de réunion.
-Vous êtes en ligne avec le conseil commandant, indiqua-t-elle.
Le commandant Frallon attendait manifestement son appel; il se leva sans hâte, arrachant son corps pesant à son siège et salua.
-Les dernières forces pirates de la SOB sur la planète ont été neutralisées, annonça-t-il. Notre flotte de secours est régulièrement renforcée par les vaisseaux de la Triplice et la récupération des survivants sera bientôt achevée. Selon nos relevés, l'armada ennemie a quitté le secteur mais nous maintenons une surveillance constante pour repérer toute nouvelle attaque...
-Et l'Empereur? intervint Rmiss. Qu'en est-il de l'Empereur?
Frallon ne sembla pas s'offusquer d'être ainsi interrompu et répondit avec une froide précision.
-Le vaisseau amiral a été détruit lors de l'explosion du Poing des étoiles. Nous ignorons toujours le statut de l'Empereur.
-Le reste des hauts gradés de la flotte? demanda Verla.
-Nous avons pu confirmer la mort des commandants Quintus et Malarite. Le vaisseau de l'amiral Kress a été détruit en couvrant la retraite de son groupe de combat, il est porté disparu. Le général Scrubs a été gravement blessé lors du bombardement, on ignore encore s'il survivra.
-Merci commandant, lâcha Nina Septime. Poursuivez les opérations et rapportez toute évolution.
Elle fit disparaître l'hologramme d'un geste.
-Alors c'est vrai. L'Empereur est mort, lâcha Rmiss.
-L'Empereur avait prévu la possibilité que l'ennemi s'en prenne directement à son vaisseau, le contredit Nina Septime. Tout porte à croire au contraire qu'il a pu s'éloigner à temps.
-C'est pour le moins optimiste, répliqua sèchement le gouverneur.
Le sourire de la directrice ne vacilla pas, mais ses yeux se plissèrent insensiblement.
-Chevalier Atorias? Vous étiez là-bas, intervint l'amiral Verla avant qu'elle ne réplique à son tour. Quelle est votre opinion?
Le chevalier hésita. Une part de lui avait envie de croire qu'il saurait si l'Empereur était mort grâce à leur lien surnaturel; d'un autre côté c'était tout sauf une science exacte.
-Il a pu se téléporter, lâcha-t-il avec circonspection. Mais le fait qu'il n'ait donné aucun signe de vie depuis est inquiétant.
-Que l'Empereur soit vivant ou mort n'est pas à l'ordre du jour de ce conseil, intervint la directrice Septime. La guerre se poursuit, et notre peuple est plus menacé que jamais. Nous devons agir pour défendre l'Empire!
-Et j'imagine que vous avez une idée bien précise sur la conduite à tenir? intervint Rmiss d'un ton rogue.
Son interlocutrice lui sourit, feignant d'ignorer le sous entendu.
-Annoncer que l'Empereur est porté disparu au combat sèmerait la panique dans la population; une doublure numérique suffira à rassurer tout le monde. Mes agents procèdent déjà à des arrestations préventives parmi les agitateurs...
-Sans la flotte la situation militaire va vite devenir critique, releva Verla, soucieux.
-Mais pas tout de suite, tempéra la directrice. Piepie a gagné la bataille de Terranie, mais ça lui a coûté près de la moitié de son armada. Il lui faudra du temps pour combler ses pertes et repasser à l'offensive. Les défenses des mondes impériaux appuyées par ce qui reste de la flotte devraient suffire à tenir notre espace le temps de reconstituer nos propres forces à un niveau suffisant...
-Un niveau suffisant pour quoi!? explosa Rmiss. Vous parlez sérieusement de rebâtir la flotte et de reprendre la guerre après le désastre de Terranie!?
-Si vous avez une autre ligne d'action à proposer, gouverneur, je vous écoute.
L'intéressé hocha fortement la tête.
-Allouer les crédits de l'effort de guerre à la défense planétaire. Demander l'aide de nos alliés pour assurer notre protection en attendant de négocier une trêve, déclama-t-il fermement.
-Quelle raison au juste aurait Piepie de nous accorder une trêve, gouverneur? demanda la directrice.
-Vous l'avez dit vous même. Il a perdu la moitié de sa flotte!
L'amiral Verla toussota.
-Il est vrai que la négociation n'a jamais bien fonctionné avec les pirates de la SOB, intervint-t-il d'un ton mesuré. Toutefois le gouverneur Rmiss a raison; il faudrait plus d'un an pour espérer remplacer nos pertes et l'ennemi aura eu le temps de construire bien plus de vaisseaux. Sans compter que notre économie ne tiendra pas si on lui impose un nouvel effort de réarmement massif.
-Je doute qu'elle s'en sorte mieux sous des bombardements massifs, répliqua froidement la directrice. Et la population ne nous soutiendra pas non plus. Sans flotte, nous serons vite à la merci des représailles pirates et si les raids réussissent, je vous garantis que des soulèvements auront lieu.
-C'est pour ça qu'on doit négocier, martela le gouverneur. Une trêve...
-Nous n'avons rien pour négocier! le coupa la directrice. Piepie ne verrait dans la diplomatie qu'une marque de faiblesse et une invitation à attaquer.
Varig assistait à l'échange, sonné par l'ampleur de ce qui était en train de se discuter. Des vies, des milliards de vies, étaient suspendues à un débat qui commençait furieusement à ressembler à une querelle de pouvoir entre Arol Rmiss et Nina Septime. C'était pour assister à ça qu'on l'avait rappelé du front?
-Au mieux il nous faudra plusieurs semaines pour réparer les vaisseaux endommagés à Terranie, intervint Verla, pensif. Je ne crois pas qu'il soit très sage de se disputer maintenant sur notre ligne d'action à long terme.
-L'amiral a raison, appuya Varig avec reconnaissance. Ce n'est pas le moment de se diviser! Nous devons assurer la défense des mondes impériaux et la recherche de l'Empereur. Ce sont nos priorités.
La directrice Septime acquiesça de la tête, tandis que Rmiss se laissait aller en arrière dans son fauteuil.
-J'en vois une autre, chevalier Atorias, lâcha-t-il. Voyez vous, ce conseil a été rassemblé en urgence pour prendre des mesures nécessaires et immédiates. Mais il n'est pas qualifié pour assurer la direction de l'Empire.
-Qu'entendez vous exactement par là gouverneur? demanda calmement Nina Septime.
L'intéressé fit un geste pour englober la pièce.
-Regardez cette table. Il y a plus de sièges vides que de personnes pour les occuper. Si ce conseil doit assurer la direction de l'Empire, il doit être composé de suffisamment de personnes qualifiées...
-Et qui seraient ces "personnes qualifiées" d'après vous? intervint l'amiral Verla.
Le gouverneur croisa ses mains devant lui.
-Je vous propose de convoquer les dirigeants impériaux ici au palais: gouverneurs, hauts gradés de la flotte, des troupes de choc et des forces de défense, administrateurs... Tout ceux qui comptent. Parmi eux nous pourrons trouver les hommes et les femmes aptes à diriger notre Empire.
-En l'absence de l'Empereur, précisa Nina Septime.
-Bien entendu, répondit Rmiss en souriant. Ce conseil n'agit qu'au nom de sa majesté impériale.
La réunion du conseil se prolongea encore près d'une demi-heure, n'aboutissant qu'à des mesures de bon sens consensuelles. La grosse machine impériale allait continuer de tourner, tout simplement.
Une réception serait organisée prochainement pour accueillir les dirigeants de l'Empire avant de choisir ceux qui siégeraient au conseil.
L'amiral Verla fut le premier à se lever et les autres conseillers l'imitèrent.
-Messieurs, madame la directrice, de nombreux rapports m'attendent, lança-t-il en saluant.
Varig et Nina Septime lui rendirent son salut, alors que Rmiss se contentait d'un signe de tête.
-Beaucoup de travail m'attend aussi, lança le gouverneur avant de contourner la table.
Il ralentit en passant près de Varig comme pour le jauger avant de quitter la salle.
Une fois les portes refermées, le chevalier se laissa tomber dans son fauteuil.
-Qu'est ce qui vient de se passer exactement? demanda-t-il.
-Les préliminaires, répondit Nina Septime en se rasseyant avec un sourire. On s'évalue, on se prépare mais sans aller trop loin.
La métaphore aurait peut-être été amusante si le sujet n'avait pas été aussi critique.
-Se préparer pour quoi? demanda-t-il. Rmiss ne semble pas beaucoup vous aimer.
-Oh, rien de personnel, c'est purement politique. Il pense rallier des soutiens en prônant des négociations de paix avec la SOB; de fait plusieurs autres gouverneurs et hauts gradés de l'armée seraient prêts à l'écouter. C'est pour cela qu'il veut réunir les responsables impériaux sur Nirauran et étendre le conseil. De cette façon il pourra constituer une puissante faction favorable à sa politique.
-Alors pourquoi avoir accepté cette réunion?
Elle sourit.
-Rassembler les dirigeants sur Nirauran permettra à tous de constater que l'Empire reste solidement uni malgré la défaite de Terranie et la disparition de l'Empereur. De plus beaucoup sont conscients que la poursuite de la guerre est inévitable.
-Alors le conseil va se diviser entre ceux pour ou contre la guerre, déduisit Varig. Les partisans de Rmiss ou les vôtres.
Insensible à sa dernière accusation, la directrice croisa les mains devant elle. Son sourire n'avait pas vacillé.
-Je n'ai pas l'intention de risquer une guerre civile en séparant l'Empire en deux camps, affirma-t-elle avant de se lever, mettant fin à la discussion.
Cette dernière affirmation était loin de rassurer le chevalier.
Si Nina Septime voulait simplifier l'équation, elle avait des moyens radicaux à sa disposition pour y parvenir... Arrestation, ou plus probablement, meurtre préventif. Le BSI n'en était pas à son coup d'essai en la matière.
Mais si elle agissait seule elle risquait de liguer les autres gradés contre elle; voilà pourquoi elle voulait que cette réunion des dirigeants. Pour s'assurer du soutien ou de la passivité de suffisamment d'administrateurs. Mais les pacifistes en avaient sûrement conscience et devaient préparer leur propre plan d'action pour la neutraliser, d'où la sécurité disproportionnée dont elle s'entourait.
En étaient ils vraiment là, au bord d'une lutte de pouvoir sanglante? Et quel rôle attendait-on qu'il joue dans tout cela?