J'aperçois le sourire de Judy qui m'attend les bras croisés sur le parking de la gare.
Je lui fais un signe de la main et elle me le rend avec un enthousiasme revigorant.
Lorsque j'arrive à sa hauteur elle s'approche et m'enlace vivement comme si cela faisait trois semaines que je ne l'avais pas vu.
Je lui tapote gentiment le dos ne sachant que faire d'autre.
Parfois l'attitude de Judy me surprend, j'en viens même à oublier que je ne pouvais pas la supporter lorsque j'ai débarqué dans cette ville.
Elle a tellement changé que des fois je ne la reconnais pas.
La relation avec sa mère s'est beaucoup améliorée et je crois que son père fait des efforts pour passer plus de temps avec elle aussi.
Elle me fait signe de la suivre.
Je remarque alors que nous quittons le parking je l'interroge du regard.
« — Un ami nous attend, c'est lui qui m'a emmenée. » M'explique-t-elle avant de s'approcher d'un van aux couleurs extravagantes recouvert de tag en tout genre ainsi que de symboles que je n'arrive pas à reconnaître.
Judy me jette un regard puis frappe contre la vitre.
Un homme avec des dreadlocks et des lunettes aux verres rouges baisse la vitre manuellement.
Son véhicule ne semble pas être tout récent mais il colle parfaitement avec le propriétaire.
L'homme en question s'accoude sur la fenêtre, un sourire vissé aux lèvres et une attitude très calme.
« — Vous avez fait vite ! » S'exclame-t-il le moins du monde gêné par ma présence.
Il disparait ensuite et réapparait quelques secondes plus tard lorsqu'il ouvre la porte coulissante à l'arrière.
« — Montez. » Nous informe-t-il avant de reprendre place à l'avant.
Judy grimpe à l'intérieur et s'installe confortablement aux côtés de son ami.
Je la suis puis referme derrière moi la porte.
« — Je suis désolé il n'y a que deux sièges à l'avant. Ca te dérange de rester derrière. Je les ai enlevés pour la soirée d'hier et j'ai oublié de les remettre. » M'indique-t-il.
Je hoche la tête.
« — Pas de soucis, je vais m'accrocher à la porte. » Lui répondais-je avant de lui adresser un sourire poli.
Il me fixe quelques instants puis se remet face à la route avant de démarrer.
Je n'ai jamais rencontré les amis de Judy, enfin jusqu'à maintenant.
A vrai dire je ne pensais pas qu'elle en avait, même si elle a changé pour moi elle est restée à mes yeux la fille associable et étrange qui vit dans son propre monde mais apparemment elle a trouvé des personnes prêtes à partager son monde.
Son ami nous dépose plutôt rapidement chez elle et je le suspecte d'avoir légèrement dépassé la vitesse maximale autorisée mais je ne dis rien.
Judy échange quelques mots avec son ami puis il redémarre et le bruit de son van disparait rapidement.
« — Alors raconte-moi. Tu ne m'as rien dit depuis que tu m'as appelé avant hier. » Me dit-elle en ouvrant la porte d'entrée.
Je lui souris sachant pertinemment qu'elle allait demander les détails de mon court séjour.
Sa mère nous salue rapidement et retourne s'enfermer dans sa cuisine alors que nous montons dans la chambre de Judy.
Je m'installe confortablement sur son lit et elle fait de même avant de me fixer avec insistance jusqu'à ce que je craque.
Je soupire et je peux la voir sourire satisfaite que son coup de pression ait marché.
« — Après t'avoir appelé Leith est venu. » Lui annonçais-je.
Elle écarquille ses yeux et je manque d'éclater de rire en voyant l'expression qu'elle arbore.
« — J'espère que tu lui as foutu une claque. » Me répond-elle rapidement l'espoir plein les yeux.
Je secoue ma tête négativement.
« — Je lui ai fermé la porte au nez et il a insisté. Il est revenu. » Continuais-je.
Judy lève les yeux au ciel comme si elle vivait le moment que je lui raconte.
« — Je suis allée au restaurant avec lui. » Lui rapportais-je en grimaçant.
Je sais très bien ce qu'elle pense de Leith.
Elle doit sûrement me trouver idiote pour revenir le voir et tomber sur lui en train d'embrasser une fille mais retomber dans le filet une troisième fois.
Mais le problème c'est qu'elle ne peut pas comprendre. Judy est plutôt directe et dans un sens elle me fait un peu penser à Jane et sa façon de vouloir à tout prix m'éloigner de son frère.
Pour elle c'est juste idiot et naïf de lui pardonner, elle ne croit pas en la deuxième chance et ne parlons même pas de la troisième.
Dans un sens je la comprends mais je ne peux simplement pas m'empêcher de regarder au-delà des actions de Leith.
Certes il m'a menti pour le pari mais quand je me mets à sa place j'aurais sûrement fait la même chose pour Nate, mon frère.
Je peux lui en vouloir autant que je veux, le mal est fait et en réalité je comprends totalement son agissement mais ce qu'il s'est passé il y a quelques jours n'était pas sous la contrainte.
Il n'avait aucune raison valable de céder à la tentation et il l'a fait.
Traiter moi d'idiote pour cela mais j'ai décidé de lui laisser le bénéfice du doute.
Je me mets à sa place et je sais à quel point l'alcool peut être dévastateur.
« — Pourquoi tu as fait ça ? » Me demande Judy stupéfaite me sortant de mes pensées.
Je relève ma tête vers elle pour découvrir son visage déformé par la surprise et la perplexité.
« — J'ai voulu voir s'il était sincère. » Dis-je bêtement en sachant que ces mots n'ont rien de profonds, comme si c'était un simple espoir d'une fille follement amoureuse et naïve.
Je vois que Judy essaye de se contenir.
« — Ecoute, je ne veux pas que tu essayes de me comprendre, je sais que tu aurais sûrement tourné la page depuis longtemps mais je ne peux pas et ce n'est pas parce que j'ai des sentiments pour lui beaucoup trop important. Je ne peux pas l'expliquer mais ... il me rend vivante c'est tout. Quand il est avec moi j'ai l'impression d'avoir trouvé ma place. Je suis perdue comme la plupart des adolescents de notre âge mais Leith est la seule certitude dans ma vie, c'est mon seul point de repère. » Lui expliquais-je plus profondément en espérant qu'elle comprenne un peu mieux mon ressenti.
Judy semble réfléchir à ce que je lui dis.
Elle fait des efforts pour essayer de me comprendre et lorsqu'elle repose son regard sur moi je sais qu'elle s'est faite son opinion.
« — Comment sais-tu qu'il ne va pas recommencer ? » Me questionne-t-elle.
« — Je le sais c'est tout. » Répondais-je bêtement en sachant pertinemment que je suis loin d'être convaincante.
Judy lâche un rire amer puis se relève de son lit.
« — Je n'ai rien à te dire sur ce que tu es censée faire Hailey mais si je vois que tu vas dans la mauvaise direction je serais la première à te le faire remarquer. » Me prévient-elle avant de se pencher sous son lit pour attraper son eternel paquet de clope.
Elle me le tend mais je refuse.
Elle fait brûler l'extrémité du cylindre puis prend une taffe avant de fermer les yeux.
Je la fixe faire ne sachant comment réagir face à ces mots.
Au moins je sais qu'elle ne compte pas m'empêcher d'agir sans avoir la preuve vivante que Leith n'est pas bon pour moi.
Contrairement à Jane qui fonce tête baissé sans évaluer la situation.
Je pense qu'il faut que Leith lui dise la vérité à propos de pari, elle ne connait que la moitié de l'histoire.
Alors que je regarde Judy se détruire progressivement les poumons sur son lit, mes pensées se tournent vers Paris.
Nous ne nous sommes pas quittés dans les meilleures conditions qui puissent exister.
Je suis allée lui parler de son problème de boissons et elle n'a pas reçu mes remarques avec joie et reconnaissance.
Je m'attendais à une telle réaction de sa part mais j'espère que cela a eu l'impact souhaitée.
Même si je ne partage plus mon quotidien avec ces personnes et que je ne suis pas très tournée ami généralement je ne peux m'empêcher de m'inquiéter pour Paris.
Elle est plus jeune et c'est peut-être l'instinct protecteur de mon frère qui a déteint sur moi mais je veux la préserver des mauvaises choses du monde.
Je comprends qu'elle noie son chagrin dans l'alcool, qu'elle ne veut plus ressentir cette vive douleur dans sa poitrine mais il ne faut pas fuir mais se battre.
C'est bien pour ça que j'ai accepté d'écouter Leith, j'ai voulu me battre contre le problème pour trouver la solution.
Je peux être pessimiste à en chier des moutons mais je peux aussi être la plus positive sur Terre. Les deux opposés réunis dans un seul corps et quand l'un prend l'autre sur le dessus, je ne fais pas les choses à moitié.
Je compte bien garder un œil sur Paris même si je suis toujours en Floride et je compte bien régler les choses avec Jane, j'attends simplement que Leith me rejoigne en Floride pour lui en parler.
« — Leith va étudier dans l'université à 10 minutes du lycée. » Annonçais-je subitement à Judy qui manque de s'étouffer avec sa cigarette.
Elle tapote sur sa poitrine pour se remettre de ces émotions puis déglutit.
« — Vraiment ? Je vais donc avoir la chance de rencontrer le fameux Leith. » Me répond-elle sarcastiquement.
« — Tu ne l'aimes pas, hein ? » Lui demandais-je en arquant un sourcil.
Elle hausse les épaules.
« — On verra bien mais il n'est pas dans mon top 5 on va dire. » Répond-elle avant d'aspirer une bouffée de nicotine.
Je détourne le regard et ne peux m'empêcher de ressentir une certaine excitation à l'idée qu'il vienne ici.
Il m'a dit qu'il arrivera vers la fin du mois et même si notre relation a connu des jours meilleurs je n'arrive pas à cacher cette impatience qui grandit chaque jour en moi.
|Point de vue de Leith|
Je referme mon sac plein de vêtements et le jette avec le reste contre ma porte de chambre.
Je me penche pour vérifier que je n'ai rien oublié sous mon lit.
Quelqu'un essaye d'ouvrir la porte de ma chambre et s'énerve en remarquant que mes sacs l'empêchent de rentrer.
Je me dirige vers cette même porte et pousse les sacs de côté pour laisser mon meilleur ami envahir mon espace privé.
Il balaie la pièce du regard puis se tourne vers moi.
« — Quand tu as dis que tu partais, je m'attendais à ce que cela soit à la fin des grandes vacances. » Me confie-t-il en constatant que ma chambre est pratiquement vide.
Je hausse mes épaules ne sachant quoi répondre.
Quand Hailey est partie, j'ai décidé que c'était le moment de leur annoncer que je partais en Floride pour la rentrée.
Ils n'ont pas tous été ravi par la nouvelle, surtout ma sœur.
Mon père était déjà au courant mais je lui ai demandé de garder le secret. Je savais bien que Jane ne serait pas ravie de la nouvelle.
Tout simplement parce qu'elle ne veut pas qu'on soit séparé, nous avons passé notre enfance collés l'un à l'autre, nous fréquentons les mêmes amis depuis des années maintenant. Mais malheureusement il y a une deuxième raison à son refus de me voir partir.
Hailey.
Elle sait très bien que c'est la raison principale de mon départ, personne n'est dupe mais personne n'a voulu le mentionner. Ils m'ont simplement félicité mais Jane n'était pas d'humeur à fêter mon départ.
Depuis ma grande annonce elle ne parle plus vraiment et je dois dire que cela commence à être pesant.
Mais je garde en tête la raison de mon départ et cela suffit pour faire oublier tous parasites.
Cela fait une semaine que Hailey est partie et depuis je recherche activement un logement pour pouvoir partir au plus vite.
Je lui ai dit que je comptais venir à la fin du mois mais je vais faire mon possible pour la rejoindre le plus rapidement.
Les logements étudiants ne sont pas encore disponibles pour les nouveaux étudiants, je me suis donc rabattu sur des foyers ou des colocations.
Je n'ai pour le moment aucune rentrée d'argent, mais j'ai remarqué que les bars du coin recherchaient des serveurs lorsque je suis allé voir Hailey il y a quelques mois.
J'espère simplement que ces emplois n'ont pas déjà été pourvus.
« — Tu sais, ça va être bizarre de ne plus avoir d'acolyte pour pisser dans le jardin du voisin après une soirée arrosée. » Me dit soudainement Travis.
Je relève ma tête vers lui.
« — Tu vas me manquer aussi. » Rétorquais-je en lui tapotant l'épaule.
J'attrape quelques trophées qui trônent sur mon bureau et les mets dans un carton.
Ils n'ont pas de valeur, ce sont des trophées que j'ai gagné quand je pratiquais énormément de sport vers mes 12 ans.
J'ai arrêté, trouvant cette soif de victoire et de compétition beaucoup trop épuisante et nocive.
Je tends le carton à Travis qui l'attrape d'un air interrogatif.
« — Je te les donne, tu les voulais depuis longtemps et il prenne la poussière alors prend les. » Lui expliquais-je avant de lui lancer un sourire amical.
« — Sérieux ? » Me demande-t-il surprise.
Je hoche la tête.
Il me remercie à plusieurs reprises.
Je ne sais pas pourquoi il aime tant ces petites babioles mais si ça le rend heureux c'est le principal.
« — Tu penses que les choses vont se rétablir entre Hailey et toi ? » Me questionne-t-il.
Je hausse les épaules.
Je n'ai pas envie de m'emballer et de m'aventurer dans des prédictions si celle-ci s'avère être fausse je vais être déçu et je déteste les fausses joies.
« — Tu comptes partir quand ? »
« — Dès que je trouve un logement et un travail. » Lui expliquais-je.
Travis se penche et attrape la canette de bière qui traine sur ma table de nuit.
Il l'ouvre puis prend une gorgée.
« — Tu te rappelles ce qu'on faisait il y a pile un an ? » Me demande-t-il.
Je me tourne vers lui pour le pousser à me donner la réponse.
« — Je venais d'avoir ma voiture, et on arrêtait pas de trainer devant les boites pour essayer d'attraper des filles. » Me rappelle-t-il.
Un sourire prend naissance sur mon visage à l'évocation de ce souvenir.
« — Je m'en rappelle, on était tellement con. » Commentais-je.
Il acquiesce.
« — Et maintenant te voilà prêt à partir pour aller reconquérir le cœur de Hailey. » Constate-t-il.
Je lui jette un regard en biais alors que je referme un carton avec du scotch.
« — Si on m'avait dit que dans un an ce serait toi qui courrait après une fille j'aurais frappé la personne. Comme quoi le futur nous réserve parfois des surprises. » Continue Travis avant de reprendre une gorgée de bière.
« — Et si on m'avait dit que tu coucherais avec ma sœur, je t'aurais assassiné. » Ajoutais-je avant de rire.
« — Cela relève de la vie privée monsieur, je fréquente votre sœur, voilà tout. » Dit-il en essayant de prendre un air sincère à la limite de la constipation.
Je lève les yeux au ciel.
« — Aller, passe-moi ça. » Lui dis-je avant de lui arracher la bière des mains et d'en boire à mon tour.
Il va vraiment me manquer ce con.