Dans le chapitre précédent :
Je fermai les yeux sachant où il voulait en venir. Deux ans auparavant, un tragique accident avait causé la mort de mon mari. Ou plutôt du mari de la vraie Ambre, celle dont je possédais le corps. Et c'était aussi à cette même date que la vraie Ambre était morte et que je l'avais remplacé.
D'après ce que j'avais compris, c'était un mariage arrangé, mais au bout de quelques mois, les deux mariés s'étaient aimés. Finalement, peut-être que c'était une bonne chose qu'elle soit morte aussi. Elle et son mari. Ensemble.
Étant dans mes songes, Alexandre vint me secouer les épaules avec douceur, inquiet de mon attitude.
« Je suis désolé, déclara-t-il.
– Ce n'est rien. J'irai à ce bal, si c'est ce que tu veux, » déclarai-je à sa stupéfaction.
Satisfait, il sourit, puis repartit à ses occupations seigneuriales.
Il ne devait ignorer ce qu'était vraiment un bal, comme la plupart des personnes de cette époque. Ce fait me prouva que mon compagnon de voyage ou un autre couple de voyageurs avait organisé cet événement. Je devais absolument m'y rendre. Peut être retrouverai-je mon vrai frère.
***
Je souris toute seule en repensant à ce bal. Toutes les jeunes filles à marier devait s'y rendre. Cela ressemblait beaucoup, voire un peu trop au conte de Cendrillon.
Je soupirai et commençai à me préparer pour cet événement. Je n'étais certes plus une jeune fille, j'avais vingt-deux ans. Un âge assez avancé pour les standards de cette époque. J'étais redevable à mon frère qui avait attendu avant de me remarier. Malgré ses allures de seigneur implacable, il était conciliant avec sa famille.
Mais, cette époque et ses mœurs commençaient à me faire perdre la tête. Dès que j'étais près d'un homme, que ce soit un palefrenier ou un chevalier, je devais me faire admirer des pieds à la tête. Je ne comptais coucher avec aucune de ces personnes. Parce qu'il fallait que je l'attende. Lui. Un homme qui provoquerait une étincelle dans mon cœur. Je savais qu'il était là, quelque part dans ce monde, et je devais le retrouver. C'était ma mission. Aider le héros que je soupçonnais être mon frère et retrouver mon amant pour passer le reste de ma vie à ses côtés.
Pour l'occasion, j'étais habillée d'une magnifique robe bustier de couleur beige qui se mariait bien avec mes cheveux blonds rehaussés en un chignon. Ici, les femmes portaient souvent de longues robes cachant leurs jambes mais la poitrine était bien mise en avant. Je n'aimais pas ce genre de vêtements. En fait, je n'aimais pas les robes longues. Difficile de bouger avec rapidité. Les pantalons me manquaient.
Je soufflai mon exaspération puis, me regardai une dernière fois dans le long miroir. Je remis en place mon masque vénitien en forme de papillon cachant le haut de mon visage. Seuls mes yeux brun clair et mes lèvres roses pouvaient être vus. Et cela, pour tout le monde, car c'était un un bal masqué et c'était pour cela, que j'avais accepté de m'y rendre sans grande protestation. Je pourrais passer inaperçu tout en parlant à mon vrai frère Onyx et compagnon de voyage s'il était présent.
Toujours debout, une main se posa sur la mienne. Je relevai les yeux et vis Elena. Cette seconde mère me sourit tendrement. Elle connaissait mon opposition à toute forme d'événements mondains de l'Autre côté.
« Je sais que vous ne voulez pas aller à ce bal, mais c'est une bonne occasion pour trouver un bon parti, dit-elle, posément.
- Non, je vais aller à ce bal, parce que je suis une veuve et que mon frère y insiste, mais je ne rechercherai pas un homme, Elena. »
Elle soupira sachant que je ne changerais pas d'avis. Alexandre vint me souhaiter un bon voyage et je savais qu'il espérait secrètement que je trouve un homme qui serait susceptible de m'épouser malgré mon rang de veuve. Je le remerciai et lui dis de s'occuper de sa femme et de ses enfants au lieu de se pavaner sur le trône, puis je sortis du château.
Elena m'accompagna jusqu'à la calèche tiré par des destriers. Des cheveux habituellement utilisés pour les tournois. J'étais étonnée que l'on nous envoie ce genre-ci. Je regardai l'homme vêtu d'une armure assis à l'avant de la calèche. On ne voyait que ses yeux à travers son foulard couvrant sa mâchoire et son bandeau cachant ses cheveux. Il regardait droit devant lui sans ciller. Son attitude ne m'inspirait pas confiance. Cependant Elena m'aida à monter en souriant, puis le transport m'emmena en direction de ce château érigé non loin de notre seigneurie.
Après quelques heures sans grandes embûches ou rencontre avec des brigands, ce qui était assez étonnant, nous franchîmes les remparts de la bâtisse en question. La place était bruyante, mais un passage avait été aménagé pour que nous puissions conduire sans difficulté.
Nous entrâmes dans le palace. Beaucoup de personnes étaient présentes. Surtout des femmes. Une vague de gloussements me percuta de plein fouet. Mes tympans allaient exploser, c'était sûr.
La salle était telle une salle de réception dans les films traitants de la Renaissance. Lumineux et grand. J'étais toujours stupéfaite de trouver deux différentes époques dans ce même monde. Les châteaux médiévaux côtoyaient sans gêne les fêtes mondaines de la pré-Renaissance. Après avoir lu de nombreux livres sur l'Histoire, je m'étais rendue compte qu'à cause d'une différence de mœurs, qu'une partie était restée dans une société médiévale, tandis qu'une autre, avait choisi d'avancer grâce aux grandes découvertes vers une Renaissance similaire à la Terre.
En marchant sans but, je m'aperçus que les quelques hommes lorgnaient sur mon décolleté. Je repérai vite ces personnes de haute famille qui était venu accompagner les jeunes femmes. Je devais éviter d'accepter de danser avec eux s'ils me le demandaient.
Les heures passèrent entre musiques lentes et rapides. Les musiciens épuisés, continuaient tout de même à jouer de leur instrument sans broncher.
J'avais même accepté de danser avec un jeune homme qui ne semblait pas dans son élément. Il n'avait clairement pas sa place ici. Son père avait dû le forcer à venir pour trouver de gentes dames. Je pense que plusieurs de ces hommes étaient présents pour cela. Aussi, quand il me demanda de danser avec lui, en faisant une magnifique révérence, j'acceptai. Je pouvais entendre les ricanements d'hommes s'arrêter net face à mon acceptation.
Le jeune homme aux cheveux bruns était assez grand, malgré ses épaules voûtées vers l'avant. S'il avait un peu plus de confiance en lui, j'étais sûre qu'il trouverait vite une femme qui s'intéresserait à lui. Et les autres hommes le lâcheraient un peu et lui accorderaient le respect qui lui était dû.
Nous commençâmes par danser au milieu des autres. Il avait du mal à trouver une cadence appropriée.
« Détendez-vous, lui chuchotai-je.
- Je suis désolé, plaida-t-il de manière défaitiste.
- Vous n'avez pas à l'être, répondis-je en souriant tandis que ses pas devinrent plus assurés et stables.
- Puis-je vous poser une question ?
- Bien sûr.
- Pourquoi avez-vous accepté de danser avec moi ? »
La danse était maintenant finie. Nous nous arrêtâmes, puis il me raccompagna jusqu'à une chaise où je m'assis de manière élégante ou que je trouvais élégante.
« Vous êtes un homme bon. Si vous aviez un peu plus d'assurance, je suis sûre que nombre de femmes serait déjà à vos pieds, » lui avouai-je. « Est-ce votre père qui nous regarde depuis tout à l'heure ? »
Le jeune homme tourna un instant sa tête, puis acquiesça la tête baissée.
« Ne vous laissez pas marcher par les pieds par cet homme. Il a beau être votre père, il n'est pas vous. Il ne vous connaît pas. Peut-être y a-t-il même une jeune femme qui vous aime chez vous, dans votre demeure. Seulement vous ne devez pas la voir. Mais je suis sûre qu'il y a une ravissante femme qui voit l'homme que vous êtes, Duc. »
Je lui souris et il me regarda abasourdi par mes propos, avant de prendre un air sérieux. Sourcils fronçés, il était maintenant parti dans ses réflexions. Au final, peut-être que j'avais tort et qu'il n'y avait aucune jeune femme qui l'aimait, mais en général, c'était comme ça dans les histoires d'amour. Il y a toujours une femme qui aimait un homme doux comme lui en secret. Donc, j'espérai avoir raison.
« Merci, ma dame.
- De rien, » déclarai-je en souriant.
Je laissai l'homme à ses réflexions, pour recommencer ma marche. Quelques hommes eurent l'audace de demander une danse, mais je les refusai.
Voulant prendre l'air, je montai les escaliers jusqu'à me retrouver en haut de la tour. Je refermai les pans de ma cape noire autour de moi quand le vent souffla. Je rassurai les chevaliers postés en prétextant que je devais prendre l'air pour éviter un malaise.
Du haut de cette tour de garde, je pouvais apercevoir tous les alentours du château. De la beauté à perte de vue. Que de la verdure à perte de vue.
Soudain, je sentis une présence derrière moi. Je me retournai vivement et aperçus un autre homme. Grand, le genre de gabarit qui pourrait me tuer sans problème. Le vent décoiffait ses cheveux aussi noirs qu'une nuit sans étoile. Et ses yeux. Ses miroirs de la vie, étaient, ce qui détonnaient le plus sur son visage caché par le masque. Des yeux noirs. Ou plutôt que je voyais comme la couleur de l'encre.
Je me forçai à regarder ensuite la porte par laquelle j'étais arrivée sur ce toit. Les gardes qui était présents quelques minutes plus tôt avaient disparu.
« Je ne vous ferais pas de mal, » prononça la voix basse de cet étranger.
Je hochai la tête pour lui montrer que j'avais compris, mais aussi parce qu'il était dur de sortir un mot de ma bouche face à cet homme qui semblait tout droit sorti d'un film.
Je retournai à la contemplation de l'horizon, mais la présence de cet étranger me gênait. J'avais l'impression qu'il n'était pas humain. Ce qui était bien possible. Mais je n'avais, pour l'instant, repéré aucune trace de magie dans ce monde-ci. Peut-être mettais-je trompée ?
« Vous n'allez pas danser ? demandai-je pour qu'il parte.
- M'accorderiez-vous cette danse ?
- Il n'y a même pas de musique, » dis-je, en le regardant avec méfiance.
Il fit une révérence et me tendit sa paume. Surprise, je mis néanmoins ma main dans la sienne. Une immense chaleur traversait mon corps. J'essayai de faire abstraction de cette soudaine douceur et le laissai mener la danse.
Il était doué. Très doué même. A force de tourner, nos deux corps se rapprochèrent de plus en plus. Collés l'un à l'autre, je pouvais sentir ses muscles bouger. Et, c'était génial. Cela faisait plusieurs années que je n'avais pas eu de rapports sexuels alors si je pouvais coucher avec un homme pareil, je serais aux anges, c'était sûre. Mais c'était mal vu dans cette société. Il fallait que j'attende de me marier... encore.
Il s'arrêta me figeant aussi. J'allai lui demander pourquoi cette soudaine rupture dans le rythme. Mais en levant ma tête vers son visage, nos lèvres se frôlèrent. Une tension parcourut tout mon corps. Nos souffles se mélangèrent, puis il m'embrassa. Au début, ses lèvres se mouvèrent doucement contre les miennes mais bien vite, le baiser devint plus rapide et passionné. Il me souleva et m'installa sur les remparts. Trop concentrée sur ses baisers, je ne me rendis pas compte que derrière moi se trouvait un immense fossé et les derniers rayons de soleil qui me caressaient.
Il enleva ensuite mon masque pour mieux m'embrasser. Je le laissai faire, voulant simplement le goût de sa langue dans ma bouche. Mes mains jouèrent avec ses cheveux si doux. Il traça une ligne de baisers chauds jusque dans mon cou. Il continua même jusqu'au creux de mes seins. Je gémis de plaisir partout où sa bouche passait, partout où sa main caressait.
Il souleva le bas de ma robe et dévoilait ma jambe au grand air. Il la caressait tout en m'embrassant de nouveau. Sa main remonta tout doucement, elle traçait des cercles tentants sur ma cuisse. Je me collai un peu plus à lui. A son corps. Sa chaleur était tellement enivrante et chaude. J'en voulais plus. Juste plus.
Mais je repensai où j'étais et cette réalité brisa toute la magnifique scène.
« Ce n'est pas convenable de le faire ici, » m'exprimai-je, essoufflée en le repoussant légèrement.
Il comprit et traça simplement mes lèvres du bout de ses doigts.
« Vous êtes magnifique. »
« Qui êtes-vous ? » demandai-je en essayant de lui enlever son masque, mais il prit mes mains dans les siennes et m'embrassa une dernière fois avec passion.
Ses bras m'entourèrent et je soupirai de plaisir. Que m'arrivait-il ? Cet homme était tellement... beaucoup de choses que je ne pouvais pas décrire en de simples mots.
"A bientôt," chuchota-t-il au creux de mon oreille.
Je me tendis. Je ne voulais pas qu'il s'en aille maintenant. Face à ma panique, il déposa un baiser sur mon cou ce qui me détendit, puis il remit mon masque sur mon visage rougi par les baisers.
Ses yeux d'encre me transpercèrent une dernière fois avant de s'en aller. L'air glacial me percuta. Il m'avait laissée seule en haut d'une tour. Après une magnifique embrassade.
« Bordel, » murmurai-je encore abasourdie par cet échange. Ce n'était pas normal. Ressentir autant d'émotions. M'avait-il envoûté ? Je n'avais pourtant déceler aucune trace de magie depuis que j'étais dans ce monde.
Je secouai la tête en riant, puis repartis en bas rejoindre les autres convives.
La soirée passa sans réel changement. Des chuchotements et gloussements de la part des femmes, tandis que les quelques hommes s'animaient de vive voix avec de grands gestes pour accentuer leurs récits épiques. Je ne revis pas mon mystérieux homme de la soirée.
Mais, en posant un pied sur les marches me menant à l'intérieur de la calèche, je pouvais sentir quelqu'un m'observer. Je tournai la tête, pour ne rien voir dans les buissons et arbres qui m'entouraient. Je secouai la tête puis montai. Quand nous partîmes de cette terre, je ne pus m'empêcher d'avoir le cœur serré. Je me sentais terriblement seule. Et vide.
Cet homme. C'était lui mon amant. Celui avec qui je devais passer le reste de cette vie. Je ne savais pas comment je le savais, mais c'était lui, ou peut-être voulais-je que ce soit lui.
Déçue, je regardai l'astre blanc se moquant de moi. Cette lune qui avait tout vu, me contemplait de toute sa splendeur dans son lit étoilé. Parfois, je m'imaginais à ses côtés pour voir, contempler, admirer. Et contrairement à elle, je pourrais aidé ceux qui auront besoin de quelqu'un. Peut-être que je le l'avais déjà fait, dans un autre monde rempli de magie...
Je soupirai et arrêtai cette futile mélancolie. Le chemin du retour fut tout aussi calme et solitaire. Mais cette fois-ci, il y eu plus de chevaliers montés sur leurs chevaux qu'avant.