Les Changeurs de Destins - Le Royaume d'Hélia

Prologue

Je les regardai encore. Ces femmes à l'apparence âgée, mais qui, au contraire, ne vieillissaient pas. Je me demandai même comment elles étaient nées. D'après les histoires racontées, elles seraient les filles de la Nuit ou de Zeus. Mais finalement, leurs origines étaient floues.

Clotho fabriquait le fil des destinées humaines. Vêtue d'une longue robe aux couleurs bleues, elle tenait une quenouille qui descendait du ciel vers la terre. Près d'elle, sa sœur Lachésis déroulait le fil et le mettait sur le fuseau ancien. Un grand nombre de fuseaux épars stagnaient autour d'elle. Comme s'ils l'encerclaient. Ou plutôt la protégeaient. Enfin, la dernière sœur Atropos coupait impitoyablement le fil qui mesure la durée de vie de chaque mortel. Plusieurs bobines de fil l'entouraient. Certaines formaient des piles d'autres étaient posées sur des étagères. Toute la pièce était remplie de ses vies mortelles.

Les Moires ne parlaient pas. Jamais. J'avais lu quelque part qu'elles étaient muettes. La seule manière dont elles communiquaient avec nous était par la pensée et d'une seule et même voix. Comme si elles n'étaient qu'une seule personne. Et, elles l'étaient. La Destinée.

Inébranlable. Incassable. Inchangeable.

J'étais assise sur une chaise, non loin d'elles. Les approcher m'était impossible. Une barrière invisible m'en empêchait. J'attendais mon compagnon de voyage. Mon frère. Un homme ayant le même caractère que moi. Après la mort, nous avions été choisis pour voyager à travers les mondes. Au début, je pensais que nous étions les seuls. Mais au fur et à mesure de nos expéditions, j'avais pu rencontrer d'autres voyageurs comme nous. D'autres personnes qui avaient pour but de changer les destins des êtres vivants rencontrés.

Soudain, une bourrasque d'air frais fit envoler mes cheveux blonds. Le tourbillon s'effaça pour laisser place à mon frère. Il soupira pendant je remettais en ordre ma tignasse décoiffée. Ses yeux bleus rencontrèrent les miens, puis un doux sourire illumina son visage.

« Ça va ?

- Oui, répondis-je en me levant. Et toi ? Pas trop secoué ? »

Il secoua la tête et me prit dans ses bras, je n'hésitai pas à faire de même. J'avais l'impression qu'il s'était passé une éternité avant cette nouvelle rencontre, alors que nous avions été dans le même monde quelques heures plus tôt. L'arrivée auprès des Moires nous faisait perdre la mémoire. Ainsi, nous ne savions plus rien de l'aventure que nous avions vécue. Seules des bribes de nos conversations restaient en mémoire. Je me souvenais qu'à chaque arrivée dans un Nouveau Monde, nous étions séparés puis ensemble au gré du Destin. Nous n'avions pas ce choix-là. Cependant, un autre choix s'imposait dès maintenant.

« Rester ou Partir ? »

Nous nous regardâmes puis nous sourîmes.

« Partir, » répondîmes-nous en cœur.

« Aider le héros et trouver votre âme-soeur, telle est votre destinée. »

Et de nouveau, nous étions aspirés dans un tourbillon d'air qui nous emporterait vers un Nouveau Monde, un nouveau pays, une nouvelle ville et de nouvelles personnes à sauver de leur propre Destin.

En média :

Les Moires (A Golden Thread, 1885),
J.M. STRUDWICK (© Tate Gallery, Londres)