2004
Avachis sur mon lit devant Matrix, épaule contre épaule, on a encore esquivé la soirée bingo du camping. Cette année, nos parents sont beaucoup moins lourds pour les soirées, ils nous laissent faire notre vie. En même temps, on a quatorze ans maintenant, l'année prochaine on passe le brevet. On n'est plus obligés de les suivre partout, surtout pour des activités chiantes à mourir.
— Je peux avoir les chips ? demande Valerio en tendant la main.
Je pioche une petite miette dans le sachet et la lui pose dans la main, et il me donne une tape.
— Vas-y, là, tu fous des miettes dans mon lit !
— C'est toi qu'est radin, là ! Allez, aboule le paquet.
Il roule à moitié sur moi et je me marre, finissant par lui donner car j'ai pas envie de dormir cette nuit dans des draps qui grattent et sentent le paprika.
Quand il est arrivé début aout, c'était un peu bizarre comme retrouvailles. Faut dire que l'année dernière, c'était pas la joie. Son copain Jordan est venu passer une semaine de vacances avec lui et ses parents, et c'était comme si j'existais plus. Enfin, si, mais c'était pas pareil.
C'était pas juste Valerio et Valentino, c'était Valerio et Jordan et Valentino parce qu'on allait pas le laisser tout seul comme un con.
Je déteste Jordan. Il a une tête de faux-cul, des manières de gros richou, et surtout il peut côtoyer Valerio toute l'année, lui. Pas moi.
Bref, de toute façon ils se parlent de moins en moins, il m'a dit, parce qu'apparemment il n'arrêtait pas de critiquer – après, bien sûr – les vacances. Ça me donne à la fois envie de lui casser le nez, et de lui faire un doigt d'honneur avec un grand sourire. Tant pis pour lui.
— Il est quelle heure ? demande Valerio entre deux poignées de chips.
Je lève ma montre phosphorescente à hauteur de ses yeux, et il hoche la tête.
— Tellement la flemme de bouger.
— Bah, le film est pas fini ! Tu voulais pisser ?
— Nan... Genre, flemme de rentrer me coucher après.
— Aaah. Bah, tu peux rester dormir.
— Ouais ?
— Y a de la place, et mes parents s'en fichent j'pense.
— Cool.
De l'autre côté de la cloison, j'entends la porte s'ouvrir sur mes parents et ceux de Valerio, car les rires sont nombreux.
— Les garçons, vous êtes là ?
— Ouais ! nous répondons en chœur.
J'ai l'impression que nos voix éraillées font vibrer le mobil-home. Moi aussi j'ai mué cette année, ça fait bizarre. Mais ce qui est grave cool, c'est que j'ai rattrapé Val en termes de taille. J'ai plus l'impression d'être un gamin à côté de lui, alors qu'on a le même âge.
On toque à la porte, et maman passe la tête dans l'ouverture, suivie de Nadège.
— Vous ne dormez pas ?
— Eh, m'man, je peux rester dormir là ?
— Mmh, Chris, t'en dis quoi ?
— Pardon, Christiane, je peux rester dormir à votre mobil-home ?
Elle pouffe de rire en secouant la tête.
— Quelle question, évidemment !
— Merciii, nous exclamons-nous une nouvelle fois en chœur.
Je sais pas pourquoi je dis merci aussi, bref je suis content que Valerio reste. On va sans doute faire une nuit blanche, à regarder des films et à parler toute la nuit.
— Eh, maman ! l'arrête-t-il quand elles referment la porte. Tu peux aller chercher mon oreiller ?
— Dis donc, t'as des jambes, non ? entends-je son père de l'autre côté. Juste un sucre, merci.
— S'il te plaît, geint-il. On est trop posés...
— À deux doigts de s'endormir, renchéris-je théâtralement.
Des rires nous parviennent en réponse, et la porte se referme.
— J'ai des oreillers, au cas où t'aurais pas remarqué... T'es littéralement couché dessus.
— Ouais, mais...
Je le dévisage, attendant la suite. La lumière du lecteur DVD portable se reflète sur lui, et j'ai l'impression qu'il n'a pas envie de finir sa phrase.
— C'est ton doudou ? le taquiné-je.
— Mais nan ! C'est juste, il est confortable. Genre, pas raplapla, et tout.
Je souris, amusé.
— J'en ai un, moi, lui confié-je.
— Oui, mais...
— Je parle pas d'un oreiller.
Je me penche par-dessus bord pour récupérer ce que j'ai balancé sous le lit tout à l'heure parce que j'avais trop honte devant Valerio. Mais en fait, je crois que ça m'est égal. Enfin, je sais pas comment expliquer ça mais je lui fais confiance, en fait.
— Stitch ? s'étonne-t-il en prenant dans ses mains la petite peluche.
— Ouais.
— Tu dors avec Stitch ?
À vrai dire, j'avais une autre peluche avant, mais le temps a fini par l'avoir à l'usure... C'était juste avant que j'entre au collège. Mais il y a deux ans, Valerio et moi on est allés à la fête foraine du 14 juillet – enfin, nos parents nous y ont emmenés – et il l'a gagné au jeu du grapin. Il savait que j'avais vu le dessin animé au cinéma juste avant les vacances, alors il me l'avait offert. Et depuis...
— Ouais... dis-je, rougissant malgré moi.
— Je suis content que tu l'aies gardé.
— Tu trouves pas que ça fait gamin ? demandé-je, timidement.
— T'as pas vu mon oreiller.
Je l'interroge du regard, et il pince les lèvres pour ne pas rire. Je souris largement, et rigole doucement, soulagé qu'on en soit tous les deux au même point.
— Ma mère dit que je ressemble à Stitch.
— Euh, c'est pas très gentil ? avance Valerio en riant.
— Elle dit que je suis têtu comme lui. Caractériel, articulé-je sans être bien sûr du mot.
— Pas faux.
— Et que je suis mignon et attachant, fanfaronné-je.
— Mouais, c'est parce que t'es son fils.
Je lui donne un coup d'oreiller.
Du mouvement se fait entendre derrière la porte, et on toque à nouveau. C'est Francis, le papa de Valerio, qui lui balance un oreiller Idéfix.
— Mais arrêtez de me lancer des coussins ! proteste-t-il sous mes ricanements.
— Eh les jeunes, il y a une boum pour le club ado, demain soir !
— Ah.
— Okay.
Il reste là, attendant une réaction qui ne vient pas. On a vu l'affiche cette semaine, avec Val, mais on n'est pas hyper motivés. Déjà, on n'aime pas danser. Si en plus on doit se taper des slows, non merci...
— Vous n'avez pas envie de rencontrer des jolies demoiselles ? De faire les fous avec les autres gamins ?
On fait déjà les fous entre nous, personnellement ça me suffit largement. Et puis en vrai, on ne fait pas les fous, on a passé l'âge.
— Bof, dit Valerio en haussant les épaules.
— Ouais. Non.
— Ne les pousse pas trop vite hors du berceau, Francis ! Ne précipite pas le moment où on devra leur faire la morale parce qu'ils ont fumé de la marijuana.
— Sans parler de l'éducation sexuelle, renchérit ma mère.
Je me frappe le front, gêné au possible.
— Et l'alcool...
— M'man ! P'pa ! me lamenté-je en levant les yeux au ciel.
— Ils sont pas sortables, me chuchote Valerio quand son père nous abandonne à nouveau en se bidonnant.
— La honte, j'te jure.
Il se glisse sous ma couette – parce que j'ai collé les deux petits lits pour m'en faire un grand – tout habillé et un silence s'installe. Je remets le film en arrière parce qu'on a loupé plein de trucs à cause de nos parents, et demande quand même à Valerio pour être sûr :
— Tu veux y aller demain ?
Il secoue vivement la tête, et enroule ses bras autour de son oreiller en se mettant sur le côté, tourné vers moi avec un œil sur l'écran.
— Et toi ?
— Non plus.
— On regarde le 2 chez moi, demain ? propose-t-il.
— Okay.
Je relance le film, et je me souviens vaguement d'entendre les parents nous souhaiter une bonne nuit avant de sombrer dans le sommeil.
***
Ils commencent à grandir mes pioupious 🥺
Vous l'aurez compris, le temps continue de passer et on alterne un été et une correspondance chaque semaine... pour l'instant ! Allez, je prends les paris, en quelle année j'appuierai sur Pause ? Non, Clément, ce ne sera pas en 2035 mais bien avant 😌