2001
Assis sur la dernière marche de la terrasse, je fixe les nouveaux arrivants de l'emplacement 15 sortir de leur voiture. Les coudes sur les genoux, et le menton sur mes poings, j'essaie deviner combien de temps ils vont rester. Une semaine ? Deux ? Un mois ?
Est-ce qu'ils ont des enfants ?
— Val, sors de la voiture et viens nous aider, s'il te plaît.
Val ?
— Attends, je peux pas sauvegarder ! retentit une voix étouffée dans l'habitacle.
Plissant les yeux, j'essaie de voir à travers le pare-soleil accroché à la vitre arrière. La dame soupire bruyamment, et ouvre le coffre.
— Je sais que tu peux mettre pause, répond le monsieur sur un ton d'avertissement.
Si mon papa me parlait comme ça, je sortirais de la voiture tout de suite.
— J'arrive...
La portière s'ouvre et un garçon de mon âge avec des cheveux à moitié roux sort de la voiture en soupirant, sa Game Boy à la main. Il lève les yeux vers moi, et je soutiens son regard jusqu'à ce qu'il traîne les pieds vers le coffre. Je me demande s'il a le même prénom que moi.
— Tiens, prends ton sac.
Je continue de les observer attraper sacs, valises, sacs de course et glacière de leur voiture qui déborde, et suppose qu'ils devraient rester au moins deux semaines avec tout ce bazar.
— Bonjour, me lance le monsieur en voyant que je les regarde toujours.
Gêné, je bredouille une vague réponse, et tourne la tête vers la fenêtre de notre cuisine en l'entendant s'ouvrir.
— Valentin, qu'est-ce qu'on a dit sur le fait de dévisager ?
— Que c'est malpoli, marmonné-je.
Maman me lance un regard appuyé, et je me redresse pour quitter mon poste de surveillance. Ennuyé, je me laisse tomber sur une chaise en plastique et attrape mon crayon à contre-cœur pour continuer mes devoirs de vacances. Je gribouille dans un coin de la page, jetant un nouveau coup d'œil en face.
Bouche bée, je les regarde sortir des frites de piscine. La chance !
— Tu as fini tes exercices de maths ?
— Mais maman, boudé-je. C'est les vacances depuis une semaine... Pourquoi je dois déjà faire des devoirs ?
— Ce ne sont que trois exercices, on ne te demande pas grand-chose, mon chat.
M'affalant contre la table, je soupire, et fais un gros effort pour terminer ma page de devoirs. Maman s'est installée sur le transat au bout de la terrasse, ne me laissant pas d'autre choix.
Une demi-heure plus tard, j'ai terminé, et elle se lève pour venir vérifier que j'ai tout bon.
— C'est bien. Allez, tu es tranquille jusqu'à samedi prochain, maintenant.
— Je peux prendre une glace ? la supplié-je alors.
Elle acquiesce en souriant, et je bondis de ma chaise. Passée la porte du mobil-home, je me fais plus discret car papa s'est endormi sur la banquette devant le Tour de France. Je prends un esquimau dans le minuscule congélateur, et retourne m'assoir au bord de la terrasse.
En face, le garçon qui vient d'arriver est assis exactement à la même place. Il est concentré sur sa Game Boy, et je suis jaloux de ne pas en avoir une aussi. Adrien, mon meilleur copain, en a une et il a plein de jeux trop cool dessus.
— Valentin... souffle maman derrière moi.
— Mais je fais rien, maman !
Le roux lève les yeux vers moi, et je rougis parce que maman me fiche la honte à me disputer comme ça à chaque fois que je regarde trop les gens.
Le son de sa Game Boy se coupe, et il me fixe aussi.
— Salut, dit-il alors.
— Salut.
Je reste assis, terminant ma glace avant qu'elle ne coule partout sur moi, et lui se lève en sautillant.
— Tu t'appelles comment ? me demande-t-il en s'arrêtant près de notre mobil-home.
— Valentin, et toi ?
— Valerio.
Pas le même prénom.
— Tu joues à quoi ? demandé-je à mon tour en montrant sa Game Boy du doigt.
— Mario Kart. Tu veux jouer ?
Je hausse les épaules, et il s'assoit à côté de moi. Derrière, j'entends maman se râcler la gorge pour signaler sa présence, et Valerio fait de grands yeux. Je parie qu'il ne l'avait pas vue.
— Bonjour, s'exclame-t-il alors.
— Bonjour, répond-elle en souriant derrière ses lunettes de soleil.
Je baisse les yeux sur sa console, dont l'écran est éteint.
— Non ! Plus de batterie...
— Ah.
— Bon, ben... désolé.
— On peut aller à la plaine de jeux, si tu veux, proposé-je. Maman, on peut ?
— Je n'ai rien contre, mais ton ami devrait demander à ses parents.
Il se lève et court rejoindre son mobil-home, ce qu'il fait en quelques pas, appelant ses parents sur la terrasse.
— Maman, papa ! Je peux aller aux jeux avec le voisin ?
Quelques minutes plus tard, il me suit sur le chemin jusqu'à l'entrée du camping, où se trouvent tous les jeux.
— T'es là depuis longtemps ? m'interroge-t-il.
— Une semaine. Mais on vient tous les étés, le mobil-home il est à nous.
— Trop cool, c'est comme une deuxième maison.
— Oui. Vous restez longtemps ?
— Trois semaines. Et toi ?
— Un mois. Mes parents sont profs, du coup on a plein de temps pour venir l'été.
— Trop cool, répète-t-il.
On passe devant le panneau des activités du camping « À la belle étoile » et on arrive à la plaine de jeux, qui est souvent un peu plus calme le samedi parce que les gens sont occupés à soit à partir, soit à arriver.
— Bof, je dois tout le temps bien faire mes devoirs, ils surveillent... J'ai même des devoirs de vacances l'été.
— T'es en quelle classe ? demande Valerio en s'asseyant sur le tourniquet.
— Je vais aller au collège en septembre.
Je mets un genou sur la plateforme et laisse pendre ma deuxième jambe en donnant des coups de pieds dans les cailloux. Ça me fait peur, de penser à la rentrée.
— Et toi ? ajouté-je.
— Pareil. T'habites où ?
Maman dit toujours que je pose trop de questions, mais lui aussi. Ça me gêne pas, je l'aime bien. Tout en parlant, je commence à nous faire tourner, et il se lève pour m'aider à aller plus vite.
— Accroche-toi !
— Toi aussi, je cours super vite.
— Vas-y, on va voir.
Je glousse, et on accélère de plus en plus, s'accrochant fermement aux barres de maintien. Les jeux c'est pour les gamins, mais le tourniquet c'est tellement drôle. Pour l'instant je suis trop petit, mais je suis sûr que quand je pourrai aller dans les grands manèges j'adorerai ça.
Quand le vent commence à nous fouetter le visage, je saute sur la plateforme en criant :
— Vas-y, grimpe !
Il dérape sur les graviers et je tends la main pour l'aider à se hisser, mort de rire.
— T'es pas doué, rigolé-je.
— Tout à l'heure, je te bats à Mario Kart ! réplique-t-il en se stabilisant enfin.
S'accrochant d'une main au tourniquet propulsé à la vitesse d'une fusée, on se serre l'autre pour sceller notre accord. Malheureusement, nous perdons l'équilibre et nous retrouvons éjectés comme des gros sacs à patates.
— Ça va ? demandé-je en retirant des petits cailloux imprimés dans mes avant-bras.
Ça pique un peu.
— Je crois que j'ai fait un trou dans mon short.
Il se relève en s'époussetant les fesses et me montre une déchirure au niveau de sa cuisse dans son short de plage.
— Oups, commenté-je, toujours assis par terre.
Je finis par me relever aussi, jetant un œil à mon mollet légèrement éraflé. Lui se retient de rire, pas en meilleur état que moi.
— On recommence ?
— À fond !
Il sourit de toutes ses dents et moi aussi, heureux de m'être fait un nouvel ami.
***
Exceptionnellement, rendez-vous tout de suite pour le chapitre 2 😉
Credit image : TF1 😂
Bonus :