Mai - 8 (1).

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Le bonheur n'est-il qu'une question de chance ?

Victor regardait la question, encore et encore, décortiquait chaque mot, chaque syllabe, chaque mot qui la composait, jusqu'à en connaître ses courbures par coeur. Cette fichue question, qui d'abord l'avait irrité à cause de son importance dans sa moyenne en philo, maintenant l'obsédait.

Assis à son bureau, il relisait sa copie. S'il semblait particulièrement concentré, assez pour troubler n'importe quel potentiel intrus qui viendrait le déranger, son esprit, lui, culminait à des lieues d'ici. Le problème qui s'étalait sur le papier le hantait. Et si, par le plus grand des hasards, sa rencontre avec Yann — qui constituait assurément son plus grand bonheur — n'était qu'une simple question de chance ? Une infinie suite de coïncidences bienheureuses qui s'étaient succédé pour qu'ils arrivent là. Le destin. Mais un destin qui aurait très bien pu en choisir un autre. Mathéo, par exemple. Ou Angelo. Ou Jordan. Il n'était peut-être pour rien dans ce qui lui arrivait, et ça le terrifiait plus que tout.

La passivité avait toujours été un de ses plus grands défauts. Si Yann ne lui avait pas pris la main, quelques mois plus tôt, pour l'amener dans ce bar et lui proposer ce pari fou, s'il n'avait pas donné une chance à leur histoire, attendrait-il encore ? Fixerait-il encore le blond en silence, trop peureux pour se rapprocher ? Seraient-ils devenus au contraire de bons amis, annihilant toute possibilité d'avoir plus qu'une simple camaraderie ?

Victor refusait cette possibilité. Oui, il savait que le bonheur était une question de chance, mais il ne voulait pas se fier à la fatalité du destin. Elle pesait déjà au-dessus d'eux pour qu'il s'y abandonne plus. D'un geste sec, il referma sa copie et la rangea soigneusement dans son classeur. Le bonheur n'est-il qu'une question de chance ? Tout l'enjeu se trouvait dans la négation qui appelait au reste. Après tout, le bonheur n'est jamais qu'une création de chance.

Une feuille vierge pleine de promesses remplaça bien vite le devoir de philo et ses questions intrusives. Stylo en main, le lycéen gribouillait ce qui lui passait par la tête. C'est-à-dire beaucoup de choses. Plusieurs histoires lui venaient spontanément. De l'histoire de Gisèle, sexagénaire avancée au passé tumultueux qui veut renouer des liens avec ses petits-enfants turbulents aux péripéties d'un couple de chevaliers voulant sauver deux princesses jumelles en passant par une banale romance qui respirait la chaleur et les plages bondées d'espoirs, Victor notait toutes les esquisses de récits qui lui traversaient l'esprit. Les titres fleurissaient, les résumés s'accumulaient, mais pourtant aucun d'entre eux ne parvenait à détrôner leur histoire. Le spectre de ces heures, ces jours entiers passés à modeler cette oeuvre pesait sur ses épaules.

S'il aimait écrire, c'était bien grâce à Yann. Rien n'avait la même saveur sans lui. Bien vite, les idées se tarirent et il laissa errer la pauvre feuille solitaire sur son bureau.

Victor examina sa chambre, à la recherche de quelque chose qui pourrait tuer son ennui. Ses yeux se posèrent successivement sur sa bibliothèque, son armoire, une pile de magazines, quelques vêtements qui traînaient... Il n'était pas bordélique, mais pas tout à fait maniaque non plus. L'espace d'un instant, il crut bon de se motiver pour ranger ses affaires, idée qu'il abandonna bien vite. Sa chambre était le parfait reflet de sa vie d'adolescent. Tranquille. Un peu trop, même. Un adolescent pénible, sans trop d'artifices. Cette constatation lui arracha un soupir désabusé.

Soudain, une photo attira son regard, sur laquelle posait une équipe, un ballon rond à la main. Le basket... Pas un coup de foudre, mais pour Victor, c'était clairement le sport le plus tolérable. Il aimait bien aussi le rugby et le football, preuve encore qu'il était très classique, comme adolescent, mais pour lui, le basketball n'avait pas encore perdu cette aura que le football avait laissé derrière lui depuis bien longtemps, corrompu par tout un tas de polémiques et de frasques.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant