Juin - 13 (2).

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Dehors, l'air chaud tomba sur ses épaules tandis que le vent tiède courait sur sa peau. Victor observa, hors du monde, la masse grouillante s'éparpiller. Les discussions fleurirent un peu partout, le laissant dans un silence troublé. Ses oreilles bourdonnaient. Il se retourna vers l'église une dernière fois. La bâtisse le toisait de toute sa hauteur. Sa gorge se serra de nouveau, et il se demanda comment il arrivait seulement à respirer, alors que le nœud à l'intérieur de son torse ne faisait que gonfler depuis ce jour. Il regarda chaque passant sans voir leurs yeux ; il écouta chaque mot sans les entendre, alors il prit son petit sac à dos, fourra sa minuscule feuille solitaire dedans et tourna les talons.

— Victor... Attends, s'il te plaît.

Il se contenta de s'arrêter. Derrière lui, la voix était haletante, sanglotante, pleine d'une hésitation qui en ce moment même déréglait les battements de son cœur.

— Qu'est-ce que tu veux, Doriane ?

Il ne reconnut même pas sa propre voix. Trop sèche. Trop cassante. La jeune femme sembla le remarquer, car Victor entendit un de ses talons claquer au sol dans un mouvement de recul. Un bégaiement plus tard — la reine finissait toujours par se reprendre —, elle fit un pas dans sa direction.

— Je ne veux pas te parler. Je ne veux parler à personne.

— C'est important, Victor. J'aimerais...

— On aimerait tous beaucoup de choses, Doriane. Moi le premier. J'aurais aimé ne pas être ici. J'aurais aimé ne pas être en compagnie de gens qui s'en moquent du seul amour de ma vie. J'aurais aimé être là avec lui.

— Ne sois pas injuste. Tout le monde appréciait Yann.

— Ah, vraiment ?

Il se retourna cette fois pour lui faire face. Les sourcils froncés, le monde lui apparaissait flou. En l'observant, le visage déformé par la tristesse, il eut envie de vomir. Comment osait-elle ?

— C'est justement ça, le problème. Tu ne comprends pas ? Il y a une différence entre apprécier et aimer. Moi, je l'aimais. Tu sais, je vais te dire un secret : personne ici n'aime vraiment personne. Mais il arrive un moment où parfois, l'affection qu'on porte pour quelqu'un se transforme en un quelque chose plus viable que de simples relations. On rencontre les gens deux fois dans notre vie. Une première fois, on les rencontre comme ça, et ça, ça ne veut pas dire grand-chose. Ce n'est qu'une ombre, un camarade de classe, un collègue, un passant, une vague connaissance avec qui on aura partagé des souvenirs. De tendres souvenirs, mais que de simples souvenirs. La deuxième fois, c'est quand on se rend compte de l'importance de l'âme, du lien qui nous unit à elle. C'est quelque chose qui dépasse tout. Dis-moi, vous qui le pleurez ici, combien d'entre vous l'avez rencontré deux fois dans votre vie ?

De nouvelles larmes coulèrent sur les joues de Doriane. Victor n'attendit aucune réponse et commença à partir. Pris d'une impulsion rageuse, son talon claqua contre le sol et il freina.

— Et je ne t'ai jamais pardonnée tout ce que tu m'as fait subir l'année dernière avec ta connasse de pote. Il y a des gens qu'on ne rencontrera jamais deux fois parce qu'ils n'en valent pas le coup. Malheureusement pour toi, tu fais partie de ces gens. J'espère sincèrement que tu changeras et que tu vas réussir à t'intéresser à autre chose que ta petite personne.

La vérité, aussi brutale que brûlante, frappa de plein fouet Doriane. Il reprit sa route.

— Je l'ai aussi rencontré deux fois, murmura-t-elle.

De nouveau, Victor s'arrêta et la fixa avec intensité. Mais, loin d'être troublée, elle soutint son regard.

— C'était il y a quelques années. J'ai rencontré Yann à l'entrée du collège et nous sommes vite devenus amis. Au départ, j'étais beaucoup plus proche de Mat et Candice.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant