Avril - 11 (1).

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 La nuit fut courte. Cauchemardesque. Les ombres dansaient dans la chambre comme autant de griffes heureuses de s'apprêter à le déchiqueter. La douleur, insoutenable, lui comprimait la poitrine. Incapable de réguler son souffle, chaque inspiration le piquait.

Les tuyaux de respiration. Le marbre froid qui se dressait face à lui. La boîte de bois, la boîte du repos.

Elles revenaient chaque fois qu'il fermait les yeux, ces images, ces terribles tableaux mélancolique, insupportables, germaient dans son coeur comme les fleurs des ténèbres. Son esprit, projeté par la force du désespoir, peignait ces couleurs dans le ciel de son insomnie. Son lit, devenu trop petit pour la grandeur de sa peine, ne pouvait accueillir l'immensité de ses pérégrinations oniriques.

Sur le chemin du lycée, Victor avançait en résistant du mieux qu'il pouvait à l'assaut de ses bâillements. Une seule pensée fleurissait dans sa tête : comment allait Yann. Il n'avait pas eu le courage d'appeler Pauline pour en parler, et il n'avait personne d'autre de proche pour en parler. Il n'en avait de toute façon pas la force. 

La première partie de sa soirée avait été consumée dans les larmes ; l'autre, les joues humides, il l'avait passée à écrire aux côtés de Yann. Ils se l'étaient promis : il leur fallait avancer dans ce projet.

L'écriture, ce soir-là, avait été laborieuse ; chaque fois qu'il venait à bout d'une phrase, Victor se sentait obligé de la retravailler. Comme un tisseur, il faisait et défaisait sa toile pour mieux la perfectionner. Seulement, rien ne lui convenait, et l'enthousiasme de Yann ne l'aidait en rien. A côté de son petit ami, il ne se sentait pas à la hauteur.

Vide. Ce soir-là, il n'était plus qu'une coquille vide. La page restait désespérément blanche, et les allers-retours sur les réseaux sociaux s'enchaînaient, l'empêchant de se concentrer. Mais il ne parvenait pas à être plus productif. Finalement, ils avaient réussi à écrire une petite page. 

Comme il ne se sentait pas d'écrire, tant son esprit lui-même ressemblait à un champ de bataille, Victor décida de s'attarder sur la correction du dernier chapitre. Déçu malgré tout de son manque d'efficacité, il se consola avec l'espoir que le lendemain, tout irait mieux.

La froideur des grilles du lycée lui fit regretter cette pensée rassurante. Les élèves s'y précipitaient. Victor secoua la tête en les observant s'agglutiner autour du portail. Une triste cacophonie s'élevait et couvrait même le ronronnement des véhicules. Seul au milieu de cette foule, il songea à l'immense vide dans lequel baignait son cœur. Malgré les rayons solaires qui réchauffaient sa peau, son être restait plus glaciale encore qu'une statue de marbre.

Victor renifla, dédaigneux. La désagréable odeur des pots d'échappement l'insupportait. Aujourd'hui plus encore que d'habitude. Il ignorait néanmoins ce qui le dérangeait le plus : l'aigre et étouffante pollution qui rendait l'air irrespirable ou le capharnaüm assourdissant qui le renvoyait à l'infini néant de son silence ?

Il décida de laisser cette question de côté et préféra concentrer son énergie dans son avancée. Se frayer un chemin parmi ces dizaines de corps avait tout du défi olympique, mais il y parvint tant bien que mal.

Il s'abandonna aux courants humains, ses jambes flageolantes et faibles errant au milieu de cette masse beaucoup trop vivante pour lui. Il se sentait comme un fantôme : un marcheur sans visage, condamné à porter ses chaînes et à subir sa propre existence. Il est des jours comme cela ; la masse du destin fait de nous le spectateur de notre propre existence, et le film qu'on en tire nous semble si triste à regarder qu'il rivalise avec les plus grandes tragédies de ce monde.

Arrivé devant la salle de classe, il repéra quelques visages familiers. Charlotte lui sourit discrètement, en pleine discussion avec d'autres camarades. Jordan, à côté, regardait son portable d'un air amusé. Il releva la tête vers Victor et, arquant un sourcil surpris, s'approcha :

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant