— Je ne pense pas dépasser le quinze sur ce coup, soupira Yann.

— Je pense pas dépasser le quinze sur ce coup, répéta Victor en prenant une voix nasillarde. Ah ouais, quel gros problème.

— Tu l'as tant raté que ça ?

— Si j'ai la moyenne, je serai content...

— Tu l'auras, le rassura Yann. J'en suis sûr.

— Pourquoi ?

— Parce que tu crois en toi.

— Mais pourquoi, Yann ? demanda subitement Victor. Pourquoi est-ce que tu crois en moi ? Pourquoi est-ce que tu crois en quelqu'un d'aussi nul que moi ?

— Premièrement, je t'interdis de dire que tu es nul. Deuxièmement, je crois en toi parce que tu es capable de beaucoup de choses. Tellement de choses. Troisièmement, je ne crois pas qu'en toi. Je crois en nous.

Victor acquiesça silencieusement, conscient qu'il ne servait à rien d'ajouter quoi que ce soit. Yann trouverait toujours quelque chose à redire, parce que c'était comme ça : personne n'avait le dernier mot avec lui. La dernière phrase tourna en boucle dans la tête de Victor toute la soirée. Il croyait en leur histoire.

C'était pourtant évident, puisqu'il avait fait les premiers pas. C'était lui qui avait emmené Victor dans ce café, c'était lui qui avait mis le feu aux poudres, c'était lui qui avait donné une chance à cette histoire qu'il n'espérait plus. Pourtant, la formule, plus magique que le plus vieux grimoire, l'enveloppait dans une bulle.

Alors qu'il rêvassait dans son lit quelques heures plus tard, son téléphone se mit à sonner : une petite bulle avec un visage qui ne lui plaisait pas apparut. Victor se redressa, surpris de ce message. Il hésita un long moment avant de répondre. Pourquoi Doriane voulait-elle lui parler ?

Soudainement, toute une liste de scénarios plus horribles les uns que les autres explosèrent dans son esprit. Victor s'assit complètement, concentré sur l'écran qu'il fixait depuis quelques minutes. Elle l'avait bien précisé dans son message, ou plutôt dans son avalanche de messages — Victor imaginait bien Doriane faire partie de ces gens qui ne savaient pas écrire un seul message mais qui préféraient en envoyer vingt pour une futilité —, c'était urgent.

Et c'était à propos de Yann.

— Merde... Merde... Merde ! enragea Victor en constatant qu'elle ne décrochait pas.

Il ne voulait pas envisager cette possibilité, mais elle lui apparaissait de plus en plus plausible : il était arrivé quelque chose. Quelque chose de grave. Et plus les secondes s'écoulaient, plus son angoisse prenait de la place. L'insupportable bruitage sonore qui résonnait en attendant qu'elle décroche donna à Victor l'envie d'envoyer son téléphone contre le mur. Mais au moment où il voulut abandonner, elle répondit :

— Allô ?

— Qu'est-ce qui se passe ? l'agressa-t-il presque. Tout va bien ? Tu me dis de t'appeler et tu ne décroches...

— Oh, tout doux, mon mignon, l'interrompit-elle. Enfin, non, pas mignon, mais tu m'as comprise. Ne commence pas à gueuler. Déjà, pour commencer, bonsoir.

— Ouais, bonsoir. Bon, tu vas me dire ce qui se passe ? Tout va bien ?

— Oui, tout va bien ! Pourquoi est-ce que ça n'irait pas ? Dis-moi, je dois te poser une question. Yann est avec toi ?

— Pourquoi est-ce qu'il serait avec moi ? Tu m'appelles pour me parler de lui, t'es pas avec ?

— Bah non ! soupira Doriane. Pourquoi ? T'as peur qu'il te trompe, c'est ça ? Tu commences à douter de ton pouvoir de séduction ?

Victor était habitué du ton provocateur de sa camarade de classe, mais il ne put s'empêcher de grincer des dents.

— N'importe quoi. Je... J'avais juste peur qu'il lui arrive quelque chose.

— Bah écoute, non, c'est pas encore au programme. Bien, j'en conclus que tu es seul ? Plutôt vanille ou chocolat ?

— Pardon ?

— Le pot de glace pour te consoler, répliqua-t-elle comme si elle parlait à un imbécile.

L'adolescent souffla, agacé.

— Tu vas me dire ce que tu veux, à la fin ?

— Je voulais te demander conseil.

— A propos de quoi ?

— Du cadeau que je pourrais offrir à Yann pour son anniversaire.

Victor prit un moment pour digérer l'information et en profita pour calmer le rythme de son coeur angoissé. Il était content de constater que Doriane galérait autant que lui à trouver une idée de cadeau. Puis ce fut la surprise qui l'emporta :

— Tu me demandes une idée de cadeau ? A moi ?

— Bah oui, idiot ! De tous ceux qui connaissent Yannou, c'est bien toi qui le connais le mieux.

Le brun s'abstint de lui faire remarquer que cette dernière phrase semblait lui brûler la gorge. Ce devait être particulièrement pénible à dire pour elle qui avait eu toutes les peines du monde à l'accepter.

— Donc je viens te demander un coup de main, termina-t-elle. Si ça ne te dérange pas.

Quelques secondes lui suffirent pour prendre sa décision : il ne le faisait pas pour elle, mais pour celui qu'il aimait.

— D'accord.

— Super, merci. Avant qu'on en discute, est-ce qu'il t'a parlé de son anniversaire ?

— Pas vraiment, reconnut-il. Je comptais mener mon enquête. De ton côté, tu as des infos ?

— Yann aime bien fêter son anniversaire, mais il n'est pas très à l'aise dans les grosses fêtes.

— En gros, on n'invite pas tout le lycée ?

— Non. Dommage d'ailleurs, c'est ce qu'il y a de mieux. Les meilleures fêtes, ce sont celles où on peut rencontrer des gens sans avoir vraiment peur des conséquences.

— On n'est pas dans une série américaine, grimaça l'adolescent. C'est dangereux.

— Mais tu ne comprends rien ! C'est vrai, j'oubliais, t'aimes pas ça non plus. Les endroits trop sociables, je veux dire.

— Doriane.

— Oh, ça va ! Si on ne peut plus rire !

— Ce n'était pas drôle.

— Si tu le dis.

Victor se retint de lui raccrocher au nez, mais ne le fit pas pour son cher petit ami. Ils discutèrent un long moment de ces cadeaux qu'ils pourraient lui offrir. Quand il raccrocha, un soupir franchit ses lèvres. Il posa son téléphone avant de se masser les tempes. La fatigue commençait à l'étreindre. Parler avec cette fille était toujours aussi désagréable, même lorsqu'elle se montrait amicale.

Il ne parvenait juste pas à oublier qu'elle s'était longtemps opposée à leur couple. Victor en était persuadé ; même si elle était influencée, une grande part d'elle restait sincère. Et ça le rebutait, parce que ça voulait tout simplement dire qu'elle ne prenait pas en compte les sentiments de Yann.

Plongé dans ses pensées, il s'installa devant la télévision pour se détendre un peu. Il ne voulait surtout pas être contre-productif en s'imposant de chercher l'idée parfaite. Pourtant, n'était-ce pas au moment où on s'y attend le moins que ça peut arriver ?

— Mais oui ! C'est ça, c'est ça qui lui faut ! s'exclama Victor en se levant d'un bond, heureux comme tout de l'idée qui venait d'éclore dans son esprit.

Il avait enfin comment offrir un anniversaire digne de ce nom à la personne qu'il aimait le plus sur cette planète. Et il se le promit : ce sera grandiose.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant