Chapitre 12-1

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Adriel, les sens en éveil et la poitrine parcourue par une douce chaleur, gardait les yeux rivés devant lui. Maintenant qu'il était parvenu à les isoler, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? S'ils voulaient une démonstration, ils allaient en avoir une. Et puis, c'était, à vrai dire, quelque chose qu'il appréciait.  

Un rictus vint barrer le bas de son visage et il sentit le goût amer de la colère le gagner alors que ses pensées le ramenaient quelque cinq années en arrière, lors de sa cérémonie des pouvoirs. La haine qui le déchirait alors ne faisait que gagner en puissance, bien chétive face à celle qui bouillait en lui depuis. Ses poings, encore vierges de toutes stigmates, étaient si fortement serrés qu'il pouvait sentir la tiédeur de son sang couler le long de sa peau. 

Ce jour-là, personne n'avait été présent pour l'aider. Personne ne l'avait défendu. Il se souvenait encore de la dureté des pierres qui s'étaient écrasées sur son visage, son torse et ses jambes. Et ces insultes, accablantes et cruelles, proférées par des habitants dont les motivations tenaient davantage de la peur que de la haine... Même sa volonté la plus forte n'avait pu retenir des larmes de honte et de colère dévaler la peau frémissante de ses joues. 

Plus jamais, pensa-t-il. Mû par une volonté plus forte que tout, une envie de prouver à tout le monde sa force mais aussi sa valeur, il ouvrit les yeux et étira sa bouche en un sourire salvateur.

— Surtout, on ne bouge plus, sinon ça risquerait de faire mal de cette hauteur, lança-t-il.

— Nan, sans blague, j'aurais jamais deviné ! 

Ethan ne bougeait pas d'un pouce, même s'il paraissait plutôt à l'aise.  

— Parce que tu ne comptes pas nous faire redescendre ? 

Ashley s'était exprimée d'une voix beaucoup moins assurée et son regard tendu cherchait le sien. 

— Je n'y vois rien, en plus, avec cette obscurité, j'espère que tu sais ce que tu fais ! s'exclama-t-elle, la voix légèrement tremblante. 

— Ne t'en fais pas, on ne risque rien, entendit Adriel.

La voix d'Aurore, calme, comme à son habitude, avait comme un effet catalyseur sur lui. La colère qui l'habitait sans cesse semblait reculer un peu face à ce ton rassurant qu'il avait appris à reconnaître. Tout comme la caresse d'une main chaude sur une joue rougie par le froid, cela tenait davantage de l'apaisement, d'ailleurs. L'esprit plus clair que jamais, ses mains claquèrent l'une dans l'autre alors qu'il les élevait lentement. 

Un geyser d'eau surgit derrière lui au même instant, telle une vague prête à s'abattre sur les récifs d'une plage. Mais au lieu de ça, elle se figea et sa surface refléta dans un millier de scintillements la lueur de la lune.  

— Incroyable, eut-il le temps d'entendre avant que sa création n'explose en mille morceaux, par la seule volonté de son esprit. 

De milliers de petits éclats de glace voltèrent dans les airs, tentant de s'échapper, mais furent vite rattrapés par la gravité. Adriel laissait son instinct le guider, comme toujours. Bientôt, de minuscules débris de glace tournoyèrent dans les airs, cernant le campement qu'ils avaient établis et brillant de mille feux à l'instar de minuscules étoiles. Comme une version accélérée du sytème solaire, ils tournaient doucement au-dessus de leurs têtes. 

— Mais quel poète, commenta Ethan avec humour.

Ce n'était pas vraiment le résultat escompté, mais Adriel appréciait tout de même ce qu'il avait produit. Très loin de l'emploi habituel auquel il avait recours, cette démonstration donnait presque l'impression que ces pouvoirs n'étaient pas destinés à la violence et aux combats. C'était peut-être le cas, mais depuis quelques années il n'y voyait qu'un moyen de blesser, ou de tuer. 

La Terre des oubliésWhere stories live. Discover now