Chapitre 31-1

10 2 0
                                    

Aurore observait, interdite, ces hommes les encercler peu à peu. Leurs chaussures en caoutchouc crissaient sur le sol inégal, et aucun d'eux ne quittait Adriel des yeux. Son instinct lui criait de courir tant qu'il en était encore temps, mais la peur la paralysait. Cet homme qui venait de s'exprimer et qui s'approchait d'eux avec lenteur d'une façon presque perverse, était loin de lui être étranger. Jamais elle n'aurait pu oublier ce regard, celui-là même qui l'avait toisée avec indifférence alors qu'elle souffrait le martyr sous ses assauts incessants.

Cet enfoiré avait même eu le culot de lui souhaiter bon voyage avant de la piquer une dernière fois, la faisant sombrer dans l'inconscience.

La peur l'étreignit si fortement que son cri lui vrilla les tympans, l'ébranlant violemment. Son corps glissa au sol, incapable de lui répondre normalement. Adriel fit volte-face, la détresse, puis la haine, déformant les traits de son visage. Jamais elle ne l'avait vu arborer un tel regard qui foudroyait tout son être.

— Sauve toi ! hurla-t-il, affolé, les muscles de son bras bandés à se rompre autour de son arme.

Aurore le dévisagea avec horreur. Il ne voulait quand-même pas qu'elle parte sans lui ?

Ses yeux se firent plus sombre, ses pupilles se dilatant à l'extrême alors qu'il parcourait son visage. Un juron lui échappa : elle ne s'enfuirait pas sans lui, c'était hors de question. Et il l'avait très bien compris.

— Sottises. Reprenez-vous, jeune homme. Nous avons à parler, assena l'homme dans la combinaison.

— Personne ne vient avec toi, espèce de malade, cracha Adriel.

Aurore se redressa sur ses jambes tremblantes. Il fallait qu'elle fasse quelque chose, cet homme était complètement fou, mais ses pensées fusaient si vite, comme projetées contre sa conscience dans la panique la plus totale, qu'elle fut incapable de prononcer un mot. Où était passée sa détermination retrouvée ? Elle se serait frappée, si elle l'avait pu.

La faiblesse la possédait toujours autant et le dégoût la prit à la gorge.

Adriel était si tendu qu'il ressemblait davantage, à cet instant présent, à un lion en cage sur le point de sauter à la gorge de son contremaître. Tendant une main tremblante vers lui, la gorge prise dans un étau, elle tenta de le prévenir, voulant le supplier de s'enfuir. Tant pis s'il l'abandonnait avec cet homme qui était devenu son pire cauchemar, au moins aurait-il la vie sauve. Mais seul son dos, vibrant de rage, se présentait à elle.

Sans prévenir, et à son plus grand désespoir, il se tendit soudain, puis fondit sur lui à une vitesse prodigieuse. L'espoir l'étreignit, la mettant au supplice. Adriel était rapide et efficace, mais serait-ce suffisant ? Comme au ralenti, elle le vit se baisser, ses boucles volant presque dans cette nuit douce et calme, avant de diriger son couteau vers la gorge de l'homme. Son coeur se tendit à l'extrême, dans l'attente.

Un bruit strident résonna, tel un claquement fatal. Adriel s'arrêta, à quelques centimètres de sa gorge, et posa un genou à terre, son visage déformé par la douleur. Sa main pressait son épaule en sang et bientôt une flaque se forma à ses pieds. Aurore porta une main à sa bouche, ses yeux si embués qu'il oscillait dangereusement devant elle.

Ce n'était pas possible, elle devait être en train de faire un cauchemar. D'une minute à l'autre, elle se réveillerait pour se rendre compte que ce n'était qu'un mauvais rêve. Mais rien ne se produisit. Adriel était toujours à terre, et les gouttes qui coulaient de son bras produisaient des clapotis à intervalles réguliers sur le sol dru.

Adriel grogna, son corps tanguant un instant. Il secoua la tête, comme pour se réveiller, et au plus grand malheur d'Aurore, se releva, pantelant.

— Arrête, ils vont te tuer ! hurla-t-elle, à peine consciente qu'elle avait retrouvé sa voix.

La Terre des oubliésWhere stories live. Discover now