Chapitre 3: Amnésie

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  Leurs boissons étaient devenues froides depuis bien longtemps et malgré tout, l'humeur de l'homme demeurait exécrable. Appuyé sur un mur, immobile et la tête entre les mains, il tentait doucement de retrouver son calme. La jeune fille s'inquiéta pour lui, ignorant pourquoi il se retenait ainsi s'il était en colère. Était-ce parce qu'elle était présente dans la pièce ? Elle avait pensé à la quitter, sans pour autant parvenir à s'y contraindre. Elle restait donc silencieuse, se faisant le plus petit possible, tout en observant l'homme, impuissante. Qui était cet individu qui l'exaspérait tant et qui le mettait dans un tel état ? Le grand-père, quant à lui, ne disait rien, l'esprit absorbé dans son travail. La jeune fille aurait imaginé qu'il soit le premier à apporter son soutien, pourtant l'attitude de Kayle ne paraissait pas l'alarmer. S'était-elle trompée à son sujet ? Après tout, elle venait tout juste de le rencontrer, que pouvait-elle en déduire ?

  Bien des minutes s'écoulèrent encore avant que l'homme ne retourne s'asseoir auprès de la jeune fille. Comme elle n'osa pas l'interroger, ce fut lui qui prit la parole.

« Désolé pour ça. Il faut que je me change les idées. Où en étions-nous déjà ? Ah oui, t'es qui ?» Puis une autre pensée lui vînt à l'esprit. « Fait voir tes mains. »

  A contre cœur, elle se mis debout afin de les lui tendre. La blessure était superficielle et le sang avait déjà séché, rien dont il dut s'inquiéter. Cependant, il ne put rien ajouter que la fille se vit tomber. Avant de s'en apercevoir, le noir avait déjà succédé à sa vision du jeune homme, qui tendait les bras vers elle.

....

  ???

  Les enfants des rues purent observer sa petite silhouette tout juste sortir du vieux bâtiment, les poings serrés, comme prête à se battre.

  Un étranger, ici, aurait de quoi rendre furieux les plus haut-gradés de la ville. Qu'un individu de l'extérieur puisse s'infiltrer entre leurs murs, c'était inconcevable et cette pensée le fatiguait. Il valait mieux que cette histoire ne s'ébruite pas, pour le bien de tous. Cependant, il ne possédait toujours aucune preuve de sa véracité. La parole de monsieur Lebonnet, un homme si raisonnable et réfléchit, lui suffirait amplement si la résolution de l'affaire n'avait été qu'une histoire de temps. Mais des paroles ne restaient que des paroles. Tout comme le sang ne l'avancerait nullement dans son affaire. Malgré ses propres convictions, il restait toujours l'hypothèse que l'histoire ne fut qu'inventée. Kayle ne l'avait nullement laissé lire en lui, comme à son habitude. Il ne restait qu'à espérer que son intuition fut bonne et que son enquête le mènerait bien quelque part. Mais si l'homme était dans le coup, il craignait que ce ne fut pas si simple.

  L'individu marchait seul, le long d'une des plus usagée et vide rue de l'ancien port, précipitant son pas machinalement, comme à son habitude, vers là où le portaient ses affaires. Il connaissait cet endroit depuis aussi longtemps que sa mémoire le permettait et comme pour beaucoup, jamais il n'avait pu en sortir. Il ne l'avait jamais désiré non plus. Trop de responsabilités, trop de choses qui l'y rattachaient. Il n'avait guère le temps de penser à s'évader. Rien n'était vraiment paisible ici, tant qu'il s'agissait de garder la paix. C'était son devoir et il y tenait, toutefois il savait qu'il ne s'y prenait pas comme il le fallait.

  L'apparition de deux jeunes au coin d'une avenue sombre ne lui fit pas même détourner le regard. Ils étaient deux adolescents, de ce qu'on pouvait déduire de leur tenu, leurs visages dissimulés sous des capuches sombres. Cela ne sortait pas de l'ordinaire, au contraire. Il écouterait bien ce qu'ils avaient à lui dire, mais ce serait certainement une perte de temps. Discuter avec eux ne l'avait jamais amené à une conclusion satisfaisante, malgré tous les essais qu'il avait pu leur accorder.

Contes de Jullians : La fille sans visageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant