Chapitre 34 : Fable d'un temps perdu

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Son travail commença par de petites marches tranquilles, dans l'intention de réhabituer son corps à l'effort. Cela se révéla plus simple que ce qu'elle avait espéré, car dès les premiers essais, elle sentie son énergie lui revenir, alimentée à la fois par son travail, le soleil éblouissant et les aliments riches dont elle pouvait profiter en ces terres. Elle put donc s'imposer, en quelques temps, des marches de plus en plus longues, ne lésinant jamais sur l'intensité qu'elle avait la capacité d'endurer.


Cela eu l'avantage de lui permettre de découvrir progressivement ce lieu intrigant, qui, s'étant développé loin du reste de la civilisation, avait pu élaborer, lors de cette dernière décennie, ses propres usages et coutumes. Elle eut la sensation de découvrir une réalité différente, réchappée des conséquences désastreuses du Déluge. 


Le village différait en tout point des grandes allées fourmillantes de vie du Havre de Paix, ou des ruelles sombres et poisseuses de ce dernier. Ici, la nature faisait corps avec la civilisation, une flore abondante bordant les chaussées de couleurs vives et harmonieuses, décorant chaque palissade et fenêtre que l'on pouvait croiser de formes grâcieuses. Le sol irrégulier laissait aussi paraître, entre ses dalles, des tiges fleuries qui y poussaient sans se soucier du moindre obstacle. Témoin de cette vue multicolore, la rouquine ne pouvait s'empêcher de penser encore au jeune garçon qui lui avait sauvé la vie. Lui qui aimait les fleurs inoffensives aurait certainement apprécié le paysage.


En plus de la vie végétale, celle animale était aussi présente à sa façon. En effet, il n'était pas rare de voir écureuils ou autres rongeurs fugaces traverser les buissons ou escalader les arbres des petits parcs parsemés à quelques endroits du village. De ce que lui avait partagé Mme Dahily, il arrivait également que des créatures de la forêt, comme des daims, renards, félins, ... s'approchent curieusement des abords du village. Bien qu'il était rare qu'ils se montrent hostiles, les villageois avaient appris malgré tout à se méfier d'eux et à ne pas les approcher inconsciemment, en plus d'éduquer à leurs jeunes enfants à comment se comporter en leur présence.


Naturellement, c'était sans compter les troupeaux d'animaux élevés par les villageois, source non négligeable tant de leur garde-manger que des matières textiles indispensables à la fabrication de nombreux matériaux du quotidien. Bien que surveillés de près, ils étaient libres de vagabonder librement en l'enceinte des vastes champs qui leur étaient réservés et de paresser des heures durant au soleil, tout en profitant de victuailles à foison.


Concernant les villageois, chacun vivait sa vie à son bon vouloir, s'étant vu confier un rôle qu'il respectait soigneusement. Ainsi, malgré les obstacles auxquels ils avaient dû faire en étant confrontés à cette nature étrangère et hostile, ils étaient parvenus à se créer une place, tout en respectant les besoins de chacun. L'entraide était le mot d'ordre de cette communauté, où personne ne laissait  quiconque  endurer ses difficultés seul.


Durant ses errances, accompagnée de Mme Dahily qui supervisait son état, elle eut l'occasion de faire la rencontre de la population locale. Le village était composé de quelques centaines d'habitants, qui de par leur petit nombre, avaient développé entre eux une relation de nature presque familiale. Puisque, dû à cela, les rumeurs voyageaient de bouches à oreilles en un rien de temps, l'arrivée des nouveaux venus n'était plus un secret depuis belle lurette.


De cette façon, aucun d'entre eux ne fut surpris de la voir errer au sein du village, all jusqu'à manifester un intérêt sincère envers sa situation. La rouquine se retrouvait donc souvent promptement encerclée, que ce soit par les plus âgés ou les plus jeunes. Elle appréciait discuter avec eux, à découvrir leur quotidien et ils se plaisaient à  leur tour  à l'interroger sur son point de vue et son propre vécu. Elle observa que les enfants faisaient preuve d'une sagesse étonnante, bien qu'animés d'une fougue pétillante que les adultes ne parvenaient à contenir qu'à grande peine. Elle l'avait notamment observé lors de sa première interaction avec eux.

Contes de Jullians : La fille sans visageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant