Contes de Jullians : La fille sans visage

Chapitre 37: Souvenirs familiers

Contrairement à son habitude, à cette période de la journée, elle n'était pas penchée au dessus de son atelier, dont on ne pouvait la détacher pendant des heures durant. Lorsque c'était le cas, le  village pourrait s'effondrer autour d'elle qu'elle ne s'en apercevrait pas avant d'avoir achevé son dur labeur.

A l'inverse de cela, elle se tenait actuellement debout au fond la pièce, où la rouquine la devina en train de trier son matériel de travail, pleinement éveillée au monde environnant. Il s'agissait d'une femme dans la trentaine, dont la masse épaisse de cheveux était fixée à l'aide de pinces dans son dos, de telle façon qu'elle ne l'incommoderait pas dans son travail. Son tablier était blanc de la terre qui y avait séché des jours auparavant, dissimulant presque le mordoré qui le teintait originellement. Ne s'attendant donc pas à la voir en position de l'accueillir, la fille salua promptement l'artisane, ravie d'avoir, pour une fois, l'occasion d'échanger avec elle.

" Pose ça là!" Lui proposa la femme, en lui désignant le coin de table qui n'était ni encombré par son matériel de modelage, ni sali par la terre de son activité précédente. " On te fait travailler dur ma pauvre. 

- Non, ça c'est rien!" S'amusa la fille." C'est Martius, il voulait passer mais a eu un contre-temps. Il t'a fait une liste de ce dont il aurait besoin .

- Ah, il prend de l'avance, ce chère Martius!" Nota l'artisane en jetant un coup d'oeil furtif au papier." Le festival est encore dans un mois!

- Ca n'est pas mal de prendre un peu d'avance, si? " L'interrogea la fille." Même un mois ça semble court pour concevoir autant de récipients.

- Ne t'en fait pas pour ça!" S'amusa Argile. " Tu as devant toi la pro des pros! Je n'ai pas trop de commissions pour le moment, dis à Martius que ce sera fait dans la semaine! 

- C'est noté! Confirma la rouquine, dont la curiosité se tourna vers la nouvelle création de la femme. Il s'agissait d'un vase élancé, orné de motifs fleuris et bariolés. Il était indéniable qu'elle avait encore écoulé des heures à le concevoir, de par la minutie des détails qu'elle s'était appliquée à dépeindre. " Il est joli.

- C'est vrai, je suis plutôt satisfaite." Affirma fièrement la femme, les mains placées sur les hanches. " J'ai eu un petit coup de main de la part de Carl. C'est vraiment un sacré personnage, mais quand il s'agit de manier un stylo ou un pinceau, il n'a pas d'égal.

Carl, ou Mr Pitton, soit l'homme que la rouquine avait surpris en présence de Mme Dahily. Argile était l'une des rares exceptions à adresser tous ses voisins par leur prénom, indépendamment de leur choix. Selon elle, c'était une habitude qu'elle avait eu depuis très jeune et dont elle ne parvenait à -enfin refusait- de se passer.

- C'est ce que j'ai entendu dire ..." Attesta la fille. " Il m'impressionne un peu, mais tout le monde assure  qu'il est talentueux. 

- Bah! C'est surtout un vieux grincheux qui se donne des manières, il n'y a pas trop de quoi s'en faire!" Se moqua l'artisane avec légèreté.

La rouquine pouffa, prise au dépourvu par cette remarque inattendue. La relation entre les villageois était si admirable qu'ils en venaient à se charrier sans éprouver le moindre mépris. Argile devait être un maître en la matière, discutant toujours de manière franche, sans jamais mâcher ses mots.