Seizième Partie

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L'auteur

« La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste. » Victor Hugo.

C'est fou le rythme auquel Dakar évolue. On a l'impression que tout a changé dans ce décor qui reste familier. Les routes envahies par les marchands ambulants. Car-rapide, Ndiaga Ndiaye, Clando, Taxi. Les embouteillages où les chauffeurs se prennent parfois la tête, on y entend de ces insultes qui pourraient réveiller une momie. Pays de la Téranga. Lorsqu'on s'y trouve, on est souvent pris par l'envie d'évasion, échapper à cette routine asphyxiante. Des vacances. On en rêve oui. Mais cette vie mouvementée et folklorique nous manque dès qu'on met le pied dehors. Ah mon beau pays. Dakar ou Saint-Louis, Thiès ou Zinguinchor, « fepp la deuk nékhé sama rew » (Dans mon pays, la vie est belle partout), il suffit d'ouvrir les yeux et d'admirer juste pour contempler.

Habib était pensif lorsqu'il passa devant une route qui menait à l'UCAD, les souvenirs le submergèrent, il décida d'y faire un petit détour, nostalgique. Il gara sa voiture un peu plus loin pour finir le trajet à pieds. Avant de partir, il envoya un message à Khady pour la prévenir qu'il passerait un peu plus tard pour récupérer Karim. Sur cette longue allée longée de part et d'autre de ces arbres hautes, pétillantes, vertes, tel le vert de Sédar Senghor, il se rappelait leurs longues balades nocturnes avec Linguère, l'éclat des yeux de sa douce traversant la nuit pour venir pénétrer son cœur. Un sourire mélancolique se dessina sur ses lèvres. Jadis, un soir, ils passaient par cette même allée lorsqu'ils entendirent « Xarma » (Attends-moi) de Youssou Ndour passer sur la radio d'un monsieur assis sur un des bancs publics. La petite coquine le devança de suite et il se laissait prendre au jeu, comme à l'accoutumée, marchant derrière elle à pas de danse et lui chantant « Xarma, Xarma... ». Il s'en foutait du ridicule, du qu'en-dira-t-on tant que c'était pour elle et avec elle. « Moula thieuguine » et autres pas de danse avaient répondu à l'appel. Il faisait semblant d'avoir perdu sa belle de vue, lui montrant le dos et mettant les mains en visière à tour de rôle, pour la chercher de gauche à droite. « Am dama rer, Am dama rer, Am dama rer, Am daaama rer, Am dama reeeeerr... ». Elle s'avançait vers lui. Tape sur le dos. Il se retourna pour lui faire face, plus proche d'elle que jamais. Elle se tortillait, une main posée sur l'épaule de son bien-aimé, bougeant le bassin au rythme d'un « I will wait for you, I'm still gonna wait for you... » que Viviane chantait d'une voix plus qu'enivrante. Ils terminaient leur comédie musicale, danse sensuelle, gestes couplés, regards mariés, couple pouce-index jouant les entremetteurs, index désignant le binôme puis pouce prenant la relève, direction cet organe qui fait boum-boum dans la poitrine. « Mbeuguel jougué tchi yaw nieuw tchi man, Mbeuguel jougué tchi yaw nieuw tchi man ». Ah la musique ! Elle nous titille, elle nous fait danser, nous fait rire, ou pleurer quand on se rappelle. C'est ici que tout avait commencé. Là où des amours que l'on croit sempiternelles se nouent. Fin heureuse, tragique ou décevante. Elle en a connu des couples, l'université. Elle a été témoin de toutes sortes de rêves, romantiques, utopiques, de grands rêves.

Dans sa longue promenade vers le passé dont il voulait rester prisonnier, il arriva chez Coumba Niang, où du moins ce qu'il en restait. Il ne trouva pas la dame sur place et se retint de demander après elle, redoutant la réponse qui s'en suivrait. Il n'en voulait pas, d'une réponse triste. Lui, il voulait la garder intacte, dans ses pensées, éternelle, mère Coumba. C'est ainsi qu'il écourta sa balade. Passer prendre Karim puis aller voir sa maman qu'il n'avait pas vue depuis son arrivée la veille. Vous connaissez, les retrouvailles d'après voyage. Les voisins, la famille qui se rallonge. Sourire aux lèvres, les longues embrassades, les voix que rien n'arrêtent - surement leur amplitude témoigne-t-elle du bonheur face au revenant. Et plus le pays d'où l'on revenait était hors Afrique, plus les trois duraient. « Bitim rew » (L'étranger, en parlant d'un lieu). « Mon fils est là ! », « Mon frère est là ! » « Mon cousin est là ! », « Mon neveu est là ! ». Bon poulet rôti. Accompagnement. Riz, couscous, vermicelle ou une salade bien ornée ? L'embarras du choix. Boisson gazeuse, Fanta orange, ananas, Coca-cola ou salade de fruit ? Allez, les deux ça ne fait pas de mal. Allez, « gan dagn koy téral » (Il faut bien traiter ses invités). Mais attention ! Mesure au préalable, l'efficacité et la rapidité de son bras. Faut laisser quelque chose en partant quand même, mon ami. Hihi. Bande d'hypocrites. Dès que tu reviens d'Amérique, d'Europe, bref d'autre part, pourvu que ce ne soit un pays pauvre d'Afrique, tu es bien accueilli, très bien même. La Téranga. Sinon, tous les étrangers, enfin presque - chut soutoureu way - sont bien accueillis. L'étranger. Pourtant moi qui reviens de Tambacounda, éreinté par la longue distance du voyage, ces routes cauchemardesques, la chaleur et la poussière, je veux bien du poulet moi, ou de la bonne viande bovine, allez un méchoui, pour me revigorer. Arrête tes chichis et fonds-toi dans la masse, à moins que ton portefeuille ne mérite notre respect et la bonne qualité de notre accueil. « Daxal mou nieuw » (Donne l'argent) sinon « Gan day yam place ou gan » (Un invité doit rester à sa place et connaître ses limites). La Téranga. Chut ! Allez houst ! « Bouniou yaxal » (Ne viens pas nous nuire).

Chez Maman Daba, on ne connaissait pas ses manies. Tout était simple et naturel, même si les moyens ne manquaient pas. D'ailleurs Habib avait opté pour un bon Mbaxalou saloum (plat sénégalais) et du jus bouy (fruit du baobab) bien dense l'avant-veille, quand il appelait sa sœur. Une belle et simple retrouvaille, juste en Famille, entouré de Maman Daba, Seynabou, Karim, Ani et Eli que leur mère avait déposés avant de prendre congé.

Que c'est bon, d'être à la maison.

« Notre amour c'est notre maison, nos pieds peuvent la quitter, mais nos cœurs jamais. » Olivier Wendell Holmes

Linguère  -  (Terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant