Quatrième Partie - 1

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Seynabou Ndiaye

« Un frère est un ami donné par la nature. » Gabriel Legouvé

Je m'apprêtais à prier Fadjar (Fadjr) lorsque Habib m'appela pour que je les rejoigne à l'hôpital.

- Allô Habib loy woté Fadjarou Mame Yalla bi yaw ? Lou xew ? (Pourquoi tu appelles de si bon matin ? Que se passe-t-il ?). Avais-je dit, pensant qu'il n'avait pu dormir suite à la bonne nouvelle que Ling Ling lui avait annoncée et faisant semblant de ne pas être au courant. Mais mon engouement intérieur fut vite dissipé par la voix fragile de mon frère :

- Seynabou, viens s'il te plaît !

- Venir où ? Tu pleures ? Wa yaw lou xew gawé ma ? (Que se passe-t-il bon sang ?)

- Ecoute je ne peux pas t'expliquer maintenant. C'est Linguère. Je... Je ne sais pas ce qui se passe. On est à l'hôpital. Viens récupérer les enfants s'il te plaît.

- Hôpital diam !!! Wa mangui nieuw légui. (Comment ça à l'hôpital ?!! J'arrive tout de suite) Avais-je répondu avant de raccrocher sans même demander le nom de l'hôpital. « Hôpital » ak « Police », niari mots yoyou sénégalais niémé wouko. (« Hôpital » et « Police », en voilà deux mots que les sénégalais redoutent). Il me fallut le rappeler pour avoir l'adresse.

Heureusement que ça roulait vite à Dakar à cette heure. Autrement, je n'aurais pu survivre au trajet. Arrivée à l'hôpital, je tombai sur le médecin annonçant la mauvaise nouvelle à Habib, les enfants dormaient sur un des canapés de la salle d'attente :

- Je suis désolé Monsieur Ndiaye, mais votre femme a perdu le bébé. Je ne sais même pas comment cette grossesse a pu se produire car...

- Que... Quoi ?!!! Avait-répondu Habib, l'air hébété.

- Elle était enceinte de 4 semaines. Vous n'étiez pas au courant ? Je vous propose que nous en parlions dans mon bureau. Une infirmière va surveiller les enfants. Reprit le médecin.

Mais Habib avait décroché trois phrases avant. Il n'était plus là. Il s'était affalé sur le canapé, à côté des jumeaux, prenant sa tête entre ses mains. Je décidai alors d'intervenir :

- Docteur, excusez-moi ! Bonjour ! Je suis sa sœur. Est-ce que Linguère va bien ?

- Oui elle est en salle de réveil. Vous pourrez la voir plus tard. Par contre, ce n'était pas qu'une simple fausse couche. Elle était inconsciente en arrivant et son cœur s'est arrêté lorsqu'on procédait au curetage. Et vu la quantité anormale de sang qu'elle a perdue, autre chose a dû déclencher la fausse couche. Un choc peut-être. C'est pour cela que j'aimerais m'entretenir avec son mari. Mais rassurez-vous, elle est tirée d'affaire Al hamdoulillah (Grâce à Dieu).

- Il viendra dans votre bureau, docteur. Donnez-nous quelques minutes s'il vous plaît.

- D'accord.

- Merci Docteur.

Le Habib que je voyais là n'était pas apte à tenir une conversation. Jamais je n'avais vu mon frère dans cet état, même pas au décès de Papa. Je m'assis à ses côtés et l'entraînai dans mes bras.

- J'ai fait une très grosse bêtise petite sœur, je l'ai trahie. Disait-il entre deux sanglots me serrant comme si j'étais la seule chose à laquelle il avait le droit de s'accrocher.

- Que s'est-il passé ?

Il posa sa tête sur mes genoux, se recroquevillant comme un fœtus puis lâcha derechef :

- Je l'ai trahie.

Je lui caressais alors les cheveux pour le rasséréner. Je n'avais rien demandé de plus même si je brûlais d'angoisse. Il n'avait rien rajouté non plus. Son regard était fixe et perdu au sol. Nous restâmes comme ça pendant un bon moment, telle une famille où, pendant les moments de peine partagée, chacun voulait soulager les maux de l'autre, mais aucun n'avait les mots. Je ne savais pas quoi dire à un frère qui venait de perdre son enfant dont il ignorait l'existence et dont la mère venait de ressusciter. Maman ne m'avait pas initiée à ça. Elle seule devrait être là. Son fils allait avoir besoin d'elle, je le sentais.

Habib se lava brusquement :

- Ramène les enfants à la maison et prépare les pour l'école s'il te plait. Elle n'aimerait pas qu'ils ratent les cours. Y a des indications dans une sorte de planning dans la cuisine. Je vais voir le médecin. Fit-il en se frottant les yeux.

J'opinai du chef. Les enfants avaient demandé après leur mère et j'avais répondu qu'elle dormait et qu'ils pourraient la voir en rentrant de l'école. Que se passait-il dans leur foyer ? Entre Papa et Maman ? Je priais au fond de moi pour que ce ne soit pas aussi grave que ce que la mine de Habib laissait transparaître. « Je l'ai trahie ». Mais de quelle trahison parlait-il ?

J'avais profité que les enfants soient à l'école pour retourner à l'hôpital. J'attendais dans la chambre, assise en face du lit où Linguère dormait. Habib était dans un coin de la pièce, comme s'il avait peur de lui transmettre un quelconque virus. Des heures plus tard, elle s'était enfin réveillée.

- Nabou bou lakal é ! (Nabou la terrible !) (Nabou est un diminutif de Seynabou aussi). Me lança-t-elle, avec son sourire fatigué, alors que je fixais les perles de mon chapelet s'entrechoquant l'une sur l'autre.

- Hey !!! Avais-je dit en cœur avec Habib qui se rapprochait, le pas hésitant.

Mais Linguère tourna la tête et le stoppa vite dans son élan.

- Dégage ! fit-elle, d'un ton calme et sec à la fois.

- Dégage je t'ai dit. Reprit-elle, voyant Habib statique.

Il tenta de dire quelque chose mais se ravisa puis s'exécuta. J'étais officiellement témoin d'une embrouille familiale dont j'ignorais la cause. Et c'était gênant.

- Je vais prévenir le médecin. Dis-je, ne sachant pas quoi faire.

- J'ai perdu le bébé c'est ça ?

- Oui ma douce, désolé je...

- Les enfants sont là ?

- Non ils étaient là ce matin mais je suis venue les récupérer.

- A quelle heure ?

- Entre 5h et 6h du matin.

Elle secoua légèrement la tête en fermant les yeux puis repris :

- C'est son fils.

- Quoi ? Qui ? Demandai-je.

- Karim. C'est son fils.

Le médecin arriva à cet instant, sûrement prévenu par Habib, et me demanda de sortir. D'ailleurs celui-là, il fallait vraiment qu'on parle, maintenant.

« A la longue, de toute manière, ce qui est secret est connu par tout le monde. » Ahmadou Kourouma

Linguère  -  (Terminée) Where stories live. Discover now