Huitième Partie - 2

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Habib

« Le courage n'est pas l'absence de peur mais la capacité de la vaincre. » Nelson Mandela

« Habib Waly Ndiaye dama beug nga wouyou si ma légui (Je veux que tu viennes me voir sur le champ) ». C'étaient les paroles lancées par ma maman sur un ton sec, annonciateur du sujet qui allait nous confronter en ce matin dominical. J'arpentais les routes de Dakar, mon cœur battant la chamade. Qu'allais-je bien pouvoir lui dire. Je connais la raison de cette convocation. Elle savait tout maintenant. Linguère lui avait-elle dit ? Ou Seynabou ? Dans tous les cas elle savait. Elle savait maintenant et il fallait faire face à cette situation que j'ai redoutée pendant des mois. Nul ne peut repousser éternellement un rendez-vous. A un moment donné soit on annule, soit un jour-j finit par arriver et là, plus d'échappatoire. J'y étais, maintenant. Maman était là.

Cela faisait des décennies que je ne me souvenais plus de la portée de sa main sur ma peau. Celle-là je l'avais sentie. J'avais senti cette gifle avec une telle surprise que je m'affalai par terre. Puis, torpeur, dans laquelle je me réfugiai pour fuir. Fuir une réalité réelle. J'entendais l'écho de sa voix qui me parvenait au ralenti. Elle était dans tous ses états, ma pauvre petite maman. Puis, silence ! Silence jusqu'à ce qu'elle me tende ce verre d'eau qui signifiait « Allô la terre ». Je saisis alors le récipient et plongeai mon regard dedans comme s'il contenait tout ce que Maman avait à me dire. Je l'écoutai religieusement.

- Habib, mon fils ! Avais-tu continué cette étourderie ? As-tu eu un enfant avec cette fille sans nous le dire ?

J'acquiesçai de la tête sans oser la regarder. Elle marqua une pause puis reprit son discours dans un ton à la fois solennel et rempli de compassion. Pas pour moi, mais pour Linguère. Elle aurait pu me gourmander de ces paroles usuelles de « Comment as-tu pu ? », « Qu'est ce qui t'a pris ? ». Mais elle n'en fit rien. La question n'était pas comment ai-je pu, puisque cela s'était fait. L'équation c'était qu'allais-je faire, maintenant, demain et pour l'avenir. Allais-je continuer à me comporter en lâche et m'accrocher à ma mutité au risque de perdre la femme de ma vie ou songeais-je à sauver ce qui restait de mon mariage ?

- Je l'aime comme ma fille, tu sais. Si je me mettais à imaginer quelle femme serait mieux pour toi, je suis sûre que je tournerais en boucle. L'aiguille de ma pensée reviendrait toujours à son origine : Linguère. Je ne te dirai pas que c'est la meilleure des femmes au monde. Pour cela je pense que nous avons déjà nos figures. La vierge Marie, Sokhna Khadija, Sokhna Aïcha, Sokhna Diarra et j'en passe. Et de bonnes femmes, des femmes bien, je pense qu'on en croise une pléthore dans une vie. Mais je crains qu'une seule ne soit meilleure pour un homme, et dans son cœur. Je peux le dire sans une once de doute, Linguère Dial Diop était pour Habib Waly Ndiaye, la meilleure. Il n'y avait qu'à vous voir, deux belles victimes de Cupidon, naviguant sans crainte sur l'océan mitigé de l'amour, sur votre barque scintillant pour mille et une raisons au clair de lune. Et parmi, ces raisons, vos jumeaux. M'entendre parler au passé te fait peur, n'est-ce pas ?

- ...

- Tu as le droit d'avoir peur Waly. Mais tu ne dois nullement craindre ta femme. Tu dois l'aimer et la respecter, l'honorer. Tu dois te respecter toi-même ainsi que votre projet, vos promesses et tout ce que vous avez construit. « Gor tcha wax ja » (Ce qui fait une personne honnête et loyale c'est le respect de la parole donnée). Dans ton cas, des promesses ont été rompues, tu les as brisées. Mais ne vois pas ta femme comme une ennemie contre laquelle tu dois te dresser, pour te défendre, pour survivre. Voici l'erreur que les deux sexes commettent souvent. Ils se divisent en deux camps, à la recherche d'une identité, d'une place, quitte à se dresser contre l'autre qui ne lui laisse miette non plus. Chacun cherchant à soumettre l'autre à sa réalité, tel un ennemi à asservir. Mais nous ne sommes pas dans un champ de bataille. Alors pourquoi nous comportons-nous comme des gladiateurs ? Notre destin, c'est de vivre ensemble sur cette terre, il n'y a aucun autre endroit où nous pouvons nous échapper. Alors vivons bien ensemble. Ta femme n'est pas ton ennemie Habib. Tu as des droits sur elle comme tu as des devoirs envers elle. L'un était de lui rester fidèle et tu as échoué. Mais un échec ne doit freiner personne. On se relève et on retente le coup, d'une meilleure façon. C'est ce que l'on fait dans cette famille. Moi, je serai toujours ta mère. La maternité n'est pas une chose dont on se désengage. Dès lors que tu as été dans mon ventre, tu as été mon fils. Tu restes mon fils aujourd'hui, bon ou mauvais. Et tu le seras encore demain même dans le ventre de la terre « Yalla na yèx » (Que Dieu te garde encore longtemps parmi nous !). Et voilà ce qu'est Karim pour toi, un fils. Comporte-toi en père pour lui en commençant par le début, le présenter à sa famille et ce sans délai. Je t'ai éduqué de la meilleure manière que j'ai pu. Maintenant, va ! Va et arrange ta maison, arrange ta vie parce que personne ne le fera à ta place.

Les seuls sons qu'on pouvait entendre dans cette pièce avec ma maman que j'osais à peine regarder, étaient ceux d'une respiration qui témoignait de mon malaise. Je n'avais que rajouter à ces paroles remplies de sagesse, que seule ma maman avait le génie et l'extrême bienveillance de trouver, pour n'importe quelle situation. Ma femme m'attendait, à la maison, avec nos enfants. Je lui avais promis de revenir vite. Il fallait que j'aille la retrouver, ma femme. Ma Femme.

« Celui qui passe à côté de la plus belle histoire de sa vie n'aura que l'âge de ses regrets et tous les soupirs du monde ne sauraient bercer son âme. » Yasmina Khadra.

Linguère  -  (Terminée) Where stories live. Discover now