Huitième Partie - 1

2.9K 445 10
                                    

Linguère

« Qui a déjà pleuré de chagrin connaît le goût de toutes les larmes et le poids de l'impuissance. » Fatou Diome

Femme ! Il suffit de cinq lettres comme les cinq doigts de la main pour faire le monde. Porteuse de la vie, sur son dos elle porte l'univers. Malgré cela, certains osent quand même s'en prendre à elle. Quel toupet ! Faka'amu avait eu le malheur de tomber sur un qui ne méritait pas le nom homme. Animal aurait était plus adéquat. J'avais oublié tous mes tourments quand j'ai rencontré cette lumière du pacifique sur une île de l'Atlantique. Gorée ! Celui pour qui elle avait foulé la terre de Maba Djakhou Bâ ne l'était point. Ngor amou ko woon (Il n'était pas loyal). Son cœur l'avait guidé au Sénégal. Elle espérait y vivre un amour de mille et une couleurs, plus de mille et une nuits. Celui qui lui avait fait connaître ce sentiment si noble, qui l'avait fait grimper aux rideaux et avait fait danser le mbalaax à son cœur wallisien, n'était pas le bon sénégalais. Jeune fille joviale, toujours le sourire aux lèvres, sa voix était tel un doux chant des sirènes. Elle avait la généreuse habitude de laisser un bonjour aux ouvriers dans la rue, dessinant sur leurs visages, un sourire qui leur faisait oublier toute leur fatigue. Elle n'avait pas échappé à l'œil de lynx d'Ibra. Elle était venue s'installer au Sénégal avec son prince africain rencontré dans les rues de la ville de l'amour, Paris. Elle avait des projets dignes de l'héritière du Pacifique qu'elle était. Créer une grande entreprise de pêche et laisser le vent guider ses bateaux comme il l'avait toujours fait pour les pirogues de ses ancêtres. Elle l'avait réussi d'ailleurs. Une entreprise qui la mettait à l'abri du besoin, elle et son mari jusqu'au jour où ce dernier en avait décidé autrement. On aimerait bien savoir quel est le monstre qui change les hommes. Ou bien, Ibra n'avait pas changé. Il avait juste décidé de montrer la réalité de son âme. Ça avait commencé par une gifle. Puis un « Excuse-moi mon amour ! Je n'aurai jamais dû lever la main sur toi. Je ne sais pas ce qui m'a pris. » et puis tout le bla-bla. Et ça avait repris de plus belle. Une gifle par ici. Un coup de poing par là. Quelques coups sur les côtes. Et puis bim bam. Bim et Bam étaient maintenant des notes familières aux oreilles de Faka'amu. Elle était tellement mal en point une fois qu'elle avait fini aux urgences. Elle s'était fait un certificat médical, pour mettre fin à cette sauvagerie. Mais Ibra avait la langue fine. Il avait réussi à faire abdiquer sa douce. Heureusement qu'elle l'avait gardé bien caché quelque part, ce certificat médical. Heureusement. Le summum fût quand il lui déroba tout bonnement son entreprise des mains. Les filles défilaient dans la maison comme au supermarché. Plus aucun respect, aucune considération pour sa FEMME. Il l'avait finalement jetée à la rue, de sa propre maison, qu'il lui avait également volée, brûlant tous ses papiers. Elle était abandonnée à elle-même dans les rues sombres de Dakar, sans aucun repère, sans famille, aucune. Gorée lui rappelait son île à elle, Wallis. Elle avait décidé de s'y retirer attendant d'avoir le courage d'aller à l'ambassade de France pour pouvoir rentrer chez elle. Elle redoutait la réaction de son frère. Il ne sentait pas cette relation. Cette décision subite de tout plaquer pour les bras musclés d'un Hercule. Il saluait la réussite de sa sœur mais Ibra, il ne le sentait pas, et pour cause. Il n'était pas au courant des ténèbres dans lesquelles Ibra avait fait sombrer sa sœur. Mais quand deux étoiles se rencontrent, toutes les ténèbres se dissipent, le monde ne peut faire que briller. Oserait-il faire autrement ? Faka'amu ne voulait que trouver le meilleur moyen pour retourner à son île et recommencer à zéro et en mieux. Mais moi, je voulais aider une amie. Que dis-je ? Ma sœur du pacifique. Nous étions comme deux jumelles lointaines qui s'étaient enfin retrouvées. Je l'avais accueillie chez moi durant le voyage de Habib. Nous avions tellement partagé et nos cultures avaient des points de ressemblance. Le sens du respect pour les aînés, l'hospitalité et j'en passe. J'étais décidée à mettre quiconque à genoux pour que la justice triomphe, haut la main pour ma sœur wallisienne. Je voulais aussi que le nom de mon pays soit lavé avant que cet astre ne lui tourne le dos. Elle avait déjà une belle image et mes jumeaux et moi serions les plus beaux souvenirs qu'elle garderait du Sénégal, me répétait-elle quand je ressassais ma désolation pour le comportement infame d'Ibra. J'en oubliais les remontées acides que ma vie de couple me causait. Je m'étais plongée dans cette affaire, mobilisant tout mon cabinet. Le sexa pile de Khady avait joué en notre faveur auprès du procureur. L'affaire n'a pas trainé pour arriver devant le juge. Ibra avait commis l'erreur de s'adresser aux médias, criant à la diffamation. Beaucoup de français du Sénégal s'était ralliés à notre cause pour soutenir leur compatriote. Et on ne parlait que de ça à la télé. « Affairou borom entreprise bou am xaliss bi ak toubab bi » (L'affaire du monsieur, chef d'entreprise super riche et de la blanche), c'est ce que l'on entendait partout. Beaucoup de femmes avaient fait entendre leur voix sur les violences physiques. Nous avions fini par remporter le procès pour tous les chefs d'accusation, après des mois de lutte acharnée. Ibra avait fini derrière les barreaux pour tous les torts causés et Faka'amu avait repris son entreprise et tous ses biens. Mais elle avait décidé de tout arrêter et de rentrer à Wallis, du moins pour l'instant. Elle avait besoin de se ressourcer.

- Garde espoir en l'amour Linguère ! J'ai connu Ibra mais je reste persuadée que l'amour est rempli de belles facettes. Ceux qui l'enlaidissent ne sont que des usurpateurs. Alors garde espoir ! M'avait-elle dit lorsqu'elle me faisait ses au revoir.

- Je garde espoir en la vie, Faka'amu, tout comme tu as eu espoir en moi, répondai-je.

- L'espoir c'est tout mon être. Et j'espère que tu répondras à mon invitation sur mon île.

Elle s'était ensuite envolée vers le Pacifique, me laissant les souvenirs de son sourire et ses cils, ses longs cils noirs, comparables aux ailes d'un ange quand ses paupières se laissaient envoûter par la gravité. Elle avait gravé son prénom sur ma peau. Faka'amu, espoir en wallisien. On pouvait aussi y déceler des sonorités de l'amour, AMU.

Entre temps, Habib était revenu. Mais j'étais tellement absorbée par le monde de Faka'amu que j'en oubliais sa présence. Maman Daba aussi était rentrée. D'ailleurs, nous nous étions longtemps entretenues la veille.

Habib me tira de mes songes alors que j'étais sur le point de me mutiler en découpant le pain en tranches pour le petit déjeuner.

- Je voulais qu'on emmène les enfants voir leur grand-mère mais elle vient de m'appeler, elle veut que j'aille à la maison, seul. Je reviens bientôt.

Ani et Eli le suivait derrière avant de venir prendre place sur le tapis marocain pour un petit déjeuner digne d'un dimanche.

- D'accord !

« Ce monde est érigé sur le principe de la réciprocité. Ni une goutte de bonté, ni un grain de méchanceté ne resteront sans réciprocité. » Shams de Tabriz

Linguère  -  (Terminée) Where stories live. Discover now