Chapitre 40-1

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Quelques véritables heures plus tard nous nous trouvions debout au milieu de la clairière. Courbaturés, les yeux cernés et un ensemble de tambours sous le crâne, mais fidèles au poste, alors que l'aube dardait ses premiers rayons. Je frissonnais dans l'air frais et humide et instinctivement me rapprochait de Worth qui passa un bras autour de mes épaules et m'attira à lui pour me réchauffer. Je me laissai aller quelques secondes avant de m'écarter, les pieds mouillés dans mes baskets d'emprunt trempées par la rosée.

— Alors les tourtereaux, bien dormis ?

— Qu'est-ce que tu fous là, toi ? balançai-je d'un ton grinçant, lorsque River apparut entre deux blocs de pierres.

— J'apporte le café, comme convenu ! nous dit-il en nous montrant la vieille thermos en plastique bleu fatigué qu'il tenait dans la main droite, tout en agitant la gauche pleine de gobelets en carton.

— Tu ne devais pas nous l'amener plus tôt ? lui demanda Gabriel, tout en acceptant la tasse fumante qu'il lui tendait.

— Je ne voulais pas risquer de vous déranger ! lui répondit-il dans un clin d'œil.

Durant un instant, je crus que Worth allait perdre sa retenue légendaire et lui balancer son café au visage. Ou à tout le moins lui lancer une bonne réplique. Mais il se contenta de prendre une grande inspiration en le foudroyant du regard. J'acceptai à mon tour le gobelet qu'il me tendit, bien heureuse de pouvoir me réchauffer les mains à son contact.

— Où est Waahana ?

— Ici, me répondit-elle en avançant vers nous de sa démarche lente et mesurée, un plaid sur les épaules et un sac en papier dans les mains. Bien reposés ?

Je vis River réprimer un sourire, tandis que Gabriel grimaçait franchement. Il fallait dire que nous avions tous une salle tête. River et Waahana compris, nous avions tous l'air d'avoir envie d'être partout ailleurs plutôt qu'ici, à se geler les fesses au centre d'une rangée de cailloux !

— Je croyais que c'était moi, le roi de l'ironie ? lui balança River en se laissant lourdement tomber dans l'herbe humide de rosée.

— Le manque de sommeil et le stress me rendent spirituelle, lui répondit-elle en lui balançant le sac, qu'il rattrapa au vol. Sers-toi et partage, sinon je lui demande de te transformer en toast !

Puis, tandis que River s'esclaffait et extirpait un muffin du sac surprise, Waahana se saisit du plaid drapé sur ses épaules, le déplia d'un geste sec et l'étendit sur le sol.

— C'est atelier Pic-nic ? grommela Worth tandis que Waahana s'asseyait sur la couverture, nous invitant à la rejoindre.

— Croyez-moi, j'aurais cent fois préféré avoir cette conversation après douze heures de sommeil, au chaud autour d'une table, mais nous n'avons pas de temps à perdre. Les explications pendant que nous mangeons et ensuite la pratique avant que toute la colonie ne soit debout et ne puisse admirer vos exploits. Cet endroit est parfait car il regroupe les trois éléments.

— Ils ne sont pas censés être quatre ? Les éléments ? demanda River la bouche pleine en me tendant le sac.

— Si, bien évidemment. Mais d'après mes recherches, et ce que j'ai pu observer aurait tendance à confirmer le peu que j'ai découvert, chaque élémentaire à un élément dominant.

— Un peu comme nous avons notre animal totem ?

— Oui, exactement. A la différence, que cela était moins aléatoire que pour nous. Si deux élémentaires du vent avait un enfant, il y avait quatre-vingt-dix-neuf pour cent de chances qu'il soit un élémentaire du vent comme ses parents.

— Attendez une seconde ! Apparemment, je peux agir sur plusieurs éléments et mes parents étaient parfaitement humains, alors... comment est-ce possible ?

— Tout d'abord, les élémentaires ont disparu depuis très longtemps...

— Si c'est comme pour les loups-garous, tu risques de voir débarquer papi givré et mamie biscotte, plus vite que tu ne crois !

Nos trois regards noirs, agacé et exaspéré se braquèrent sur River avec un timing impeccable, lui clouant le bec. Même si, cela dit, il n'avait pas tout à fait tort sur le fond. Les loups-garous étaient bien parvenus à faire croire à leur éradication complète durant plusieurs siècles ! Il en était peut-être de même pour les élémentaires ?

— Donc, reprit Waahana dans un petit claquement de langue agacé. Votre héritage à sûrement dû sauter plusieurs générations, les mystères de la génétique ! Tous les élémentaires pouvaient manier les quatre éléments, mais un seul à la perfection. Les trois autres leur demandaient plus d'efforts et de concentration pour une maîtrise bien moindre.

— Alors selon vous, je suis comme ses... anciens. J'ai un élément dominant ?

— Je pense que c'est un peu évident, non ?

— J'en ais encore chaud au fesses, Mister brasier ! Il n'y a que vous pour amener un élémentaire de feu se planquer en pleine forêt !

— Avant de le voir en action, je ne pouvais pas deviner ! Et puis, ce n'est pas comme si nous avions eu l'embarras du choix en termes de replis ! soupira Waahana.

Worth ne disait rien, essayant visiblement d'encaisser tout ce qu'il était en train d'apprendre. Un frisson me parcouru soudain tandis que la température chutait soudain de plusieurs degrés.

— Si je suis réellement un élémentaire du feu, comment puis-je provoquer ça sans même en avoir conscience ? demanda Gabriel, alors que de gros flocons blancs se mettaient à voleter autour de nous.

River et Waahana fixaient la chute cotonneuse d'un regard éberlué, laissant les flocons se poser et fondre sur leur mains, comme pour s'assurer qu'ils étaient bien réels.

— Vous avez dû...

— Ce n'est pas la première fois que cela arrive, intervins-je, plusieurs souvenirs me revenant en mémoire. Et à chaque fois, tu étais... triste ou en colère, réalisai-je en même temps que je l'exprimais à voix haute.

— C'est le cas maintenant ? lui demanda Waahana.

— Qui ne serait pas en colère avec tout ce qu'il se passe ? répliqua-t-il d'une voix effectivement coléreuse et glaciale, très bien assortie au nouveau climat polaire de la clairière.

— Ta théorie est intéressante, mais il y a un hic ! Hier aussi il était en colère, et nous avons plutôt eut droit à l'ambiance barbecue !

— Oui mais ce n'était pas la même colère ! compris-je soudain. Hier tu as réagi à l'instinct, nous étions en danger, c'était plus de la fureur spontanée. Alors que là, c'est de la colère réfléchie, froide et rentrée...

— Et quand tu es heureux et détendu, il se passe quoi ? demanda de nouveau River.

— Rien... il ne se passe rien.

— Ça, vous ne pouvez pas le savoir, lui rétorqua Waahana. Et si nous mettions cette théorie à l'épreuve ? 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant