Chapitre 3-1

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* Mis à jour le 24.03.22*


Tout avait disparu autour de moi. Seuls les murs gris dégoulinants d'humidité d'une usine désaffectée m'entouraient à présent. Je savais très bien où je me trouvais, du moins où mon esprit était retourné. Le froid intense et piquant me gelait les os et le temps semblait s'être arrêté. Seule une goutte d'eau tombant régulièrement d'une gouttière percée, rythmait mon supplice.

— Hannah ?

La voix interrogative et troublé de Worth me sortit de mon terrifiant flash-back, qu'un seul et unique petit mot sur un écran avait réussi à provoquer.

— Un problème ? me demanda-t-il en cherchant mon regard.

— Le boulot, lui mentis-je d'une voix un peu serrée, toujours tourmentée par mes terribles souvenirs. Je vais devoir vous laisser.

— Maintenant que tu es officiellement adjointe à l'enquête, ton boulot de représentation bidon passe au second plan et ne me dis surtout pas que ça te dérange ! me sortit-il d'un ton excédé.

— Va expliquer ça à mes patrons ! Ils sont loin d'être aussi conciliant que les tiens ! lui envoyai-je avant de me retourner, la main déjà posée sur la poignée.

— Aucun soucis, donne-moi leur numéro ! m'ordonna-t-il, le téléphone déjà en main lorsque je tournai la tête pour le foudroyer du regard.

J'aurais pu ne pas relever sa remarque et partir sans me retourner, je ne pense pas qu'il m'aurait arrêté... mais quelque chose me retint. Quelque chose dans son regard, qui semblait me dire « Ne part pas. Je peux t'aider... je veux t'aider ». À moins que ce ne soit plutôt ce que mon cœur d'artichaut avait envie d'entendre. Non mais depuis quand étais-je sentimental comme ça ? ça devenait ridicule ! Mais mon hésitation avait été révélatrice pour Worth qui revint à l'attaque aussitôt.

— Pas de soucis, je vais trouver tout seul, me dit-il en pianotant avec une dextérité impressionnante sur le clavier de l'ordinateur portable posé sur son bureau.

— Tu ne venais pas de dire que c'était elle qui avait proposé de nous aider ? releva soudain l'inspectrice Monroe, à qui on ne la faisait pas facilement apparemment. Vu d'ici on aurait plutôt l'impression que tu lui forces la main.

À mon grand étonnement Worth ne releva pas, continuant ses recherches comme si elle n'avait jamais ouvert la bouche.

— Vous savez, on n'a pas besoin de votre aide ! m'interpella-t-elle au bout de quelques secondes. Allez donc prendre la pause pour les photographes, vous serez sans doute plus utile qu'ici.

Son regard provocateur et agressif était resté rivé au mien tout au long de sa tirade, me renvoyant tous le mépris que je lui inspirai.

— Envoie leur un mail officiel, ce sera plus efficace, dis-je à Worth, sans toutefois quitter Monroe du regard.

Si elle avait voulu accélérer mon départ, c'était raté ! Elle m'avait au contraire incité à rester et à comprendre pourquoi elle me détestait autant alors qu'on ne s'était jamais rencontrer. Une petite voix insidieuse au fond de moi me disait que je me cherchai des excuses mais je l'envoyai bouler d'une claque mentale bien sentie.

— Vous ne savez pas que l'on ne doit jamais fixer un prédateur dans les yeux ? la provoquai-je à mon tour en lâchant la poignée et en comblant le peu de distance qui nous séparait.

— Vous, un prédateur ! Vous n'êtes qu'un piaf ! fanfaronna-t-elle en se levant pour me faire face, bien qu'une légère trace de peur eût traversé son regard l'espace d'une seconde.

Debout nous faisions la même taille, environ un mètre quatre-vingt avec mes talons, ce qui signifiait qu'elle était plus grande que moi et cette constatation lui amena un petit sourire suffisant sur les lèvres. C'était donc ça le problème, la vanité ! Elle n'avait pourtant pas l'air du genre de femme qui ne supporte pas la concurrence... à moins qu'elle ne défende son territoire ? compris-je d'un seul coup. Se pourrait-il qu'elle soit en couple avec Worth ? me demandai-je, mon cœur se serrant étrangement à cette idée. Après-tout qu'est-ce que cela pouvait me faire...

— Mais pas n'importe quel oiseau, lui susurrai-je en approchant mon visage du sien. Vous voulez peut-être une petite démonstration ?

Qu'est-ce que j'aurais aimé me métamorphoser là, devant eux, sans prévenir ! J'imaginais d'ici leurs têtes ! Mais malheureusement ce n'était que du bluff car la pièce était bien trop petite pour que je me risque à l'exercice, mais ça, j'étais la seule à le savoir et l'éclair de doute et de peur qui traversa les iris d'Eléa, fut une récompense suffisante pour mon égo.

— Je rêverai de voir ça, chuchota Forester à l'oreille d'Allistaire, dont il venait de se rapprocher.

— ça suffit ! intervint Worth d'une voix fâchée en refermant avec force l'ordinateur portable. Le mail est envoyé et vient d'être lu, me dit-il en m'épinglant de son regard perçant. Attends-toi à recevoir un coup de fil. Monroe, soit tu acceptes la situation, soit tu dégages !

— Quoi ! s'indigna cette dernière, en profitant pour s'éloigner de moi de quelques pas. C'est elle qui s'incruste sans prévenir et c'est moi que tu vires ! Tu ne peux pas faire ça, c'est n'importe quoi ! Je mérite ma place ici, je...

— Oh que si j'en ai le pouvoir, lui répondit-il d'une voix froide et tranchante. Vous êtes tous sous mon commandement et je te virerais sans le moindre remord si tu ne cesses pas de te comporter comme une gamine ! Est-ce que c'est clair ?

Je la vis serrer les poings et me jeter un regard haineux pendant qu'elle rongeait son frein, paraissant réfléchir à toute vitesse.

— C'est moi qui l'ai provoqué... n'en parlons plus ! dis-je en retournant à ma place sous le regard surpris de tous les occupants de la pièce, y compris Worth.

J'avais peut-être une réputation de reine des glaces mais cette fille ne m'avait rien fait et je ne voulais pas qu'elle perde son job à cause d'un vulgaire crépage de chignon. Elle me regarda à nouveau, pas vraiment radoucie à mon égard mais finalement se rassit en croisant ses mains sur ses genoux d'un geste rageur.

— Bon, si nous nous y mettions ! reprit Worth en récupérant une chemise en carton souple dans le tiroir de son bureau. Forester, va prendre une pause ! ordonna-t-il au pauvre bleu qui sursauta en entendant son nom aboyé et s'empressa de sortir sans demander son reste.

Worth ouvrit la pochette et commença à étaler des photos sur le bureau avant de me faire signe d'approcher. Mon téléphone se mit à sonner me bloquant dans mon élan tandis qu'un frisson incontrôlable d'appréhension me traversait. Fébrile, j'avais presque peur de le sortir de ma poche. Au bout de la quatrième sonnerie et les regards attentifs braqués sur moi, je dus bien me résoudre à répondre. Lorsque je vis le numéro de « Jane » affiché sur l'écran, un intense soulagement m'envahit et c'est d'un geste désinvolte que j'appuyai sur refuser avant de rejoindre les trois inspecteurs qui m'attendait.

— C'était mon boulot, je rappellerai plus tard, expliquai-je devant le regard interrogatif de Worth braqué sur moi. En quoi puis-je...

Les mots se tarirent brusquement dans ma gorge lorsque mon regard tomba sur l'une des photos étalées devant moi. Sur le papier glacé, le corps affreusement mutilé d'une femme s'étalait et sur son bras, au milieu des nombreuses lacérations, une marque semblait me narguer, remplissant mon cerveau de signaux d'alarme et d'effroi. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant