Chapitre 7-2

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*Modifié le 14.04.22*


— Pourquoi ? finis-je par lui demander d'une voix blanche, à la limite de l'agressivité.

— Pourquoi, quoi ? me répondit-il sur le même ton.

— Pour quelle raison veux-tu le savoir ? ça ne changera rien à ce qu'il s'est passé et ça ne te regarde pas !

Il ferma les yeux quelques instants, avant de prendre une grande inspiration et de se pencher un peu plus vers moi dans l'habitacle, ses doigts à quelques centimètres de mon bras.

— Ne me touche pas ! m'exclamai-je en me reculant contre la portière.

— Je te révulse à ce point-là ?

— Tu ne remarques donc pas que plus nous sommes proches, plus le lien créé involontairement par nos échanges de sang se renforce ? m'énervai-je, ne voulant pas lui révéler l'autre vraie raison de mon repli stratégique.

— Pourquoi tu l'as fait, alors ? Tu connaissais très bien les conséquences. Pourquoi ne m'as-tu pas laissé mourir dans cette cellule ?

Son ton s'était durci à chaque mot, tandis qu'il s'avançait un peu plus et, volontairement et d'une poigne de fer, s'emparait de mon poignet pour m'empêcher de me dérober de nouveau.

— Je ne sais pas ! ça te convient comme réponse ? m'écriai-je, tentant de me dégager, plus pour la forme qu'autre chose.

Car, soyons honnête, si je l'avais réellement voulu, rien ne m'empêchait de briser la vitre, ou de m'emparer des clefs pour sortir de cette fichue bagnole. Il y avait encore quelques jours, c'était très certainement ce que j'aurais fait et sans même une hésitation. Mais le retour de Kane avait changé la donne. Il m'avait fragilisé à tel point que je m'étais précipitée vers le commissariat et la protection de Worth, sans même réfléchir. Certainement une conséquence de ce lien, que je cherchais désespérément à fuir depuis sa création malencontreuse... à moins que je ne me cherche encore de fausses excuses ? me titilla ma conscience.

— Enfin une réponse franche et honnête, ça change ! commenta-t-il avec un petit temps de retard et un sourire amer.

Un ricanement cynique retentit dans mon esprit. Le pauvre, s'il savait que c'était peut-être le plus gros mensonge que je lui avais balancé jusque-là ! S'il y avait bien une seule chose dont j'étais certaine, c'était le pourquoi de cet acte dangereux et irréfléchi. Lorsque nous l'avions retrouvé, enchaîné et martyrisé, sa vie ne tenait plus qu'à un fil. A la seconde où je l'avais vu, j'avais su que je ne voulais pas qu'il meurt. C'était moi qui avais insisté pour lui donner mon sang, malgré les mises en garde de mes compagnons métamorphes. Hormis le lien qui s'était créer entre nous, je ne l'avais pas regretté une seconde depuis. J'avais juste pensé que l'éviter suffirait à régler le problème, mais je m'étais trompée.

— A moins, qu'une fois de plus, tu ne veuille pas me dire la véritable raison ?

— Puisque, apparemment, on en est à la minute de vérité, le contrai-je avec une pointe d'ironie. Toi, tu sais pourquoi tu l'as fait ? Rien ne t'obligeait à me donner ton sang, on ne se connaissait que depuis deux heures à peine !

— C'est vrai, tu as raison. Je l'ai fait sans vraiment réfléchir, parce que la situation était désespérée et que l'on m'avait bien expliqué que sans ça, tu mourrais. Pour être tout à fait honnête, je pense que j'aurais agi de la même manière avec quiconque en aurait eu besoin. C'est dans ma nature, je dois vraiment être trop bête ! Mais de ton côté, en revanche, c'est différent. Tu connaissais parfaitement les conséquences et ce n'est pas dans ta nature profonde de prendre ce genre de risque à la légère. Depuis mon réveil dans cette geôle sordide, ma tête sur tes genoux et ton sang plein la bouche... je ne cesse de me demander pourquoi tu l'as fait ? finit-il dans un murmure, son regard cherchant le mien.

Je me dérobai durant quelques secondes, avant d'être happée par son regard hypnotique. Ses yeux n'étaient pas seulement beaux, ils reflétaient aussi sa gentillesse et sa profonde intégrité et c'est à cet instant que je sus. Il représentait tout ce que Kane n'était pas et ne serait jamais. Une personne aimante, désintéressée et fiable sur qui on pouvait se reposer et compter en toutes circonstances. Il nous l'avait prouvé à maintes reprises, au cours des évènements terribles des derniers mois, mais c'était seulement maintenant que cela m'apparaissait comme une évidence.

Perdue dans mon introspection, je ne me rendis compte que nos têtes s'étaient rapprochées l'une de l'autre qu'à l'instant où nos lèvres furent sur le point de se frôler. Je lus l'interrogation dans son regard, sa demande tacite de permission. Il me suffirait d'un simple mot ou geste, pour qu'il s'écarte et ne tente rien, sauf que je ne fis rien.

Avec une lenteur extrême, il combla l'infime distance qui nous séparait encore, me laissant le loisir de me dérober et fuir, comme à mon habitude. Ce, qu'à ma grande surprise et pour la seconde fois en quelques secondes, je ne fis pas.

Ses lèvres se posèrent enfin sur les miennes en un baiser tendre et fragile. Il était doux et hésitant, même lorsqu'il glissa sa main dans mes cheveux pour intensifier notre baiser, ses gestes restaient affectueux et emprunts de... quelque chose que je n'avais jamais ressenti jusqu'à présent. Même si j'avais conscience que me laisser aller dans ses bras était une bêtise monumentale, le réconfort que cette étreinte m'apportait était trop intense pour que j'y mette fin.

Glissant ma langue entre ses lèvres, je pris les commandes, me délectant de son petit sursaut de surprise, vite oublié lorsque j'enroulai ma langue autour de la sienne en un baiser profond et passionné. Ses bras s'enroulèrent autour de moi, alors qu'il m'attirait un peu plus contre lui, gêné par la console centrale. Sa bouche glissa jusqu'à mon cou, qu'il parcourut d'une myriade de baiser, avant de relever légèrement la tête.

— Regarde-moi, me demanda-t-il dans un murmure pressant.

J'ouvris les yeux une fraction de seconde, mais assez pour lire la surprise, le doute et l'interrogation muette de son regard. Où allions-nous ? Ce qui venait de se passer, voulait-il dire quelque chose ? N'ayant aucune réponse à lui fournir, j'enfouis ma tête dans le creux de son épaule, profitant encore quelques instants de cette parenthèse magique et apaisante, qui n'aurait jamais dû se produire. Au lieu de me presser, comme d'autres l'aurait fait, il ne dit rien et se contenta de me tenir contre lui, me caressant tendrement le dos, tandis que de petits baisers, légers comme des plumes, s'égaraient par moment sur mes cheveux.

— Une fois sortis de cette voiture, tu ne voudras plus en reparler, c'est ça ? finit-il par me demander, sans aucune accusation dans la voix, mais plutôt comme un état de fait inévitable.

— Et toi ? chuchotai-je d'une voix timide qu'il n'avait jamais dû entendre, même si je savais pertinemment que sa réponse ne changerait rien à ma décision.

— Quel que soit mon ressenti ou mes envies, je respecterai ta décision.

Je sentis un poids s'envoler de mes épaules et me laissai aller un peu plus à son étreinte dans un soupir un petit peu trop proche du sanglot à mon goût. Je n'aurais pas dû céder et me laisser aller au réconfort et au faux sentiment de sécurité que m'inspirait cet homme. J'en avais besoin, désespérément besoin, me rendis-je compte tout à coup, mais cela risquait aussi de m'affaiblir à un moment où je me devais d'être forte.

— Même si ta carapace de reine des glaces m'exaspèrera toujours autant, maintenant au moins, je comprendrai un peu mieux pourquoi tu l'endosses avec autant d'application, reprit-il, son souffle doux caressant mes cheveux. Sois franche, tu as accepté ce baiser pour ne pas répondre à ma question ?

Son ton était léger, à la limite de la plaisanterie, et ne sourdait plus l'agressivité comme quelques minutes auparavant.

— Tu as vraiment besoin de me l'entendre dire ? lui demandai-je en me dégageant enfin de son étreinte pour pouvoir le regarder dans les yeux. La réponse, tu la connais déjà.

— Oui, me répondit-il simplement en effleurant mes lèvres d'un baiser rapide avant de me reprendre contre lui, pour me serrer tendrement dans ses bras.

Nous restâmes là, un temps indéterminé, jusqu'à ce que son portable sonne, nous ramenant impitoyablement au présent et aux horreurs qui nous attendaient dès que nous serions sortis de la voiture. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant