Chapitre 37-2

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— Tu étais partie où, là ? me demanda doucement Worth en posant sa main sur mon bras.

— Quelque part où je n'aurais jamais cru avoir envie d'aller, murmurai-je en me retournant.

La forte envie que je ressentis de me blottir dans ses bras, m'effraya presque autant qu'elle m'énerva. Dans l'intimité d'une chambre c'était une chose, mais en public... je n'étais pas encore prête pour ça. Ce que Worth avait parfaitement compris, ce qui, paradoxalement, m'énerva encore plus ! Je sentis sa main quitter ma peau et dans un geste presque inconscient, le retins du bout des doigts.

— Allez, viens manger quelque chose, me dit-il avec un petit sourire en dégageant sa main, pour me guider vers le feu, sa paume à présent discrètement placée au creux de mes reins.

Toujours perturbée par tous les sentiments qui s'entrechoquaient en moi, je ne me rendis vraiment compte que j'étais assise, une brochette fumante à la main, que lorsque la chaleur du feu me réchauffa le visage.

— Quelles sont les nouvelles ? demandai-je aussitôt à Jude, en partie pour cacher mon trouble, provoqué par les souvenirs que la brusque chaleur évoquait.

— Pas bonnes, j'en ai peur. Même si grâce à toi, nous avons gagné un répit salutaire et suffisant pour que la plupart des nôtres puissent se cacher.

— Comment ça ? m'exclamai-je, manquant m'étrangler avec le morceau de poulet grillé que j'étais en train de déguster.

— Votre idée de virus, c'était du génie ! intervint une nouvelle voix, alors qu'une silhouette pour le moment indistincte, se dirigeait vers nous d'un bon pas.

— Cooper ! m'exclamai-je en voyant le jeune homme arriver. Heureuse que vous vous en soyez tiré ! lui dis-je avec sincérité, tout de même un peu honteuse de ne pas m'être enquise de lui plus tôt.

— Et nous aussi ! intervint une jeune femme que je ne connaissais pas d'un ton légèrement ironique, me sembla-t-il. Avoir un médecin formé à la chirurgie et connaissant nos spécificités et surtout celles de... nos invités surprises, c'est un atout non négligeable ! s'exclama-t-elle d'un ton clairement ironique à présent, en se laissant choir sur un siège libre, visiblement épuisée.

Elle était grande et athlétique, ses courts cheveux châtains ébouriffés renforçant cette impression. Mais ce qui me plu aussitôt chez elle, fut l'éclat sarcastique et franc que je lu dans son regard. C'était le genre de femme à dire ce qu'elle pensait sans détour, peu importe qui se trouvait en face d'elle, et vu la tête de Cooper, il venait sûrement d'en faire les frais.

— À présent, et comme à leur habitude, les humains s'enlisent et perdent du temps à chercher un coupable et à se renvoyer la balle ! Ce qui a retardé leurs actions et nous a permis de nous organiser. Sans compter que notre existence est heureusement et toujours cantonnée au rang de mythe ! continua Cooper, ignorant le compliment et l'intervention de la jeune femme.

— Ça pour être un mythe ! Vous étiez sensés avoir disparu depuis plusieurs centaines d'années et voilà que vous réapparaissez tout d'un coup en vous multipliant comme des lapins ! Vous ne me ferez pas croire que vous n'étiez pas au courant ! Ça n'inquiète personne que...

— Ysaline, ce n'est pas le moment ! intervint le père de Jude en se levant.

— Je pense que si, au contraire ! intervint Jude, devançant Cooper. Ce climat de suspicions n'est bon pour personne. Nous ne connaissons pas encore le fin mot de toute cette histoire, mais il est évident que ce jeune homme n'est pas impliqué. Même si Thomas ne s'en était pas porté garant, son comportement aurait suffit à me convaincre, et ce devrait être aussi ton cas Ysa !

Cette dernière baissa brièvement les yeux, avant de révéler la tête et faire un bref signe d'assentiment à Cooper, assortie d'un demi-sourire que ce dernier prit pour ce qu'il était, une proposition de trêve.

— La bombe « loup-garou » est donc sous contrôle ? demandai-je franchement, en ayant déjà marre de toutes ces précautions oratoires. Autant appeler un chat ou chat, ou plutôt ici, le grand méchant loup par son nom !

— Momentanément, me répondit Jude d'un air sombre. Heureusement, et grâce à toi, les humains ont été prévenu à temps. Les attaques ne ciblant que deux villes, toutes les victimes griffées ou mordues par des « métamorphes », ont été placées en isolement. Donc, « l'épidémie » souhaitée par les renégats est sous contrôle. Mais...

— Mais nous ne pouvons pas laisser tous ces nouveaux loup-garou entre leurs mains, continua le père de Jude. Tôt ou tard, ils finiront par comprendre de quoi il s'agit réellement, à moins que l'un d'entre eux ne s'échappe, ce qui serait aussi problématique.

Je voyais déjà où toute cette petite conversation allait nous mener et ça ne me plaisait pas du tout. Pas plus qu'à Cooper, dont je sentais le contrôle se fissurer de minute en minute.

— Et vous prévoyez quoi pour remédier à ce problème ? demandai-je pour en avoir le cœur net.

— Tu imagines très bien, non ? me répondit Cooper, tellement en colère qu'il en oublia de me vouvoyer.

— Nous sommes déjà presque en guerre ouverte contre les humains et votre idée est d'aller faire un raid sur les hôpitaux pour aller trucider toutes les victimes ?!

— Ce qui n'arrivera pas ! balança Jude, d'un ton autoritaire et mordant en foudroyant son père du regard.

— Pour cela, encore faudrait-il que tu acceptes de prendre la place qui est la tienne ! lui répondit ce dernier sur le même ton, un demi-sourire satisfait sur les lèvres.

Tout cela n'était que de la provoc et des jeux politique pour que Jude accepte de faire ce qu'il refusait depuis des années, le rôle de « roi » des Métamorphes, compris-je soudain, un peu plus longue à la détente que d'ordinaire. Même si ce dernier, jusqu'à présent, avait été plus symbolique qu'autre chose, à la lumière des derniers développements tragiques cela risquait de devenir un rôle très important pour notre avenir dans les prochaines semaines. Et à l'idée qu'il soit tenu par le très glacial et pragmatique père de Jude, j'en avais des sueurs froides.

— Il est peut-être temps, Jude ? Du moins provisoirement ? lui dis-je du bout des lèvres, comprenant parfaitement son désarroi et sa colère.

— Pour mettre toute ma famille en danger ?

— Nous le sommes déjà. Nous et tous les métamorphes, loup-garou et autres créatures surnaturelles de ce pays ! Et tu le sais très bien. Tu doutes de toi, c'est tout, et tu ne devrais pas ! lui dis gentiment Christina, en allant déposer un baiser chaste et rapide sur ses lèvres.

— Mon fils, tu sais parfaitement que si les prochaines négociations avec les humains échouent, ce ne seront pas seulement les nouveaux loup-garou qui seront condamnés à plus ou moins long terme.

Au mot « négociations », mon cœur fit un léger bond dans ma poitrine. Nous avions peut-être une chance d'éviter le pire, si les hommes laissaient planer le spectre des négociations ? Ils n'avaient sans doute pas plus envie que nous d'une guerre ouverte entre nos deux espèces ?

— Ce n'est que de la poudre aux yeux pour justifier la ségrégation et les arrestations arbitraire de métamorphes, qui ont déjà lieu ! s'exclama Ysaline d'une voix dure.

— Et on ne peut même pas leur en vouloir, Ysa ! Pas après ce qu'il vient de se passer. Ils ont peur, et ils ont raison !

— Mais là, où c'est elle qui a raison, c'est qu'apporter la preuve formelle que ces attaques étaient le fait d'un groupe dissident minoritaire en moins de cinq jours est parfaitement impossible ! Et ils le savent très bien ! intervint un homme que je ne connaissais pas.

Mon faible espoir se dégonfla comme un soufflé. Notre dernière chance aurait été de trouver Kane et de le livrer aux humains. Projet doublement problématique, car nous n'avions aucune idée de l'endroit où il se trouvait, ni les moyens nécessaire de le contenir sans le tuer ! Si cette dernière chose était possible d'ailleurs ! Ce salaud paraissait indestructible.

— Sans compter l'autre problème que personne n'ose évoquer ! intervint une voix familière que je n'avais pas entendu depuis longtemps. Ils veulent sa tête, dit River toujours à moitié dans l'ombre à la limite du feu de bois, en désignant Worth du doigt. Vous comptez le livrer, ou non ? 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant