Chapitre 30-2

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Ma position, censée être confortable et réconfortante pour nous deux, l'aurait été bien davantage si l'épaule et le bras sur lesquels je reposais n'avaient pas ressemblé à des bouts de bois !

— Pourquoi es-tu si crispé ? Le lit n'est pas si étroit et je ne suis pas en sucre ! ronchonnai-je d'une voix ensommeillée.

— Depuis quand es-tu si... tactile et câline, sans qu'il ait besoin de l'équivalent psychologique d'un match de boxe pour te convaincre ? me répondit-il d'une voix basse et suspicieuse, sans bouger d'un millimètre.

Surprise par son ton, je me redressai lentement et douloureusement sur un coude, avant de chercher son regard.

— Peut-être depuis que mon monde, et tout ce pour quoi je me bats depuis quelques mois est en train de disparaître ? Peut-être parce que l'on se trouve aux portes d'une guerre civile et que j'ai juste besoin de réconfort ? Ou peut-être, simplement, parce que c'est la position la plus confortable disponible dans ce p... foutu lit ! terminai-je d'une voix sourde et lourde de toute la peur, la douleur et la colère que je ressentais.

Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, je le vis se détendre imperceptiblement tout au long de ma diatribe. Il me fixa quelques secondes d'un regard sérieux, avant que les commissures de ses lèvres ne se redressent et qu'il finisse par se mettre à rire.

— Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle ?!

— Oh rien, rien du tout, me répondit-il en m'attirant doucement contre lui. Tu as raison, un petit instant de calme avant la tempête, c'est tout ce dont nous avons besoin pour le moment. Dors Hannah, me murmura-t-il dans un doux murmure, tandis que ses lèvres effleuraient mes cheveux.

Je me détendis entre ses bras. Protégée et momentanément à l'abri, je pouvais enfin autoriser mon corps à prendre le véritable repos réparateur dont-il avait besoin. Je le sentis se détendre enfin complètement contre moi et eus le temps de voir ses paupières se fermer avant que les miennes ne fassent de même. Au moment où nous sombrions tous deux dans le sommeil, nos esprits fusionnèrent brièvement et je pus ressentir sa fatigue dévorante mais surtout sa peur profonde, pour ses hommes, l'avenir et surtout pour... moi. Moi qui ne l'aimerais jamais et qui chercherait bientôt une nouvelle bonne raison de le repousser, à moins que ce ne soit la mort qui nous sépare... durant un court instant, il pouvait y croire, croire en un avenir heureux et un moment de tendresse et d'amour et il en profitait. S'il avait su que sur un point précis... il se trompait, pensai-je avant que nos esprits ne se déconnectent et que nous sombrions pour de bon dans le sommeil.

Ce fut de nouveau le bruit d'une machine qui me réveilla, mais cette fois-ci c'était le hurlement strident d'une alarme. Je me redressai et ouvris instantanément les yeux, imité par Worth. L'odeur de fumée qui chatouilla aussitôt mes sens, m'apprit tout ce qu'il y avait besoin de savoir, le son strident provenait de l'alarme incendie. Gabriel sauta du lit, aussi énergique qu'après huit heures de sommeil. L'adrénaline, ça peut faire ça, me remémorai-je en l'imitant sans même y réfléchir.

— Qu'est-ce que tu fais ? lui demandai-je alors qu'il s'approchait de la porte.

— Vérifier que ce ne soit pas une fausse alerte, me répondit-il en sortant son arme, qu'il dissimula aussitôt derrière sa cuisse.

— ça n'en est pas une, lui affirmai-je en rejoignant Allistaire, toujours inconscient. Tu ne sens pas la fumée ?

— Non, me répondit-il, en posant sa main à plat sur le battant de la porte. Je n'ai pas hérité de ton flair apparemment. Quoi qu'il en soit, la seule issue, c'est par cette porte. Je vais tenter d'apprendre de quoi il retourne, en attendant, essaye de réveiller Allistaire. Si ce n'est pas accidentel, il ne faudra pas traîner.

— Sois prudent, lui murmurai-je, alors qu'il se glissait dehors sans m'entendre.

La brève ouverture de la porte m'avait suffi pour voir des gens courir et laisser une fine fumée pénétrer dans la chambre. Cette dernière n'était pas épaisse mais suffisante pour me piquer la gorge et irriter les yeux. A l'étage où nous nous trouvions, les fenêtres ne s'ouvraient pas. Ce n'était pas légal, mais le bâtiment était vieux et les travaux de rénovations sensés le mettre aux normes, traînaient depuis des années faute de moyens. Ceux qui avaient provoqués cet incendie étaient-ils au courant ? Comptaient-ils là-dessus pour tous nous éliminer, en faisant passer cela pour un accident ? Car, soyons lucide, les chances que ce sinistre soit réellement accidentel était proche du néant, et Worth le savait parfaitement. Il était juste parti en éclaireur pour trouver un moyen d'évacuer Allistaire. Il n'était pas du genre à abandonner ses hommes.

Anxieuse et de plus en plus incommodée par la fumée qui s'épaississait de minute en minute, je me penchai sur Allistaire et le secouai pour tenter de le réveiller. J'étais sur le point de tenter la gifle, au terme de cinq tentatives infructueuses, lorsque Worth revint dans un tourbillon de fumée grisâtres et étouffantes.

— Des serviettes... vite, mouille des serviettes ! m'enjoignit-il entre deux quintes de toux déchirantes, arc-bouté sur le fauteuil roulant qu'il était parvenu à rapporter avec lui.

Je ne perdis pas une seconde et fit ce qu'il me demandait. Lorsque je revins dans la chambre, encombrée des serviettes imbibées, il était déjà en train de transférer Allistaire dans le fauteuil. La tête de ce dernier roula mollement sur le côté, toujours inconscient malgré l'agitation et la fumée qui s'épaississait. Sans attendre, j'enroulai une serviette autour de la tête d'Allistaire et devant sa bouche, avant d'en tendre une à Worth et de m'équiper à mon tour. Dès que l'éponge humide filtra les vapeurs nauséabondes, je pus respirer un peu plus librement, mais ça ne durerait pas, nous devions sortir de là au plus vite.

— Le feu a prit à cet étage, dans la lingerie et vue comment il se propage vite, ce n'est pas accidentel, m'informa Worth en se ruant hors de la chambre.

Après cette confirmation déprimante de ce que nous supposions depuis le début, nous n'eûmes plus le temps, ni assez d'air pour parler. Partout c'était le chaos et les flammes semblaient se propager à une vitesse surnaturelle. Le personnel tentait d'évacuer autant de malades qu'ils le pouvaient, mais il était évident que tout le monde ne s'en sortirait pas. J'étais déchirée entre l'envie dévorante d'aider ces gens et la logique qui m'affirmait, qu'à part nous faire tuer, cela ne changerait pas grand-chose. Nous parvînmes à nous frayer un chemin jusqu'aux ascenseurs, évidemment hors service. Le monte-charge des urgences, branché sur groupe électrogène, fonctionnait toujours, mais une queue de plusieurs mètres bloquait presque le couloir y conduisant.

N'ayant d'autres choix nous rebroussâmes chemin vers les escaliers, en même temps que toutes les personnes encore capables de marcher. Entre-temps, le feu avait encore gagné du terrain et d'avides langues orangées commençaient à lécher les murs non loin de la double porte prise d'assaut. Worth stoppa un ou deux mètres avant la cage d'escalier, parqua le fauteuil brutalement le long d'un mur et sans ménagement, saisit Allistaire à bras le corps et le jeta sur son épaule à la façon des pompiers avant de se diriger vers l'escalier, tanguant un peu sous le poids mort de son collègue. Nous allions franchir la porte menant aux escaliers lorsque j'entendis les pleurs. Des pleurs ténus et déchirants, provenant du couloir en feu. Sans réfléchir et sans réellement comprendre pourquoi je faisais cela, je bifurquai brusquement vers la droite en direction des plaintes. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant