Jake

193 24 0
                                    


Je m'en souviens comme si c'était hier.

J'entendis une porte claquer et une voiture démarrer. Je compris qu'elle était partie. J'essuyai les larmes de mes joues avec la manche de mon tee shirt et me mis à renifler.

Je me précipitai vers la fenêtre et suivait des yeux le taxi noir s'éloigner. Je restai là immobile dans ma tristesse et une douleur envahit mon petit corps d'enfant. Je souffrais. J'avais mal au fond de moi et pourtant je me sentis si vide, dénué de toute émotions. Le manque s'installait déjà. C'était donc ça lorsqu'on disait à quelqu'un « tu me manques ». Cette souffrance insupportable qui nous fait croire à un moment que la vie est terminée ou qu'elle ne sera jamais plus belle.

Une sorte de trou noir dans lequel je me sentis tomber, complètement désarticulé tel un pantin à qui on aurait coupé les fils. Je me sentis bien seul tout à coup et pourtant quelqu'un d'autre devait souffrir tout autant que moi sinon davantage mais différemment, la souffrance n'est pas la même pour chacun d'entre nous, mon père.

Je l'avais vu essayer désespérément de la retenir mais il l'avait laissé prendre ce taxi. Si j'avais pu du haut de mes huit ans, je lui aurais couru après dans les escaliers, j'aurais crevé les pneus de son taxi, je me serais accroché à ses jambes. Peut être que c'est ce qu'il aurait voulu faire lui aussi mais comme moi, il fut pétrifié sur place comme ces soldats de mon livre de mythologie lorsqu'ils croisèrent le regard de la Gorgone. Moi ce n'était pas son regard qui m'avait pétrifié. Je l'ai croisé. Implorant, vide, désespéré et effrayé. J'ai sentis qu'elle avait mal, qu'elle souffrait elle aussi. Et c'est cela qui m'avait fait pleuré.

Mon père, lui, n'a jamais vu ses yeux à ce moment là. Elle ne l'a pas affronté. Peut être avait-elle eu trop peur qu'il ne perçoive sa frayeur.

Je déambulai dans le couloir pour le retrouver, seul, dans la chambre de Lizzie. Debout devant la fenêtre il avait dû lui aussi regarder le taxi quitter la propriété. Je ressentis sa souffrance même de dos, je vis son abattement.

Il ne m'entendit pas entrer, trop enfermé dans les dernières paroles qu'elle avait prononcées. Tout ceci était arrivé si vite. Je m'approchai et mis ma main dans la sienne. Elle me parut si petite ! Il eut un léger sursaut puis serra fort ma main, le regard toujours fixé sur l'extérieur.

J'aurais voulu trouver les mots qui auraient pu abréger sa peine mais rien ne sortit. Peut être n'y avait-il rien à dire ou à ajouter ? Etait-il nécessaire de se dire à chacun à quel point elle allait nous manquer ?

Mais mon chagrin fut trop grand et comme mon père ne pleurait pas, j'éclatai en sanglot pour tous les deux. Je m'accrochai à sa taille, étouffant mes pleurs dans son pantalon. Mon père, la main sur mon dos, me serra fort contre lui. Il finit par me prendre dans ses bras et je me nichai dans son cou, inondant sa chemise de larmes sans fin.

- Chhh... me dit-il doucement, calme-toi, ça va aller .

Qui essayait-il de convaincre ? Lui ou moi ?

- Viens, descendons, allons boire un bon chocolat chaud, proposa-t-il sans émotion.

Mes sanglots comblaient le silence insoutenable qui avait envahit la maison. Mon père me posa sur une chaise et me fit face. Harold arriva avec son fameux chocolat chaud maison.

- Attention Monsieur Jake, c'est peut être un peu chaud, m'avertit-il.

Je croisai le regard de mon père.

R.E.A.LWhere stories live. Discover now