Chapitre 28 - Di Cohelo -

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Erwan était effondré. Il avait vu son avocat avec Nora la veille et celui-ci n'avait clairement pas été optimiste. La réunion avait été un mélange d'exposé légal et d'incrédulité. L'avocat avait appelé certains de ses collègues pour essayer de comprendre au mieux ce qui s'était passé, mais personne ne pouvait expliquer comment une telle procédure avait pu être menée si vite. Les demandes d'extradition n'étaient pas fréquentes, car elles supposaient des crimes majeurs. Ici, on ne parlait que de vol. L'ensemble du barreau s'interrogeait sur la coopération judiciaire entre pays qui d'habitude était si lente. Comment avait-elle pu être aussi rapide pour un sujet qui n'était pas prééminent ? Les rumeurs de pressions et d'intervention du ministère des Affaires étrangères allaient bon train. Mais l'avocat d'Erwan et de Nora tentait de rester professionnel et de défendre au mieux les intérêts de ses clients. Cependant, rien n'était normal dans ces deux affaires et sa confiance passée s'était évaporée. Aussi, au matin, l'appel de Di Cohelo lui fit chaud au cœur.

— C'est le capitaine du port des Açores, et un membre dirigeant de la corpo des pilotes précisa Erwan à Nora.

Di Cohelo lui avait demandé de passer pour prendre un jus, car il devait remettre un certificat de bonne conduite à Erwan. L'avocat l'avait contacté hier pour solliciter ce document, et ainsi pouvoir plaider en faveur du maintien en liberté d'Erwan pour la durée de la procédure. Di Cohelo était un homme occupé, très occupé. Qu'il s'accorde le temps d'un café pour le recevoir était un signe de son réel soutien. Aussi, dès qu'il eut fini son repas à la cantine avec Nora, il s'engagea dans les couloirs qu'il avait si souvent parcourus pour aller à la capitainerie. La foule autour de lui, oublieuse de sa situation, lui semblait irréelle, comme floue, presque chimérique. Au contraire, des détails qu'il ne regardait pas d'habitude, lui sautaient aux yeux, l'usure du marquage au sol, une fleur en pot dans une coursive à la couleur éclatante en comparaison du ton terne et uniforme des murs. Sa vie lui paraissait en suspens. Et il ne savait plus comment agir, se laissant porter par les autres. Une fois arrivé à la capitainerie, Di Cohelo entraina Erwan dans son bureau, fermant la porte derrière lui. Il prépara le café d'algue dans les règles, observant Erwan à la dérobée. Celui-ci n'était plus que l'ombre de lui même. Lui, habituellement si enjoué, si dynamique, son énergie fabuleuse débordante dans chacun de ses mouvements, était maintenant passif, attendant que Di Cohelo finisse la percolation. Normalement, il aurait dû bouger sur sa chaise, regarder, inspirer pour sentir les aromes qui se dégageaient. Il n'aurait pas parlé, car il était poli et que la préparation du café d'algue se faisait toujours en silence, et Di Cohelo aurait pu interpréter chaque geste comme une anticipation. Lorsqu'il servit les tasses, Erwan prit la sienne comme si elle pesait tout le poids de la colonne d'eau qui s'élevait au-dessus de leurs têtes. Il souriait néanmoins, visiblement content de se mettre sous la protection du chef de la capitainerie. Mais, cette passivité même, loin de réconforter Di Cohelo dans son rôle, lui enfonça un peu plus le poignard qu'il avait dans le ventre. Depuis la veille, la culpabilité le rongeait. La requête de l'avocat était inhabituelle, aussi en avait-il demandé la raison, bien qu'il aurait signé ce document de toute façon connaissant Erwan. Il avait alors d'abord éclaté de rire quand on lui avait parlé d'un vol de scaphe, croyant à une plaisanterie, mais la détermination et la voix très légèrement paniquée de l'avocat lui avaient fait prendre conscience que l'accusation était réelle. Il avait ensuite réclamé quelques détails après l'avoir rassuré sur le fait que le certificat serait disponible dès le lendemain. Lorsqu'il avait appris que c'était la Bolding S.A. qui avait déposé plainte et que le juriste ne comprenait visiblement pas comment cette plainte présentée aux USA avait pu se transformer aussi vite en demande d'extradition, le sang de Di Cohelo s'était figé. Erwan avait été, sans le savoir, un lien important entre la Corpo et la Bolding S.A.. Ça ne pouvait pas être un hasard.

Entre les maillesWhere stories live. Discover now