Chapitre 4 - Détente -

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Georges et Nora arrivèrent en fin de soirée à Cahuita au Costa Rica. L'atterrissage de leur vol privé avait été assez mouvementé à cause d'un orage. Depuis son enfance, Nora était toujours terrifiée par les orages. Son père avait été foudroyé alors qu'elle n'avait que 9 ans. Il était allé fermer les volets de la chambre de Nora quand l'éclair l'avait touché. Elle se souvenait encore de la fureur de sa mère, qui, les yeux exorbités, était venu l'arracher de sa contemplation morbide de la fenêtre. Quand au matin elle était sortie, il ne restait de la tragédie que deux cercles de gazon brûlé. C'était la dernière image qu'elle gardait de son père. Deux taches noires qui tranchaient sur le vert tendre de l'herbe récemment plantée, les bords légèrement irréguliers. Depuis cet âge, Nora associait toujours les orages à l'odeur de l'ozone et de la fumée. Ses yeux lui piquaient bien que l'habitacle hermétique de l'avion n'avait pu laisser passer les « vapeurs » de l'orage. Dès leur atterrissage, une fois qu'ils eurent pris pied sur le tarmac, Georges l'avait entourée de ses larges épaules. La sentant frissonner, il l'avait serré un peu plus. Ses bras s'étaient tendus et sa nuque redressée comme pour imposer ça force aux éléments. Pour un peu, il aurait remercié le coup de tabac d'avoir brisé la carapace de Nora à sa place. Il savait qu'il n'était pas exactement son idéal masculin. Physiquement, il était grand et musclé, mais ses ancêtres paysans lui avaient transmis une charpente pesante qui le faisait paraître trapu. Son pragmatisme, qui dans tous les autres cas était son atout majeur, allait, il le devinait confusément, agir contre lui dans le jeu de la séduction. Il les pilota rapidement jusqu'à l'Hôtel et abrégea les formalités. Nora se laissait porter, heureuse de ne penser à rien. Georges eu le tact de ne pas lui proposer de dernier verre et elle lui en fut reconnaissante. Le lendemain matin, elle se sentait en pleine forme. Elle s'attabla à proximité d'une baie vitrée devant un petit déjeuner somptueux. Elle arborait une combinaison moulante. Elle était prête pour nager dans les eaux du lagon. Le soleil était revenu, et elle voyait ce week-end imprévu comme une chance de mieux connaître Georges. Il arriva peu après, habillé pareillement d'une combinaison moulante rouge. Il paraissait plus jeune ainsi. Plus séduisant aussi. La journée se déroula merveilleusement. Ni l'un ni l'autre ne parlèrent du projet. Ils se baignèrent, mangèrent et somnolèrent au soleil. En milieu d'après-midi, ils empruntèrent un prao pour aller jouer dans les vagues. Ce drôle de bateau dissymétrique dont on ne savait jamais très bien où étaient l'avant et l'arrière.

— Georges ! lança-t-elle gaiement. Il n'est pas fini le bateau qu'ils t'ont refourgué !

— Mais, c'est un prao. commença-t-il avant de se rendre compte que Nora le savait aussi bien que lui.

— Je me suis toujours demandé comment des gens ont pu concevoir quelque chose de pareil. Ça défit le sens commun que d'imaginer une embarcation qui n'est plus la même quand on change de direction ! Il a dû falloir des dizaines de générations de marin pour comprendre l'intérêt de ne construire qu'un seul balancier en partant du principe qu'ils ne naviguaient qu'avec les alizés. Rompre la dissymétrie dans un outil aussi important était un signe fort de la conscience que la société avait du corps de l'homme et de la nécessaire adaptation de celui-ci a son milieu continuait Nora lorsque Georges lui lança un plein seau d'eau pour la faire taire.

Nora faisait rire Georges par sa spontanéité et aussi, paradoxalement par sa gravité. Elle devenait alors comme une philosophe cartésienne qui aurait cherché une formule pour chacun de ses rêves. Après le dîner, l'orchestre les entraîna dans de longues heures de danse. Nora appréciait cette sensation d'abandon. Contrairement à la veille, elle attendait que Georges lui propose un dernier verre ce qui ne tarda pas. Le lendemain matin, Nora se réveilla tôt et se lova contre Georges en profitant de cet instant d'insouciance. Elle savait que ça n'allait pas durer. Depuis longtemps, le dimanche était son jour privilégié pour réfléchir à long terme. Les nouveaux objectifs de Walter allaient nécessiter une révision complète des plans du Filet. Un Filet de 50 km de long c'est très différent de cinq Filets de 10 km. Elle se secoua, décida de ne pas y penser et essaya de se rendormir. Un peu plus tard, tous deux assis devant la baie de la chambre, ils regardaient les poissons.

Entre les maillesWhere stories live. Discover now