Chapitre 16 - Doutes -

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Nora se souvenait de son engagement intérieur : « Apprendre à vivre avec quelqu'un ». Pourtant les mois qui suivirent furent un perpétuel compromis entre cet objectif et sa vie professionnelle. Souvent, elle se plongeait si profondément dans ses études que même Erwan n'arrivait pas à l'en sortir. Ils plaisantaient à ce sujet en disant qu'il faudrait qu'elle invente un scaphe à pensées pour qu'Erwan puisse la visiter. Mais elle savait qu'il en souffrait.

Le premier point difficile pour Erwan était tout simplement la distance de la mer. Ils passaient la plupart de leur temps à Charleston, travaillant depuis leur appartement. L'un a coté de l'autre, mais souvent avec des préoccupations différentes. Nora était perdue dans ses pensées, quand il faisait du télépilotage. Ce n'était même pas du pilotage au sens d'Erwan. Plus de la programmation de courses, ou quelques missions de téléopérations en surface. La téléopération ne marchait pas vraiment en plongée. Les ondes radio sont absorbées par quelques dizaines de mètres d'eau aux fréquences nécessaire pour avoir un débit d'information correct. Aussi Erwan ne pouvait pas faire son travail habituel comme il le souhaitait. Il ne pouvait s'occuper que des scaphes robotisés raccordés par un ombilic soit à un bâtiment de surface soit à la base du filet qui était reliée à terre par fibre optique. Le pilotage de ce genre d'engins lui paraissait irréel. Il n'avait pas la sensation de mouvement, pas le bruit des propulseurs, les vibrations des équipements. Il lui arrivait de perdre plusieurs secondes avant de se rendre compte que l'ombilic était coincé quelque part et que les moteurs « barbotaient », c'est-à-dire qu'en fait le scaphe était bloqué et que les hélices le ne faisaient pas bouger. C'était parfois utile sur les scaphes de travaux pour maintenir une pression sur un outil, mais de manière générale, laisser un scaphe barboter était plutôt honteux. Avec la téléprésence, Erwan manquait tellement de ressenti qu'il avait l'impression de redevenir un débutant. Pire même, car toutes les sensations que lui transmettait le scaphe l'avaient signalé les problèmes dès ses premières plongées bien qu'il ne sache pas quoi en faire à l'époque. Ici, c'était encore accentué. Il n'y avait même pas ce retour d'information de base. Il fallait se contenter de visuels, d'indicateurs et de jauges. Au contraire, les atmosphériques pratiquaient le télépilotage en permanence et ne se sentaient, pour beaucoup, pas vraiment à l'aise d'être dans la machine même qu'ils contrôlaient. Cela avait été une surprise importante pour Erwan au début de la formation qu'il avait mené avec les atmosphériques. Il avait semblé naturel à la Bolding S.A. de prendre des pilotes de bateau pour faire des pilotes de scaphe. Mais la quasi-impossibilité de téléopération avait été un frein majeur. On pouvait programmer un scaphe robot pour des opérations simples, mais dès qu'il fallait un peu de sensibilité pour le pilotage, il fallait une présence humaine. Beaucoup de « marins » avaient refusé quand ils s'étaient rendu compte de ce que cela impliquait. En fait, certains avaient décliné et démissionné après la course qu'ils avaient eux-mêmes organisée.

— Erwan, commença Ben, l'un des marins en formation. Nous te proposons un challenge pour mettre un peu de piments dans cette formation qui parle un peu trop de bouger comme des escargots. Les foreuscaphes sont des outils utiles, mais ce n'est pas du pilotage. On prévoit une course sur des scaphes rapides monoplaces.

— Bien sûr ! Une course, je suis partant. Ça va me dérouiller un peu ! s'exclama Erwan qui lui aussi avait besoin d'un peu de vitesse et de pilotage difficile après ces quelques jours de formation de base.

— Regarde, on a planifié un parcours repris Ben en envoyant une carte à Erwan.

Celui-ci commença à l'étudier et à appeler sa propre carte pour y superposer le tracé. Le plan de Ben était une carte marine. Elle montrait les tirants d'eau, pas les détails des fonds, et surtout n'avait pas la précision qu'Erwan attendait d'une carte. Elle était suffisante pour du pilotage en surface, mais surement pas s'il s'agissait de gérer une vraie plongée. Le parcours était accrocheur, avec beaucoup de changement de direction et d'écueils à éviter. Mais il était fait pour une course de bateau, pas de scaphe. Étudiant les alentours un petit peu, Erwan repéra des obstacles plus intéressants, en particulier une épave de plate forme pétrolière à quelques distances du tracé originel. Il proposa donc quelques modifications pour intégrer un gymkhana parmi les poutres et les piles de béton. Puis retransféra le tout à Ben.

Entre les maillesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora