Chapitre 2 - Filet -

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Walter entra d'un pas décidé dans la salle de réunion. La cinquantaine, massif et le coup épais, ses collaborateurs ne lui avaient jamais connu d'autre démarche. L'assemblée se leva pour l'accueillir et il fit un signe ou une remarque à chacun. Son sourire rayonnant ne cachait pas la fierté d'avoir réuni ses amis financiers et politiques pour la présentation des premiers résultats concrets de « Filet à élément ». Ce projet allait lui permettre de respecter une promesse datant de son enfance.

Son grand-père lui racontait alors la domination technologique des USA. Il lui répétait toujours que les enfoirés — il entendait par là le reste du monde — les avaient poussés à la décadence par jalousie parce que les Américains avaient mieux supporté les premières conséquences de la « GT ». Il faut dire que lorsque le dérèglement climatique n'avait plus pu être évoqué comme une hypothèse, toute la nation s'était rangée derrière son président. Il avait décidé de gagner la guerre contre les éléments. Quelle folie, quelle arrogance, mais quelle preuve de courage également pensait Walter en souvenir de cette période héroïque ! Ses compatriotes d'alors étaient d'une autre trempe que ces geignards de maintenant qui se complaisaient dans leur médiocrité. Aussi, sa fierté ne venait pas tant de l'argent que le projet allait lui rapporter ; il était déjà suffisamment riche pour ne plus savoir comment dépenser sa fortune. Il souhaitait ainsi, retrouver la grandeur passée de son grand-père, et inscrire son nom à côté d'autres géants comme Gates et Rockefeller. Il voulait que le monde se souvienne de Walter Bolding.

Un rai de lumière éclaira subrepticement la salle. Walter commença.

— Mes amis, je vous souhaite à tous la bienvenue. Nous allons même avoir du soleil pour nous accompagner dans cette présentation. C'est particulièrement approprié puisqu'il s'agit bien d'un renouveau ! Le renouveau de la technologie américaine ! Le projet " Filet à élément ", auquel vous avez chacun collaboré, est un succès.

Son sourire se fit plus carnassier, sa peau devint subtilement plus rose, et ceux qui le connaissaient bien pouvaient sans erreur affirmer que son excitation était à son comble. Mais ce fut sur un ton professoral que Walter continua.

— Je vous rappelle que l'eau de mer n'est constituée d'eau qu'à 96,5 %. Le Filet capte les 3,5 % restant soit tout de même 48 millions de milliards de tonnes. Avec ce type de technologie, c'est tout le marché des matières premières qui est révolutionné. Nous pouvons produire à des prix inférieurs de moitié à toutes les autres méthodes d'extraction. Je vous demande de féliciter nos deux amis Nora et Georges sans qui ce projet n'aurait jamais pu être mené à bien. Je vous propose de visionner maintenant l'avancement des travaux.

Chacun enfila son casquécran et se retrouva au large de la Floride par près de 2000 mètres de fond. Devant eux s'étendait le Filet, structure impressionnante d'une dizaine de kilomètres de long sur un à deux de haut. Ils découvraient sous leurs yeux une forêt de câbles, de tendeurs, de treuil et surtout une armée de robot, pareils à des araignées, récoltant en continu les éléments purs capturés par le Filet. La voix du commentateur expliquait que le Filet pouvait être programmé par zone pour recueillir, au choix, des métaux, des minéraux. Il suffisait de changer la fréquence des champs sillonnant les mailles du Filet pour trier les molécules souhaitées. On pouvait également utiliser une option moins sélective qui ne nécessitait au final qu'une séparation des éléments. « Le raffinage et le traitement de montagne de minerais pour n'obtenir qu'une infime portion exploitable font partie du passé ! » Walter profitait de cette présentation pour observer ses interlocuteurs. S'il ne pouvait pas voir leurs yeux, il ne perdait rien des expressions qui parcouraient le bas de leur figure. Cette assemblée de visages lui rappelait toute son évolution. Chacun évoquait le souvenir d'une phase, d'une progression lui permettant d'être aujourd'hui ce qu'il souhaitait depuis son enfance. Il était la référence, l'avenir, celui que tout le monde écoute et respecte parce qu'il a réussi à être un symbole de son vivant. Il n'oubliait pas pour autant la multitude de petites compromissions qu'il avait consentie, mais il ne s'en inquiétait pas. Tous ceux, ici présent, qui savait qu'il n'était pas uniquement un défenseur de la technologie au service de l'humanité, étaient corrompus. Walter en conservait jalousement les preuves dans un endroit secret connu de lui seul et accessible exclusivement sous une autre identité. La crainte de l'espionnage et la maîtrise de l'information étaient chez lui des secondes natures. Son grand-père lui disait souvent : « La loyauté n'existe pas. Seule la peur est efficace ! » Depuis, il avait toujours essayé d'appliquer cette maxime dans le choix de ses collaborateurs. Il cherchait un moyen de pression pour que ses adjoints aient plus à perdre qu'à gagner à le quitter.

Entre les maillesWhere stories live. Discover now