Chapitre 5 - La GT -

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Nathalie et Vincent retrouvèrent Lee dans la salle de conférence. Une vingtaine de personnes était déjà présente. Petite, la pièce était néanmoins confortable. Elle était, par contre, tout à fait impersonnelle et sa décoration terne aux nuances pastel faisait contraste avec l'ambiance de l'hôtel. Ici, pas de tons chatoyants, de fleurs exubérantes. Seule la grande table en lave polie apportait une touche de gaîté. Les sulfures, les oxydes et les incrustations de silicates créaient une mosaïque de couleur qui semblait se mouvoir avec le regard. La salle était aussi parfaitement équipée pour une visioconférence. Une petite femme dans un coin de la pièce était entourée de nombreux écrans. Elle allait faire une transmission en direct sur le réseau et faire le lien entre Lee et ses spectateurs disséminés sur la planète. Vincent, attiré par son élément, alla directement la voir.

— C'est du bien beau matériel que vous avez là pour un streaming.

— Ce n'est pas que pour la diffusion, répondit Julie. Même si officiellement cette réunion n'a rien d'illicite, il y a beaucoup de monde qui préfèrerait que ce qui va s'y dire ne soit pas communiqué, et encore moins sauvegardé. Alors, je vais être obligé d'esquiver une petite armée de traceurs pendant toute la conférence. Sinon nos amis mettront moins d'une minute pour nous couper, et nous ne saurons même pas que notre émission ne sort pas de l'hôtel. J'ai installé une ligne temporaire que j'ai sécurisée. Comme ça, ils ne savent pas où chercher.

Vincent était surpris par tant de précautions pour une simple transmission de conférence. Il se souvenait de l'époque ou, étudiant, il avait aidé la section anarchiste à diffuser leur propagande. Il s'agissait chez lui plus d'un attrait pour le défi qu'un réel engagement. Mais comme pour tout ce qui concernait l'informatique, son perfectionnisme était un puissant moteur et les Anars avaient souvent joué de cette corde avec lui. Il faut dire qu'il avait réussi un sans-faute pendant plus d'une cinquantaine de conférences. Il utilisait pour cela une architecture redondante mouvante qui se déplaçait selon un code prédéterminé et crypté. Ainsi, il exploitait les ressources de milliers d'ordinateurs disséminés sur la planète, mais jamais plus d'une seconde. Les utilisateurs de ces ordinateurs ne s'en rendaient même pas compte et la clé de hachage permettait à chacun de suivre la diffusion comme si elle avait été réalisée à partir d'une source fixe. En fait, virtuellement l'information n'était jamais stockée quelque part, elle était littéralement sur le réseau, en transit permanent. Comme les Anars prônaient des thèses interdites dans au moins 30 % des pays, il savait que de nombreux offices l'avaient recherché, mais ils n'avaient jamais réussi à l'attraper.

Lee allait commencer son exposé. Sur l'écran, deux photos satellites s'affichèrent. Une d'avant la « GT », l'autre prise pendant les pires années. Quand chacun eut regagné sa place, et après un signe de Julie, Lee lança une vidéo introductive. Le soleil se lève en accéléré sur une ville au loin. L'image paraît paisible. Un zoom avant nous plonge au cœur de la cité. Le chaos y règne. Des milliers de personnes brandissent des pancartes. La tête sur le symbole « toxique » est remplacée par la photo d'un ancien président. Sur d'autres, on y voit le même homme presser la terre comme une grappe de raisin pour en extraire le jus. Les slogans fusent : « Atmosphère sans frontière », « Gelons la pollution »... Lee commença. « Vous êtes tous familier de ces images qui datent d'un peu avant la « GT ». Deux générations avant ces manifestants, ils savaient déjà que l'humanité fonçait dans le mur. Ils connaissaient aussi le changement climatique et le CO2 en particulier qui en était la cause. Ont-ils fait quelque chose pour limiter les dégâts ? Nos écoles nous apprennent que les gouvernements se sont lancés dans des politiques antipollution et chaque pays est fier de rappeler sa contribution. L'Europe et ses éoliennes, la Russie et ses millions d'hectares de forêts plantés, l'Afrique saharienne et ses champs solaires. La liste est longue. Mais les documents historiques montrent autre chose. Il y a eu des efforts, mais aussi un aveuglement important. À l'époque, seule la consommation comptait. Le pouvoir c'était la consommation. Le plus puissant des états a alors pris une décision qui a réduit à néant toutes les bonnes volontés. Les industriels américains avaient réussi à convaincre leur gouvernement que leur technologie les protègerait de la plupart des effets du changement climatique. On sait tous qu'il n'en a rien été. Cependant, ils décidèrent de continuer à vivre comme s'ils ne connaissaient pas les conséquences de leur pollution. De nombreux pays jugèrent donc qu'ils pouvaient imiter les USA. Il fallut attendre le début de la « GT » pour qu'ils découvrent leur erreur. » Lee poursuivit son exposé en utilisant une multitude de documents historiques, puis il ouvrit le débat.

Entre les maillesWhere stories live. Discover now