Chapitre 12 - Walter -

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Le ciel du golf du Mexique était parsemé de petits nuages moutonnants qui renforçaient encore la profondeur du bleu et l'impression de luminosité.Après plusieurs semaines sous l'éclairage électrique des profondeurs, Nora cherchait d'habitude à profiter de son retour en surface en se laissant bercer par le plaisir animal du soleil sur sa peau. Mais, cette fois-ci, dès le jour de leur sortie du caisson, sans même admirer la lumière du jour, Nora appela Walter directement. Ce n'était pas sa manière habituelle. Elle n'aimait pas s'adresser au patron, car c'était toujours une perte de temps. Il fallait attendre qu'il soit disponible, et souvent il voulait voir les gens par lui-même ce qui nécessitait un déplacement. Mais au vu de ses récentes discussions avec Georges, elle n'avait plus confiance en lui pour faire l'intermédiaire. Il était froid et arrogant. Leur dispute sur les responsabilités dans l'accident qui avait coûté la vie à Tim et à Thierry ne suffisait pas à expliquer ce changement. Ce n'était pas la première fois qu'ils s'opposaient violemment, mais l'orage s'était toujours adouci. Comme elle le craignait, Walter lui fixa un rendez-vous pour le lendemain. Cela faisait au moins une journée de travail de perdue.

Erwan et Nora avaient décidé de continuer leur vis commune. Les quelques jours dans le caisson avaient été étrangement calmes et sincères. Ils avaient prouvé leur attachement. Aussi Nora avait suggéré à Erwan qu'il s'installe chez elle pendant son voyage au siège. Elle préférait ne pas être là pendant ce changement pour qu'il puisse se mettre exactement comme il voulait, sans lui demander son avis. Il empaqueta ses rares affaires de sa chambre de la base de Folly Beach pour aller à Charleston. S'il n'y prenait pas garde, il finirait par devenir un parfait atmosphérique ! Il indiqua l'adresse de Nora au triporteur qu'il avait loué à la sortie de la gare. Le petit véhicule électrique soufflait discrètement dans la pente douce. Il arriva bientôt et renvoya le triporteur au poste d'attente le plus proche. La maison était basse et plutôt massive. Ce quartier était structuré comme un immeuble éclaté. Les unités d'habitations étaient regroupées autour d'un bâtiment étroit qui regroupait les parties communes, restauration, laverie... Elles avaient été édifiées pendant la dernière période de la GT quand ils avaient reconstruit Charleston. Nora avait laissé un mot sur la porte. C'était réconfortant. Il entra et découvrit bien vite qu'il n'aurait aucun mal à installer ses affaires. La maison était pratiquement vide. Nora ne devait pas y être bien fréquemment. Pourtant elle n'était pas petite. C'était surprenant que Nora ait conservé cette maison. Elle avait souvent dû avoir des commentaires acerbes du voisinage sur l'immobilisation de cette ressource. La seule pièce vraiment équipée était le bureau. Il continua son tour. Il ouvrit un débarras et découvrit un tas de meubles encore emballés. Il n'y avait pas d'autres mots. Le « tas » et la couche de poussière dessus lui donnèrent une indication de son âge. Ils étaient là depuis au moins deux ou trois ans. Erwan était sûr qu'ils y dormaient depuis que Nora était arrivée à Charleston pour superviser les travaux du Filet. Il décida qu'un peu de sport lui ferait du bien et lui changerait les idées. Il enfila son bleu et commença à tout déballer et à tout installer. Lorsqu'il s'arrêta le soir, il était fourbu et échevelé. Nora l'appela à ce moment. Un sourire amusé l'éclaira quand elle le vit ainsi. Il s'abstint de lui dire la vérité pour lui faire une surprise.

— J'ai aidé ton voisin. Il y avait une panne sur l'éolienne du quartier, lui dit-il.

Un peu plus tard, au moment de se coucher, un pincement au cœur le saisit quand, regardant par les fenêtres, il ne put voir la mer.

*******

La journée de Nora commença par ce qui lui parut comme une perte de temps insupportable. Elle passa près d'une heure dans les couloirs urbains et les navettes de liaison pour se rendre de son hôtel au siège de la Bolding S.A.. Les changements, les attentes et la population qui grouillait autour d'elle l'avaient empêchée de se concentrer. Elle avait pensé mettre à profit ce temps de transport pour réfléchir à l'architecture d'un robot d'entretien de câble pour le nouveau Filet. C'est à peine si elle avait réussi à se remémorer le cahier des charges qu'elle s'était fixé ! C'est donc d'une humeur massacrante qu'elle entra dans l'ascenseur, dernier obstacle avant le bureau de M Bolding.

— Nora, je suis content de vous voir, l'accueillit Walter.

— Bonjour Monsieur Bolding.

— Vous savez que j'ai suivi avec attention les travaux de réparations. Je tiens à vous féliciter pour votre efficacité. Cependant, il serait temps de vous décharger de ce genre de soucis sur le capitaine du Filet. Georges l'a nommé pour les problèmes de cette nature. Vous avez des choses plus importantes à réaliser.

— Je ne suis pas sur. J'ai beaucoup appris pendant les opérations, et en particulier sur le sujet qui me préoccupe aujourd'hui, commença Nora.

— Oui, allez-y...

— Le système de fixation actuel comporte un risque que nous avions mal évalué. Pour des raisons de coûts, nous avons concentré les ancrages le long de ligne de fracture. L'accident a été causé, non pas par une rupture de câble, mais par une dislocation de la roche. Vous pouvez le voir sur la simulation. En rouge, la zone de fracture qui se propage. Mon opinion est qu'il existe un risque sur les autres postes d'amarrage et qu'il faut les renforcer en installant de nouvelles fixations pour mieux répartir les efforts.

— Georges m'a effectivement parlé de votre théorie catastrophe comme quoi cet accident est dû à une conception trop légère et non à un mouvement imprévisible du terrain. J'ai commandé, à une seconde équipe de géologues, une étude approfondie avant de prendre une décision, répondit Monsieur Bolding d'un ton neutre.

— Mais c'est une question de sécurité. Deux hommes sont morts à cause de ça et on a failli perdre le Filet !

— Vous devez, comme moi, être au fait qu'on ne peut ni tout savoir ni tout prévoir. Les géologues connaissent leur métier et je leur ferais confiance comme je vous fais confiance quand il s'agit d'ingénierie. J'ai cependant rappelé votre consigne exigeant de réparer les forages plutôt que d'en faire de nouveau. Vous voyez que je m'intéresse à la sécurité et pas au gain à court terme.

Nora sentait que la réponse était sans appel et que si Walter avait accepté si rapidement de la voir, sans même lui en demander la raison, c'était pour lui rappeler la hiérarchie. Pour elle, la conception, pour Georges, la gestion et pour lui les choix stratégiques. Cette notion hiérarchique était assez nouvelle pour elle. Comme la plupart des gens, elle faisait avant partie d'une corpo. La relation était alors beaucoup plus coopérative et moins directive. Bien sûr, il y avait des coups de gueule, des décisions difficiles à prendre, mais au final, c'était collectivement qu'on avançait ou pas. En acceptant, 4 ans auparavant, de travailler pour une société privée, elle avait sans nul doute gagné en rapidité quand elle devait décider quelque chose, mais elle avait perdu le consensus pour les questions plus globales. D'ailleurs, Monsieur Bolding ne tarda pas à lui demander des nouvelles de l'avancement de l'avant-projet du Filet géant. La réunion allait se terminer. Elle n'avait été qu'un simple rappel à l'ordre du fonctionnement auquel elle avait implicitement consenti en devenant salariée.

— He bien merci Nora, c'est du bon travail et ne vous inquiétez pas pour tout ça, je protège toujours mes investissements lui dit-il en riant.

— Encore une chose Monsieur Bolding. Au cours d'une recherche sur le réseau, j'ai trouvé des liens sur un groupe d'opposants au Filet. Je suis surprise qu'il n'y ait pas d'informations officielles de la Bolding S.A. pour faire taire ces conjonctures farfelues.

Le sourire de Walter se figea une seconde bien qu'il répondit très normalement.

— Pourrez-vous me transférer ces documents que je m'instruise un peu...

En prenant congé, Nora ne put s'empêcher de penser aux paroles d'Erwan quelques jours plus tôt. Le goût du secret était décidément très profond chez Walter Bolding.

Le trajet de Nora jusqu'à la gare fut aussi désastreux que sa venue en centre-ville. Elle était, de plus, frustrée par son entrevue. Elle essaya de contacter Erwan pour le prévenir de son retour. Ces quelques minutes lui firent du bien même si ce fut court. Erwan était occupé avec un voisin. « C'est une bonne chose qu'il se fasse des relations, » pensa-t-elle. En arrivant chez elle, Nora fut saisie par l'ampleur des changements. Elle avait quitté une maison déserte et elle revenait dans une maison vivante. Ce n'était plus chez elle, mais chez eux et cette réflexion la réconforta. Walter avait raison, elle n'était pas spécialiste en géologie et des phénomènes complexes avaient dû lui échapper. Elle était décidée à faire ce qui lui plaisait, c'est-à-dire inventer de nouveaux outils. Elle jugea qu'il fallait aussi qu'elle apprenne autre chose. Vivre avec quelqu'un !

Entre les maillesWhere stories live. Discover now