Chapitre 1 - Nautique -

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Nathalie et Vincent étaient partis 5 jours plus tôt de Aït Keflavik. Leur équipe venait de terminer une mission de forage de six mois pour installer des usines thermiques sur la fracture atlantique. Le principe était simple. Il suffisait de canaliser les remontées d'eau chaude pour en exploiter l'énergie. Pour cela, le groupe avait percé une multitude de petits puits le long des effleurements magmatiques de la dorsale au sud de l'Islande. Construire des usines thermiques sur les failles était une méthode éprouvée pour obtenir de l'énergie facilement et économiquement. La dimension du chantier par contre était exceptionnelle. Il s'était étalé sur plus de cinquante kilomètres. À l'échelle sous-marine, cette distance était déjà importante. Même avec les scaphes rapides de liaison il fallait plusieurs heures pour relier toutes les stations du chantier. Ainsi, le travail avait souvent été solitaire ou par petit groupe. La plupart des échanges s'étant déroulés plus par les systèmes com qu'en face à face. Pourtant, chaque quart se réunissait en fin de semaine pour passer agréablement la période de détente.

Un dimanche après midi, Vincent avait découvert sur une base de données historique l'origine des techniques employés. Un peu plus tard, il l'avait expliqué lors du repas, et ça n'avait pas amélioré ses relations avec l'équipe du chantier. L'un des premiers concepteurs des usines thermiques avait une femme biologiste. Elle avait en particulier étudié les termites et leur formidable capacité à faire circuler les calories d'un endroit à l'autre de leur immense réseau de galeries. Il s'était beaucoup inspiré des recherches de son épouse pour développer les systèmes forés permettant une transmission optimum des flux d'eau chaude. Vincent n'aurait vraiment pas du comparer l'équipe travaux aux thermites ouvrières, surtout quand il avait montré des photos de cesdites thermites. En définitive, la difficulté principale du chantier d'Aït Keflavik venait plus de son ampleur phénoménale que du principe qui était bien maîtrisé depuis l'installation des premiers Nautiques.

En acceptant cette mission, Nathalie et Vincent avaient dû différer leur voyage de noces qui avait été offert par leurs amis, chacun ayant contribuer par un don personnel sur leur compte d'impact. Ils étaient restés toute la durée des travaux directement sur le chantier par plus de 3000 mètres de fonds. Impossible dans ces conditions de profiter de la semaine de vacances que leurs amis leur avaient offerte. Ils avaient donc décalé le voyage aux Antilles dans un hôtel mi-surface mi-immergé. Une interface comme tout le monde les appelaient. On y trouvait aussi bien des Nautiques que des atmosphériques. L'endroit idéal pour un lieu cosmopolite et les échanges culturels. Ils n'étaient pas pressés de retrouver l'air libre. Rester toute leur vie sous l'eau ne leur posait pas problème. Ils y étaient nés et y avaient grandi. Vincent se souvenait sans peine de sa première véritable incursion en surface, en dehors bien sûr de sa Présentation au Soleil faite alors qu'il n'avait pas un an. C'était quelque temps après ses dix-huit ans. Il venait de réussir ses examens avec brio et avait ainsi obtenu une bourse d'études à l'université des Açores. Ce jour-là, ses parents l'avaient accompagné au port de Corum pour prendre un billet pour la navette qui devait le conduire directement jusqu'aux Açores. Il devait s'y installer pour la rentrée universitaire. Le premier jour du voyage s'était déroulé confortablement. Les espaces communautaires et la cabine étaient suffisamment vastes selon ses critères de nautique. Mais les jours passants, une tension montait en lui. Son cœur se nouait, ses mains devenaient moites et de lancinants maux de tête lui vrillaient le crâne. Peu de temps avant son arrivée aux Açores il avait même fini par aller voir le médecin du bord pour s'assurer qu'il n'était pas victime d'une inadaptation à la surface. Il avait lu récemment que quelques natifs des profondeurs n'avaient jamais pu se réaccoutumer à la pression atmosphérique. Le praticien, un homme grand et sec l'avait tout d'abord écouté. Bien vite, il avait repéré l'origine du mal. L'inquiétude pour sa nouvelle vie suffisait amplement à expliquer tous ces symptômes. Il pratiqua alors l'une de ses pharmacopées préférées. Il prépara soigneusement deux tasses de café d'algue, sortit quelques biscuits et commanda à Vincent de s'installer dans le fauteuil de sa cabine. Pendant qu'ils buvaient leur café, il raconta à Vincent sa propre histoire lorsqu'il avait quitté la ferme de ses parents pour partir faire ses études de médecine. Avec force détails, il expliqua comment cette rupture l'avait marqué et l'avait nourri pour être au final un merveilleux souvenir. Tout cela était faux, mais la recette fit son effet et Vincent commença bientôt à voir l'expérience sous un jour nouveau et se détendit rapidement. Le stress des passagers était monnaie courante pour le médecin. Les Nautiques voyageaient peu alors le plus souvent, s'ils étaient dans la navette c'est que des raisons importantes les y obligeaient. Il s'inventait alors une expérience à même de réconforter ses patients.

Entre les maillesWhere stories live. Discover now