Prologue

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La boue et les cailloux remontaient la falaise. La tempête de sud-ouest broyait le Pico, une vingtaine de kilomètres au large, laissant suffisamment de distance pour que le vent redevienne majoritairement laminaire. Il s'écrasait sur l'ile de Sao Jorge, semblant vouloir entrainer la mer avec lui pour accentuer encore l'érosion.


La cote bloquant la progression de l'air, les molécules n'avaient d'autres choix que de s'élever par dessus des rochers, créant une ascendance monstrueuse, accélérée par les effets de vallée. Là, au-dessus de Manadas, les vents atteignaient les 350 kilomètres par heure et l'ascendance était presque équivalente. Avec l'effet venturi, ce serait même encore plus fort près de la crête. Les trombes d'eau qui s'étaient abattues sur l'ile quelques heures plus tôt semblaient vouloir remonter dans les nuages, entrainant avec elles la boue qu'elles avaient formée et les pierres qu'elles avaient délogées.


L'homme se dépêchait tant qu'il pouvait pour redescendre jusqu'à la porte. Il était allé sécuriser la station météo, mais s'était fait surprendre par un torrent qui l'avait retardé. Il aurait dû faire demi-tour, mais c'était le troisième poste météorologique qu'ils risquaient de perdre et ils commençaient à ne plus pouvoir se le permettre, aussi avait-il persévéré. Il en avait parlé la semaine dernière avec l'ingénieur de maintenance. Les composants électroniques étaient une denrée tellement rare qu'il fallait les protéger à tout prix. Il n'y avait plus d'usine permettant de fabriquer des micros contrôleurs et il faudrait des années pour qu'une nouvelle soit construite à l'abri de la fureur des éléments. Ce n'était pas qu'une affaire de blindage. Il fallait aussi une alimentation électrique fiable, des unités de production pour les filtres à air, conserver la capacité de produire des eaux de grande pureté, et enfin maintenir l'accès aux terres rares. Autant de choses très difficiles avec les ouragans qui s'enchainaient partout sur le globe.


Il avait alors rangé les mats et les instruments dans le coffre coulé dans le béton qui servait de pied à la station. Cependant, il regrettait amèrement sa décision. La tempête était plus forte que prévu, et il savait qu'un simple pas de côté suffirait à l'aspirer dans l'ascendance. C'en serait dès lors fini de lui. Il mourrait dans les airs, entrainé à une hauteur incroyable, fracassé par les rochers et les blocs de glace qui ne manqueraient pas de se former dès qu'il dépasserait 4000 ou 5000 mètres d'altitude. S'il montait encore plus haut, l'hypoxie le soulagerait peut-être, lui faisant perdre connaissance avant la fin. « Quelle ironie, » pensait-il, « moi qui me suis battu toute ma vie pour vivre dans les profondeurs » !


Il continuait, longeant la paroi autant qu'il le pouvait, s'accrochant à tout ce qu'il trouvait, attendant les accalmies entre les bourrasques avant de passer dans les espaces moins couverts. Il lui restait deux lacets à parcourir et il commençait à désespérer d'arriver à la porte blindée du tunnel qui le conduirait à la sécurité. Il n'était toujours pas au cœur de l'ouragan, le vent allait encore forcir, il fallait qu'il se dépêche. Pourtant il ne pouvait pas courir, les rafales l'auraient emporté. Alors, se courbant jusqu'à ce que ces mains touchent presque le sol pour limiter la prise au vent, il s'élança dans l'étroit sentier au pied de l'escarpement. Son pied gauche dérapa sur un rocher rendu glissant par la boue. Il bascula immédiatement vers le vide dans un grand cri noyé par le hurlement de la tempête. Il tombait, mais l'ascendance ralentissait sa chute à une douce descente tandis qu'il paniquait. Voyant qu'il ne s'envolait pas et qu'il était encore vivant, il se contorsionna pour que les mouvements de l'air le poussent de nouveau vers la falaise où il tenterait de s'accrocher. Le tourbillon engendré par un gros bloc le propulsa vers le sol quelques mètres plus loin. Il s'agrippa aux cailloux qui étaient là, partagé entre le soulagement d'être en vie et la douleur fulgurante qui traversait sa jambe droite. Se retournant doucement, il la regarda et constata, incrédule, qu'un os sortait de son mollet. Il se laissa alors retomber, tournant les yeux à l'abri du vent. Face à lui, à une dizaine de mètres tout au plus, la porte blindée l'attendait.


Il entreprit de ramper jusqu'à son salut, trainant son membre blessé derrière lui. De temps à autre, une rafale traitresse s'enroulait autour de lui, martyrisant sa jambe droite, tentant de transformer son mollet percé en une manche à air. Il était alors cloué au sol, à deux doigts de l'évanouissement, ne résistant que grâce à la proximité de la porte. Alors qu'il ne lui restait plus que deux mètres à parcourir, il commanda l'ouverture avec son communicateur, tout en déclenchant son signal de détresse. Il ne l'aurait pas fait s'il n'avait pas été à proximité immédiate du sas pour éviter qu'une dangereuse expédition de sauvetage ne soit montée. Mais maintenant, on pouvait l'aider sans risque majeur. Il continua néanmoins de ramper, ne sachant pas dans combien de temps les secours arriveraient. Après s'être assuré que plus rien n'empêchait la fermeture de la porte, il enclencha le cycle du sas, et se laissa finalement aller au repos, alors que le silence du tunnel remplaçait la fureur de la tempête.


Il reprit connaissance alors que deux personnes le portaient sur une civière, descendant les escaliers taillés à même la pierre dans une vieille coulée de lave. Cependant, des rails plantés sur les bords, leur permettait de faire rouler le brancard sans trop d'efforts. Ils devaient juste éviter qu'il ne prenne trop de vitesse. Quelques centaines mètres plus loin, le tunnel se fit plus régulier, maintenant sous forme d'un tuyau de béton, chichement éclairé, l'acier des rails brillant au loin. La pente s'adoucissait, et à mesure qu'ils avançaient la galerie s'élargissait, des salles s'ouvraient de chaque côté, encombrées de matériel. Enfin, ils débouchèrent dans une plus grande zone bien illuminée et équipée de trois sas et de quelques hublots. Quelques algues s'accrochaient aux bords en ciment et ondulaient doucement dans la lueur qui perçait par la vitre. Plus loin, les ténèbres devenaient plus épaisses sans être complètes. Les brancardiers pénétrèrent dans un petit sous-marin avec le blessé. Ils refermèrent le sas, et s'en désengagèrent dans un mouvement lent.

— Je déclenche la procédure de compression. Nous serons à l'hôpital dans une heure. Nous avons prévenu ta famille pour qu'ils initient leur décompression pour te retrouver à -100 m, directement à l'hôpital.

L'homme regardait par le hublot la pénombre s'épaissir alors qu'ils plongeaient plus profondément, s'éloignant de la tempête monstrueuse quelques dizaines de mètres plus haut, incrédule qu'une si petite masse d'eau puisse les protéger et les garder au calme. Le confort des abysses l'appelait. L'obscurité était une promesse de calme et de sécurité.

Entre les maillesWhere stories live. Discover now