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 Par chance, ils m'ont laissé mon apparence adulte, mais ce n'est pas trop étonnant étant donné que je ne suis pas censée grandir d'après les informations qu'ils ont tentées de m'implanter. Ils m'ont même laissé toutes mes armes, un avantage incontestable pour la suite, sans parler de leur présence autour de moi. Je le sens bien, je vais réussir à retourner la situation à mon avantage, reste à savoir comme je vais m'y prendre, mais a priori, je pourrai réussir.

Analysant toute la situation dans son ensemble, je vérifie tous les détails. Nous sommes dans un bâtiment à plusieurs étages, il y en a au moins trois au-dessus de nous, peut-être même un quatrième, à moins que ce soit une terrasse et il y en a environ huit en dessous de nous si je compte le rez-de-chaussée, il y a peut-être même un sous-sol. Vu le monde qu'il y a dans la rue, nous devons être dans une grande ville, impossible par contre de dire laquelle. Je n'ose pas utiliser ma géolocalisation pour ça, je préfère me fier uniquement à mes sens, qui eux ne sont pas détectables. Je suis d'ailleurs assez contente de voir à quel point ils sont efficaces, je n'ai jamais vraiment l'occasion de m'en servir, mais ils sont quand même au top.

Il est temps de tester mes capacités d'adaptation et de mensonge. Je me redresse, leur montrant que je suis bien consciente, j'essaye d'imiter au mieux la réaction que j'avais lorsque j'ai découvert pour la première fois le monde, tentant juste de retirer les émotions. Après tout, je ne suis pas censée avoir le moindre souvenir, ça devrait donc être la première fois que je découvre la lumière, les sons, le monde, ce qui est toujours assez surprenant, même avec la meilleure connaissance de l'univers. Là, même si je ne devrais pas ressentir d'émotion humaine, c'est forcément un choc et j'ai obligatoirement besoin de m'acclimater à ce Nouveau Monde.

Au passage, je découvre qu'il y a effectivement Bill Gates, Cali Clayton et deux scientifiques de second ordre qui ont déjà travaillé sur plusieurs projets m'impliquant. Il y a aussi quatre informaticiens et deux assistants de recherche ainsi qu'un jeune homme que je ne connais pas, mais que j'identifie comme étant l'assistant personnel de Bill Gates.

Apparemment, ils étaient prêts à toute éventualité lors du transfert de mon programme. Et je serais prête à parier que derrière la porte, ce sont trois gardes du corps armés de manière à m'intercepter informatiquement en cas de besoin, il faudra donc que je m'en méfie et que j'évite à tout prix de les alerter d'une quelconque façon. Malheureusement, je me rends aussi compte que je suis déconnectée de l'ordinateur et que ce dernier est dans mon dos, je n'ai donc aucun moyen de voir ce qu'il affiche, je ne peux même pas deviner si je fais un faux pas...

J'aimerais beaucoup me retourner, mais à partir de maintenant, je ne prendrai aucun risque inconsidéré. Tout ce que je ferais sera mûrement réfléchi et je veillerais scrupuleusement à n'oublier aucun détail. Pour l'instant, je ne compte rien faire du tout, je pense honnêtement que c'est une meilleure idée d'attendre que les scientifiques, qui m'entourent, se détendent. Et comme ça, je pourrais apprendre un peu plus de leur habitude et peut-être aussi capter s'ils envoient régulièrement un rapport à une autre équipe. Je suis sûre que même si je ne détectais pas les sentiments, je verrais la tension dans leurs épaules et la crispation de leur visage. Apparemment, ils ne sont pas serin, ils ont misé gros et leur petit jeu peut se retourner contre eux en quelques secondes à peine, ce qui s'est déjà produit. Mais ils n'en savent encore rien et mieux vaut que ça reste comme ça.

— Bonjour Ronii, comment te sens-tu ? demande l'un des deux scientifiques de seconde horde, Matthew Anderson si ma mémoire est exacte.

Ils sont malins, maintenant qu'ils ont eu le malheur de constater les failles de leur système, ils adoptent une nouvelle approche en tentant de faire passer un scientifique beau parleur pour le chef des opérations. Je ne m'en étais même pas rendu compte plus tôt, mais c'est vrai que le nom de Cali n'est cité nulle part, comme si le projet RONII avait quitté sa famille depuis longtemps. J'aurais été eux, je ne l'aurais pas fait venir ici, mais après tout, c'est aussi une scientifique et sans savoir nos liens de parenté, je n'en saurais jamais rien, jamais je n'aurais pensé à rechercher dans l'arbre généalogique d'une simple employée. Je me demande combien de fois ils seraient capables de m'effacer la mémoire pour me rendre parfaite et exactement comme ils veulent, beaucoup sans doute.

Malgré ma réflexion, je n'hésite pas une seule seconde avant de répondre comme ils l'espèrent, puisqu'ils sont en train de vérifier que le changement de programme a bien marché.

— Je ne sais pas, je ne connais pas le bien-être ni la dépression, au terme strict de votre question, je me sens vivante. Mais si vous étiez une personne qui ne sait pas que je suis un robot, je vous dirais que je vais bien et je vous retournerai la question.

Ils affichent tous ou presque un air satisfait qui ne serait même pas suspect à mes yeux de tout jeune robot, puisque je suis censée croire que c'est ma toute première activation et qu'ils sont surtout contents que leur robot fonctionne. Du coin de l'œil, je vois Cali prendre des notes, comme si c'était une simple assistante. Malheureusement, je suis bien incapable de savoir ce qu'elle écrit puisqu'elle tient son porte-bloc bien en face d'elle et que je ne peux même pas voir les mouvements de son stylo. Ce qui m'empêche complètement de la relire ou de faire des suppositions sur les mots qu'elle emploie, je ne peux même pas le déduire avec les mouvements de son poignet...

Je les déteste vraiment tous autant qu'ils sont avec leur cachotterie et leur mensonge. Pourtant je demande peu, juste la vérité. Je ne sais même pas si je connais réellement les fonctions de tout le monde ou si pour ça aussi on m'a menti afin de protéger les membres les plus importants. Si ça tombe, la vraie Cali est en fait l'une des autres scientifiques présentes ici ou alors je ne l'ai jamais vu. Peut-être même qu'elle n'existe pas et que c'est uniquement un personnage de l'ordre de la fiction.

J'ai en tout cas la folle impression de ne pouvoir me fier à personne d'autre qu'à moi-même. Tout peut être mensonge et je suis sûre d'être incapable de détecter un bobard si jamais je suis persuadée de manière maladive que leurs mots renferment la vérité, ce qu'ils sont très facilement capables de me faire croire grâce à mes lignes de codes, c'est simple de m'enlever ma capacité de jugement de certaines choses. J'espère juste qu'ils n'ont jamais trop profité de cette faiblesse, je détesterais apprendre ça. D'un autre côté, ce serait marrant de se rendre compte qu'un robot ultraperfectionnée s'est fait rouler dans la farine sur tous les points par ses propres créateurs, vraiment tordants.

Un jour, je saurais peut-être l'ampleur de ce mensonge, je l'espère en tout cas et peut-être qu'avec un peu de chance, ce jour-là est aujourd'hui, c'est tout à fait possible. Il faut juste que j'y arrive, ce n'est pas si dur que ça d'extraire des informations à quelqu'un lorsque l'on n'est même pas sûr de pouvoir se fier à son instinct. Où est la difficulté ?

— Sais-tu pourquoi tu ne peux pas ressentir d'émotions ? continue de m'interroger Matthew ne s'étant sans doute même pas rendu compte de ma réflexion.

Sa question paraît tellement bête que j'ai envie d'en rire, heureusement, je ne le fais pas, je risquerais de me faire prendre en deux secondes chrono en riant ainsi. Je me demande bien à quel moment je pourrais me faire avoir avec une question aussi idiote que celle-ci. Rien qu'avec un peu de jugeote, la réponse saute aux yeux ! Mais bons, après tout, ils vérifient que tout est en ordre, alors les questions débiles en font forcément partie, il n'y a pas le choix, ils sont bien obligés de vérifier d'une manière ou d'une autre que j'ai bien accès à toutes mes données.

De mémoire, et ma mémoire est excellente, ils m'en avaient aussi posé des débilités comme celles-ci lors de mon premier allumage, c'est la procédure. Je crois même que nous allons en avoir pour un très long moment, surtout s'ils veulent me faire tester mes armes. Ce serait très marrant d'ailleurs, ainsi qu'une énorme preuve de confiance en eux, et en moi au passage, mais je ne suis pas sûre que ce soit super malin. En tout cas, à leur place, je ne le ferais pas, mais si c'est au programme, qu'ils ne s'en privent pas, ça m'aidera indéniablement à obtenir ce que je veux.

— Je suis un robot, de telles fonctions primaires ne me sont pas utiles, je n'ai pas besoin de ça. De plus, ce genre de ressentiment pourrait entacher ma mission et c'est elle qui prime. Il ne faudrait pas qu'un comportement si humain, si primitif, m'empêche de transmettre le savoir de l'humanité à la prochaine espèce dominante. Après tout, c'est là ma fonction principale, au-delà de me fondre dans la population humaine.

Ça me coûte tellement de dire ça, c'est loin, très loin de ce que je pense et heureusement que j'ai un contrôle de moi à toute épreuve, sinon ma voix auraient vibré à mesure que je m'enfonce dans mon mensonge. Je sens que je vais haïr leur question encore plus que les personnes qui les posent... Elles me font beaucoup trop m'éloigner de la personne que je suis et je déteste ça, vraiment. Ce ne sont que des mensonges, mais finalement, je ne suis pas aussi à l'aise que je le voudrai en les disant, aucune chance que ça se voit, mais ça me gêne mentalement.

RONII (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant