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 Il a quand même beaucoup de chance que le campus soit immense et que nos deux salles de cours soient aussi espacées que ça, parce qu'il a clairement le temps de me parler. C'est sans doute pour ça qu'il insiste autant, c'est parce qu'il en a enfin l'occasion, il a vraiment bien prévu son coup le bougre.

— Non, je pense que ce n'est pas la peine que tu t'emmerdes avec ça. Et aux dernières nouvelles en plus, je sais dessiner toute seule maintenant, alors plus besoin de ton aide. Maintenant, laisse-moi tranquille. Merci.

Le parfait exemple de la dissociation de la parole et de la pensée, comme si je ne voulais plus passer du temps avec Elijah. Mais pour le bien commun, il faut que notre relation s'arrête au plus vite avant qu'il ne soit trop tard, il tient sans doute déjà beaucoup trop à moi, inutile d'aggraver encore plus la situation. Je suis peut-être un peu dure, mais au moins, je suis claire dans mes intentions, j'en ai tout l'air en tout cas. Et il faut bien avouer que ça ne peut plus durer ainsi, je dois arrêter de lui faire croire qu'une amitié entre nous est possible, il faut que tout ça s'arrête. Dans quelque temps, lorsque j'arrêterai de buguer, tout redeviendra à la normale et je suis convaincue que je ne pourrai plus jamais l'apprécier autant, peut-être même que je risque de le haïr de nouveau, alors mieux vaut tout arrêter en douceur ou presque.

Elijah est sûrement choqué par mes propos, mais je tâche de ne pas m'en préoccuper, à la place, je pars, ayant peur de dire d'autres bêtises ou pire, comme chercher à lui expliquer mes paroles. Je vais en cours et je veille à rester éloignée de lui. Elijah, quant à lui, a pour une fois l'intelligence de m'éviter. Bien que dans le cas présent, ce n'est pas forcément une forme d'intelligence, c'est surtout une sorte d'abandon, ayant sans doute arrêté d'espérer quoi que ce soit de ma part, après tout, ce ne serait pas étonnant que je l'aie moi-même blessé. Évidemment, j'aurais préféré éviter, mais je n'avais pas le choix, en plus, c'est mieux comme ça pour nous deux.

À midi, je sens son regard sur moi, quand je prépare mon plateau, je dois me faire violence pour ne pas aller lui parler, rien que pour m'excuser. J'ai beau vouloir le contraire, je me suis clairement attachée à lui, je suis sans doute bien trop humaine pour que ça en soit autrement... Et par beaucoup de côtés, cette distanciation me fait du mal, mais plutôt mourir que de l'avouer à haute voix. J'espère sincèrement que mes remords et mes regrets me seront passés d'ici demain, parce qu'à force, je sens que ça va fortement m'énerver.

J'ai été très tentée d'aller chez Elijah cette nuit pour tout lui expliquer pendant qu'il dormait, comme pour expier mes péchés. Mais de une, je n'ai rien fait de mal au contraire. Et de deux, ça aurait quand même été une sacrée idée de merde, il faut bien le reconnaître. Déjà, je ne parle même pas de l'échelle de malsain d'une action pareille, mais en plus du fait que le cerveau capte tout, même quand le corps est endormi, bien sûr il n'enregistre pas tout, mais le risque et quand même là, alors mieux vaut pas tenter le diable. Sans compter que beaucoup de personnes, même pendant le sommeil paradoxal ou profond, se réveillent ultras facilement, alors je ne veux même pas tester si c'est le cas d'Elijah.

Bon a priori ça va, j'ai déjà réussi à fouiller tranquillement sa chambre pendant la nuit, mais c'est tout de même beaucoup plus discret que de parler et le cerveau peut être beaucoup plus aux aguets face à une voix, surtout s'il connaît la voix en question. Mais ce n'était pas une raison pour faire une chose pareille, il valait mieux que je m'en dispense.

Par contre, ça ne change rien au fait que je m'en veuille, mais je n'irai pas pour autant raconter quoi que ce soit à Elijah... Pas encore... Je me contrôle à peu près. Je ne promets pas que je tiendrai éternellement, mais sans doute suffisamment longtemps pour qu'il laisse tomber. Elijah ne tente apparemment pas de me parler, ce que je vis très bien, ça m'arrange même très honnêtement, mais ça c'est autre chose.

La journée se passe donc sans encombre. Mais je n'avais pas prévu que quand je gagne le parking à la fin des cours, il soit adossé à ma voiture, ce qui a déjà une fâcheuse tendance à m'énerver. Il n'a pas tout à fait choisi le bon moyen d'approche, là en tout cas, c'est très, très, très mal parti pour avoir une conversation détendue avec moi, il va falloir qu'il trouve mieux la prochaine fois. Non pas que je veuille tout particulièrement qu'il y ait une prochaine fois.

— Ronii, il faut que l'on parle, annonce-t-il dès que je suis à « hauteur » de l'entendre.

— Et moi, je ne veux pas parler. Alors dégage de ma voiture que je puisse rentrer chez moi, sinon sache que je peux t'écraser, ce serait dommage pour ma voiture, mais bon, ce n'est pas si grave que ça après tout, ça se change facilement.

Faux, archi faux, je ne ferais jamais une chose pareille. Déjà, argument de taille, je tiens beaucoup trop à ma voiture et elle ne se remplacera pas aussi facilement que ce que je prétends. Et il faut bien avouer que je suis sans aucun doute incapable de faire du mal à Elijah, que ce soit volontairement ou involontairement. Conclusion, les chances qu'il meurt écraser par ma voiture sont complètement nulles et impossibles. Mais j'ai quand même le droit de le menacer, ce n'est quasiment pas un crime, surtout en étant basé sur un si gros mensonge.

Ça ne l'empêche absolument pas de m'en croire parfaitement capable et de s'éloigner sagement.

— Ronii, s'il te plaît, il faut vraiment que l'on parle, répète-t-il ne semblant pas du tout décidé à lâcher l'affaire.

— Tu radotes mon vieux. Et je pensais pourtant avoir été assez clair, je n'ai vraiment pas envie de te dire quoi que ce soit alors on a un problème, remarqué-je en montant en voiture. En plus, il me semble que nous avons déjà bien assez parlé hier si tu veux mon avis.

— Ronii... m'appelle-t-il semblant définitivement désespéré alors que ma portière est déjà fermée.

Je pars sur des chapeaux de roues et je me dirige au plus près du bâtiment abritant le dernier cours de ma sœur pour la récupérer en vitesse. Fauve est déjà sortie, mais elle bavarde avec ses amies et je n'ai pas le moindre doute sur le fait qu'elle a remarqué ma « conversation » avec Elijah. Elle monte en voiture sans commentaires après un dernier adieu à ses amies, mais je me doute bien que ce répit est de très courte durée. Et ça ne rate évidemment pas, à peine avons-nous quitté le parking du campus qu'elle m'interroge.

Je n'ai pas beaucoup de réponses à lui apporter, au contraire, j'ai plutôt d'autres questions. Je dois avouer que je n'en reviens pas qu'il retente sa chance si vite, surtout après ce que je lui ai dit hier. À chaque fois je suis surprise, mais il est vraiment définitivement beaucoup plus têtu que ce qu'il en a l'air, c'est incroyable, c'est ahurissant d'être aussi buté que lui, c'est une véritable catastrophe. Vraiment, avec lui comme concurrent, je ne suis pas sûre de gagner la compétition sur la plus grosse tête de mule ! Bien que... je l'aurai peut-être à l'usure, je suis plus endurante que lui. Mais ce n'est qu'un peut-être, ce qui veut quand même tout dire. En attendant, il n'est clairement pas décidé à consentir que nous ne nous voyions plus, j'avais pourtant eu bon espoir pendant toute une semaine durant laquelle il semblait bien accepter. Mais apparemment, ce n'était que l'entracte, qu'est-ce que je suis bête par moment, je crois beaucoup trop, surtout en ce qui concerne Elijah et presque systématiquement, c'est juste complètement faux. Et bien sûr, je n'apprends pas non plus de mes erreurs, ce serait beaucoup trop marrant.

Honnêtement, j'hésite quelques instants à l'envoyer à nouveau bouler, parce qu'il m'énerve quand même un peu beaucoup à force. On va tout de même tenter la technique patience, peut-être que si je l'écoute, après il me fichera la paix si je fais semblant de m'en foutre royalement. Pas sûr que cette technique fonctionne vraiment, mais qui ne tente rien n'a rien, en me disant qu'au moins, je saurais ce qu'il me veut.

— Parle, vite, tu as deux minutes, affirmé-je en n'inventant même pas une durée puisque c'est presque exactement le temps qu'il reste avant le début de notre cours.

— OK... commence-t-il très honnêtement surpris, il ne s'attendait vraisemblablement pas à cette réaction de ma part. Je voulais te parler à propos de ces derniers jours... Je sais que je peux être très insistant et que c'est sans doute pour ça que tu avais accepté de venir chez moi pour dessiner, mais j'ai vraiment cru qu'il y avait quelque chose entre nous, que nous étions au moins amis... Après peut-être que je me fais des films, mais pour moi, on s'entendait bien quoi... Et je trouve ça dommage que notre relation soit gâchée à cause de je ne sais trop quoi.

RONII (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant