CHAPITRE QUATRE-VINGT-NEUF .5

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Les grand yeux bleus si fascinants, si inquiétants, se fixèrent sur elle. Tranit eut l'impression d'être mise en joue par un fusil ou un révolver.

Pouvait-on dire être fusillée du regard ? C'est ce qu'elle ressentit sur l'instant.

Erwan à son tour prit une profonde inspiration pour se calmer et la relâcha lentement, s'efforçant de rester calme. Il eut un petit geste apaisant de la main. Son regard devint subitement plus doux.

— C'est la tension, Tranit, souffla-t-il avec un soupçon de soulagement. Tout ce qui se prépare, tout ce qui nous attend. Observe-toi bien dans un grand miroir, ce soir. Tu sais quoi ? Je suis certain que tu as perdu du poids. La fatigue se lit sur ton visage aussi.

La jeune femme se palpa le visage, se doutant qu'Erwan avait probablement raison. Il poursuivit son explication, repensant à quelque chose qui venait de se dérouler peu de temps auparavant.

— J'arrive de chez Benwan, où ses chars opéraient en unités complètes, pour une manœuvre d'enfoncement d'une division adverse. Tu sais bien que c'est en répétant sans cesse les mouvements d'exercices que les hommes apprennent à agir instinctivement.

La jeune femme opina silencieusement du chef, toute ouïe.

— Mais l'apport de mes armes change beaucoup de choses, poursuivit le jeune seigneur montagnard. Aucun souci pour les FLACA ou les FLAPACA, ses hommes s'y sont habitués comme s'ils n'attendaient que ça depuis leur naissance. Non, le souci vient des canons SR.

Tranit afficha un air encore plus attentif. Elle se souvenait parfaitement de la démonstration effectuée par Benwan. L'arme, qui ne payait pas trop de mine, l'avait complètement boulversée par sa puissance et la dangerosité de sa munition.

Erwan vit que Tranit voyait probablement où il voulait en venir et confirma d'un léger signe de tête.

— Oui, le souffle dégagé par l'arme est vraiment dangereux et requiert des chars lourds qu'ils opèrent d'une manière plus espacée. Et c'est ça qui ne rentre pas encore. On vient d'avoir un nouvel accident. Un mort, deux blessés et deux dorkis à l'équarrissage.

Tranit fit signe qu'elle comprenait.

— Benwan m'avait déjà parlé d'un accident mortel, le jour où j'ai vu les armes en démonstration.

Erwan confirma.

— Il y en a eut d'autres. Les équipages oublient ce problème de distance. J'espérais qu'il pourrait aligner deux escadrons de chars lourds pendant la campagne, pour soutenir ses quatre escadrons légers et toute la charrerie classique qui lui est allouée. Mais avec les pertes, la casse, les accidents et les hommes auxquels il faut consacrer du temps d'entraînement, ce n'est plus possible.

Nous allons devoir alléger ses escadrons pour mieux répartir les équipages au point. Si nécessaire, je lui demanderai de laisser ici les éléments ayant besoin de soins ou de formation, pour qu'ils profitent d'un temps de préparation supplémentaire. Ils pourront nous rejoindre avec une ou deux décades de retard. Je ne pense pas que les grandes batailles seront encore commencées à cette date.

Le jeune seigneur montagnard se secoua, comme pour se débarrasser de ses idées noires, puis offrit un sourire beaucoup plus détendu à la jeune femme.

— Bien, revenons à nos mou... nos dorkis, s'amusa-t-il. As-tu des questions sur les forteresses ?

Tranit fit signe que oui, amusée de le voir changer si rapidement d'humeur, elle ne s'en sentait pas capable.

— Oui ! J'aimerais obtenir quelques petites précisions. Lors de mes discussions avec mes officiers, certains points ont été soulevés.

Tranit montra son cahier à Erwan. Le jeune homme se concentra quelques instants pour lire les questions avant d'approuver silencieusement. Il rendit le cahier à la jeune femme.

— Pour les horaires des patrouilles, c'est déjà en cours. Mes hommes qui surveillent l'endroit notent à chaque fois les horaires et le nombre d'hommes qu'ils observent. De jours comme de nuit. Tous les deux jours ils indiquent si c'est toujours pareil. En gros, il semble bien que les hommes font un passage toutes les quatre heures. Deux dizaines d'hommes qui sortent d'un angle, alternativement du fortin est ou celui de l'ouest, font un arrêt au fortin central. Il y a peut-être une relève d'homme à ce moment, mais nous sommes incapables de le savoir.

— Donc nous devrons supposer que les trois fortins auront une garnison d'une vingtaine d'homme.

— C'est fort probable, confirma Erwan en tripotant un bâtonnet à fumer. Et les heures de patrouilles sont assez régulières. Ils suivent les douze heures habituelles.

— Alors nous attaqueront à la demie de la sixième veille, cinq heures c'est ça ?

— Un excellent moment ! Attaquer juste avant le lever du jour. C'est classique, mais ça marche toujours.

— Surtout pour que nos hélicos puissent nous transporter avec le maximum de sécurité. J'imagine que dès que l'alarme sera donnée, les hommes préposés aux lance-flammèches mettront leurs armes en batterie. Ça doit être dans leurs instructions.

— Pour moi aussi c'est une évidence. Par contre, je reposerai la question à mes hommes, mais je ne sais pas si nous pourrons deviner comment sont les toitures des fortins. Elles m'ont semblé être en pierre.

— Quelques jeunes officiers m'ont demandé si nous ne pouvions pas secouer nos adversaires et accompagner notre attaque d'un petit barrage d'artillerie concentré sur les trois fortins. Je ne sais pas si nos flammèches auraient la puissance nécessaire pour les ébranler, les incendier.

Erwan, qui venait d'allumer son bâtonnet, restait songeur.

— L'effet obtenu en vaut-il la chandelle ? En signalant notre arrivée nous perdrons quelques précieux instants. Et puis des flammèches contre de la pierre. Même en utilisant des têtes incendiaires, ça n'ira pas très loin.

— Nous pourrions faire quelques essais ici ?

— D'accord, approuva Erwan. Dès que les élèves d'Adacie et de Suwane seront au point, nous tenterons l'expérience. Maintenant,fit-il en allumant son bâtonnet et aspirant une première bouffée avec plaisir, raconte-moi ce que tu envisages de faire.

Les larmes de Tranit - 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant