CHAPITRE QUATRE-VINGT-QUATRE .2

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Sa question ramena Tranit à la procédure qu'elle commença à répéter lentement. Elle releva complètement les caches des quartz, ce qui amena l'engin à un peu plus d'une toise et demie du sol. Il semblait onduler, comme un esquif passant sur une petite vague.

— Nous avons vu avec Géhémias que la limite pour le modèle était de cinq tiers de toise avant que nous ayons besoin des perches. Avec un modèle de taille réelle, cela devrait faire sept toises.

— Tu peux enclencher le premier cran, lui souffla Erwan. J'ai fait en sorte que les trois premiers n'apportent qu'une faible quantité d'électricité. Essaye-en un. Tu devrais grimper d'une toise et demie seulement.

Tranit suivit ses instructions et l'hélico grimpa doucement aux environs de trois toises, mais le mouvement d'ondulation se poursuivait. La jeune femme poussa le manche pour avancer, ce qui se fit, mais toujours en ayant l'impression de cahoter.

Tranit tourna doucement au-dessus de l'esplanade plusieurs fois avant de se tourner un peu vers l'arrière.

— Est-ce que ça serait un problème si nous lancions les perches dès le début ?

— Non, répondit Erwan. Le système est branché sur les autres bouteilles. Lance-le.

Tranit s'exécuta. Elle ne put s'empêcher de lever les yeux vers les deux manettes, de peur de se tromper puis injecta de l'électricité avant de libérer le rotor qui se mit presque immédiatement à tourner et à mouvoir les deux longues perches qui créaient un cercle stabilisateur autour de l'appareil. Erwan se tourna vers l'arrière et par une petite meurtrière regarda la queue de l'engin.

— Ça tourne ! Il faudra penser à un moyen de pouvoir s'en assurer même en pilotant seul. Suwane, tu pourrais noter tout ce que nous allons dire ? Je crois que nous allons en avoir besoin.

Tranit entendit le bruit des pages qu'on tournait et savait que sa petite fée était déjà prête à tout écrire.

En tout cas, le chariot était maintenant stable et répondait bien. Tranit fit quelques tours, passa au cran suivant, gagna encore une toise et demie puis voyant ensuite qu'à six toises de hauteur tout se passait bien, elle se dirigea vers le bassin de l'oisellerie.

Aussitôt, au sol, une trentaine de cavaliers ainsi que des chariots se mirent en route pour les suivre. Deux mousquetaires arrivèrent les premiers, à peine quelques toises devant Tranit qui s'était bien gardée de donner trop de puissance à son appareil.

Deux goélands paniquèrent en les voyant arriver et leurs chevaliers eurent quelques difficultés à les calmer. Erwan demanda à Tranit de se rapprocher du sol et il hurla à ses mousquetaires de faire rentrer tous les oiseaux à l'intérieur. Certains allaient peut-être les attaquer, croyant à un danger.

Tranit s'éloigna vers le sud, toujours proche du sol pour voleter encore quelques minutes, jusqu'à ce qu'un cavalier lui signale que tout était en ordre. Elle revint près du plan d'eau avec une certaine appréhension.

Suwane lui fit passer son cahier sur lequel elle avait noté quelques conseils. Venir à seulement quatre toises, mais avec un peu de vitesse. La chute serait brutale puisque l'étendue d'eau était large d'au moins trois cents toises et que les effets se feraient sentir, mais ensuite, il lui suffirait de rester au-dessus de la surface.

Tranit poussa un profond soupir, sentit Adacie lui presser le genou puis le souffle d'Erwan lui caressa le cou.

— J'ai entièrement confiance en toi. Vas-y !

Tranit aurait voulut hésiter, réfléchir un instant mais tout au contraire, elle suivit immédiatement les conseils de Suwane et les instructions d'Erwan. La seconde d'après, elle poussait un cri de surprise, suivit par celui d'Adacie puis éclata de rire alors qu'elle survolait l'eau à toute vitesse à moins de deux toises.

Derrière elle, Suwane applaudissait et Erwan riait aux éclats.

— C'est ça, lui dit-il, plus vite ! Et tourne ! Reste au-dessus de l'eau un peu. Détends-toi !

Tranit était complètement nouée. Elle riait, mais sentait ses épaules comme bloquées. Il lui fallut au moins deux tours complets pour s'apercevoir qu'elle était raide comme une poutre. Se relâcher lui demanda un effort incroyable et elle se sentit épuisée. Derrière elle, Erwan dictait elle ne savait quoi à Suwane avant de se pencher vers elle.

— C'est excellent ! Maintenant, ralentit. Oui, comme ça.

Tranit fit de nouveaux tours très lentement, sans doute la vitesse d'un dorkis au trot.

— Bien, si tu t'en sens capable, échange ta place avec Adacie, sinon, revient sur la berge.

Tranit préféra jouer la sécurité et revint au-dessus du sol et perdit de l'altitude avant de se contorsionner et de laisser Adacie s'installer aux commandes.

Celle-ci remonta immédiatement et alla survoler la surface de l'eau. Sachant ce qui allait se produire, Tranit resta bien calme mais sentit son cœur se serrer un peu, comme lorsqu'elle avait sauté de la tour.

Adacie vola plus lentement, mais pris ensuite de l'altitude. Avec les trois premiers crans, l'engin se maintenait à peine plus de trois toises de l'eau. Pour la suite, la puissance injectée serait bien plus forte. Chaque cran allait le faire monter de plus de vingt-cinq toises, moitié moins au-dessus de l'eau.

Après dix minutes de vol circulaire, leur engin était au même niveau que la tour de guet surmontant l'oisellerie. Soixante-quinze toises.

— Si Adacie change de direction, nous allons grimper à toute allure à cent cinquante toises, rappela Erwan. Par sécurité, nous allons faire l'essai seulement au premier cran. Ensuite, nous nous poserons quelques instants. Je dois parler avec mes officiers et nous devons laisser le temps à notre escorte de décoller.

Sans rien dire, Adacie avait manipulé le système et ramené l'hélico à une douzaine de toises de la surface. Tranit voyait que les quartz flotteurs imprimaient une poussée à l'eau et que cela dessinait un sillage, comme avec une barque. Adacie demanda s'ils étaient prêts puis se dirigea vers le sud comme Tranit l'avait fait et quitta la surface de l'eau pour survoler la petite plaine.

Avec un retard de quelques secondes, l'hélico bondit vers le haut et Adacie lança une exclamation de joie en sentant l'engin grimper. Elle prit même un peu de vitesse et en quelques instants la colline des artisans fut en vue, bien plus vite que Tranit ne le pensait.

Même Erwan se sentait gagner par l'ivresse de la vitesse. Et ce cockpit qui permettait de voir sans être dérangé par le vent. En fait, c'était bien plus pratique que ce qu'elle pensait.

— Passe au cran supérieur Adacie, lui intima Erwan.

— Oui seigneur, répondit-elle sans hésitation.

Tranit vit le paysage changer alors qu'ils volaient maintenant sans doute à une soixantaine de toises du sol.

— C'est la bonne altitude pour survoler la route, décréta Erwan. Alors retournons au plan d'eau. On va s'inquiéter.

Adacie tourna alors que la colline se rapprochait à vue d'œil et prit le chemin du retour.

Tranit ne savait pas exactement dans quel état d'esprit elle se trouvait. Il y avait déjà l'habitude de grimper sur un chariot et se balader à plusieurs toises du sol, mais aussi la nouveauté de se trouver à l'intérieur de cet étrange engin, avec un homme qui trouvait ça du plus naturel et ne doutait pas un seul instant de ce qu'il avait aidé à construire.

Pour un peu, Tranit aurait déclaré que ce n'était pas normal. Ça ne devait pas se passer ainsi. Un miracle ne pouvait pas se réaliser dans une ambiance aussi décontractée.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 4Where stories live. Discover now