CHAPITRE SOIXANTE-QUATORZE .3

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Un autre marin apporta un plateau sur lequel des mélanges de chanvre étaient présentés dans de luxueux pots. Urcuit refusa la pipe, mais fit signe à Erwan et Tranit de ne pas se gêner pour lui.

- Le chanvre me fait dormir trop profondément. Je ne peux pas me le permettre ces temps-ci.

Erwan alluma un de ses bâtonnets blancs et Tranit se prépara une pipe légère. Erwan aspira profondément la fumée avant de se lancer.

- J'ai besoin de résine et de gaz dans des quantités inimaginables ! J'ai besoin de ta merde gluante comme tu l'appelles, de toute ta merde et encore plus !

Urcuit s'était figé et regardait Erwan, étonné. Celui-ci poursuivit.

- Suwane m'a appris que la dernière fois que ta rade fut nettoyée, du moins que tu tentas de le faire, les algues revinrent au niveau précédent en huit semaines ? Est-ce vrai seigneur ?

- Oui ! Malheureusement.

- Malgré le travail entrepris, l'assainissement fait ?

- Oui ! J'ai tenté le tout pour le tout. J'ai payé pour la nettoyer presque aussi cher que mes ancêtres l'avaient fait pour l'aménager. Pendant deux semaines, nous avons interdit aux navires de venir et nos meilleurs plongeurs ont ramassé tout ce qu'ils pouvaient. C'est pourquoi j'ai fait creuser ces nouveaux digesteurs.

- Et en huit semaines ce travail fut anéanti.

Le seigneur d'Urcuit acquiesça et se pencha vers Erwan, comme pour lui confier un secret.

- Nous n'avons gagné que deux semaines de délais parce que j'avais fait interdire d'utiliser nos installations souterraines.

- Lesquelles ? demanda Erwan d'une voix qui masquait mal une certaine excitation à ce que Tranit pouvait deviner.

- Nos forges, nos fours, toutes ces installations qui faisaient notre réputation pour leur qualité. Il a fallu les fermer. Nous avons fini par comprendre que plus l'eau était chaude à cause de nos activités souterraines et plus les algues proliféraient, même en hiver ! Nos meilleures forges réduites à l'inactivité.

Tranit ne put s'empêcher d'intervenir.

- Même en hiver ? Les rades ne gèlent jamais ?

- Non, jamais, dame Tranit. Ici, nous sommes sous l'influence de l'océan qui n'est qu'à quelques minutes de vol. Depuis que je suis sur cette terre, la rade n'a dû geler que deux ou trois fois. Depuis que cette infection a commencé, cela ne s'est jamais produit. Même cet hiver qui fut pourtant très rigoureux par chez nous.

Erwan aspira une longue bouffée qu'il recracha dans la nuit claire d'Urcuit et se pencha à son tour vers son hôte.

- Je ne sais pas pourquoi cela t'est arrivé, seigneur. Sans doute que nous ne le saurons jamais. Et jamais ta fière rade ne retrouvera son activité d'antan. Mais justement, ne l'utilise plus jamais comme rade ! Fais-en une source d'algues ! Rallume tes forges et tes fours. Produis-moi autant de résine puis de gaz que tu le peux. Je l'achète en or ! Je paye d'avance la récolte !

Le vieil homme fronça les sourcils.

- Comment quelqu'un peut-il avoir besoin d'autant de résine ou de gaz ?

- C'est mon petit secret seigneur. Mais mon or est franc et en devenant mon ami, ta seigneurie retrouvera sa splendeur.

- Vas-tu aussi me proposer d'engager dans ton armée mes enfants non dotés ?

Erwan fit un geste d'impuissance de ses mains et prit un air sérieux.

- Non ! Je n'ai pas le temps de m'occuper d'eux. Moi et Tranit avons une guerre à mener à l'est. Mais avancer les fonds pour qu'ils puissent s'offrir un équipement digne de leur valeur, qu'ils puissent joindre un ost et montrer de quoi ils sont capables, cela ne me pose aucune difficulté.

L'or n'est rien pour moi ! J'ai besoin de temps, ce que personne ne peut m'offrir, ainsi que de résine et de gaz, que toi tu possèdes en trop grandes quantités.

Urcuit eut un grognement qui pouvait signifier tout et n'importe quoi, mais il finit par sortir une pipe de sa tunique et se servit du mélange apporté par le marin d'Erwan.

- À quel prix proposes-tu de m'acheter mon gaz et ma résine ? J'imagine que je ne pourrais pas espérer la même bonne fortune qu'Isturits.

Tranit sourit. Elle était persuadée qu'Erwan était arrivé à ses fins. À partir du moment où l'on parlait argent, il y avait toujours un moyen de s'entendre.

Erwan prit sa chope de lait de noisette qu'il leva pour porter un toast silencieux à son hôte.

- Es-tu certain de la bonne fortune de ce pauvre père éploré ?

Urcuit gloussa.

- Ce vieux grigou ne va plus pouvoir dormir pour le restant de ses jours. Je ne m'attends pas à une pluie d'or, mais j'espère pouvoir rendre sa splendeur à ma famille et honorer mes vassaux convenablement.

- Tu es en première ligne contre l'adversaire. Pour le moment, je peux acquérir résine et gaz à peu près au même prix. Une lune la jarre. Les prix ont un peu monté dans l'ouest parce qu'il y a une pénurie.

- Cela fait des dizaines et des dizaines de lieues à remonter le courant pour arriver jusqu'à Maubourguet. C'est un peu faible comme prix, déclara d'un ton quelque peu boudeur le seigneur d'Urcuit.

- Non, seigneur, le corrigea Erwan d'un ton doux. Je me suis mal exprimé. Je paye une lune par jarre, mais je m'occupe du transport. Un navire s'occupera uniquement de faire la navette entre ici et les dépôts de mes troupes.

- Le transport à ta charge ? demanda le vieil homme gagné par l'incrédulité.

- Oui ! Combien pourras-tu me livrer à chaque fois ?

Urcuit aspira sa pipe et secoua la tête.

- Je n'en sais vraiment trop rien. Je n'ai plus les chiffres en têtes. Mon intendant doit les connaître, il a encore plus pleuré que moi lorsque nous avons creusé les digesteurs et payé pour les travaux.

Erwan avait déjà claqué des doigts et lancé à un enseigne qu'il souhaitait rencontrer l'intendant du seigneur.

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Vixii

Les larmes de Tranit - 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant