22 | des caddies et des e-mails

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INA RESSEMBLE À UN LÉGUME. En fait, elle est pire qu'un légume, là tout de suite. Elle préfère rester dans son lit plutôt que d'y sortir. Parfois, elle vérifie l'heure, dans l'espoir de recevoir un message d'Edgar. Rien. Rien. Rien.

Ina s'est faite larguée. Par appel, en retard, juste avant son départ. Elle comprend au fond, même si une boule de colère gronde en elle. Ils méritent mieux qu'un simple appel. En même temps, ils étaient au bord du gouffre quand ils s'étaient revus. Ils ont juste reporté ça pour plus tard.

Mais ça restera toujours trop tôt pour Ina, en tout cas.

Nous sommes samedi après-midi, Ina a séché les cours du matin. Elle n'a pas réussi à se réveiller, après avoir trop pensé toute la nuit. Ce qui est terrifiant, c'est son besoin irrépressible de changer ce qui ne peut pas être changé. Et puis, à chaque fois qu'elle dort, elle se laisse aller dans le pays des rêves. Et rêver de ce qui n'est plus, ça la terrifie.

Ingrid est repartie il y a quelques temps, en laissant Ina affronter seule le lycée. Au bahut, elle a fait comme si de rien était jusqu'au vendredi. Mais à force de ne plus dormir, de manger ce qu'elle peut et d'y penser, elle a dû se laisser ce samedi.

— T'es pitoyable, se lamente-t-elle en fixant son écran.

Pitoyable. L'état dans lequel elle est plongée là tout de suite lui dévaste l'âme. Elle n'a jamais été aussi malheureuse physiquement et psychologiquement. Ina s'en veut de réagir ainsi à cette rupture. Elle devrait être forte, vraiment forte. Parce qu'elle n'a jamais eu peur d'avoir mal et d'aller mieux juste après. Mais quand est-ce qu'elle ira mieux ? Pas tout de suite en tout cas.

D'une certaine manière, ça la soulage d'être aussi triste. Elle préfère la tristesse au vide. Le vide, c'est ce qui l'effraie aussi, la perte de l'appétit pour la vie. Mais cette douleur, ça la bouffe, littéralement. À chaque fois qu'elle regarde autour d'elle, elle se souvient de lui. Ce n'est pas son départ fatal qui la hante, mais la fin de leur histoire. En fait, elle en sait rien de son histoire. Mais, c'est déjà une fin de trop, dans le début de tout ce qu'elle a entrepris.

Vers la soirée, alors qu'Ina a réussi à se lever pour faire sa dissertation, sans grands résultats, son père ouvre la porte de sa chambre.

— Y a des amis qui veulent te voir en bas, prévient-il.

Avec son père, depuis l'été, tout est devenu assez cordial même si leurs contacts restent froids. Ina ne l'a pas pardonné, mais voir son visage compatissant la rassure. Au moins, elle n'est pas seule à la maison.

— Je les fais monter, ajoute-t-il.

Ina sort la tête de ses cahiers, regarde son état dans le miroir près de son armoire. Étrangement, elle ne ressemble pas à rien. Mais tout de même, on sent qu'elle est au fond du trou et que sa vie a arrêté de tourner correctement. Tout son univers est englouti depuis des jours. Ça fait seulement quatre jours qu'elle est célibataire. Mais quatre jours, c'est beaucoup trop et rien à la fois.

Mélissa, Florence, Mathilde, Issa et Théodore débarquent dans sa chambre. Tout le gang des boulets qu'elle aime par-dessus tout.

D'abord, Ina est surprise de voir Théodore supporter les filles. Y a même Issa dans le lot, alors qu'elle lui parle beaucoup moins depuis l'année passée. Puis, elle se souvient qu'elle n'est vraiment pas en état de les voir. Elle peaufine depuis trois jours son rétablissement superficiel, mais là, assise sur la chaise de son bureau, démaquillée et le corps faible, Ina se révèle être un bon légume moisi.

22:22Où les histoires vivent. Découvrez maintenant