Chapitre 14

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Nataniel essuya sa lame tachée de sang avec une grimace de douleur. Son adversaire était parvenu à le toucher à deux reprises de son épée magique. Il nettoya ses plaies sur son avant-bras et sa hanche droite, maugréant contre son arme adaptée à sa mutilation, mais désavantageuse lors des combats. Sa courte taille, qui permettait un poids plus léger, avait failli lui coûter sa vie. Cela lui répugnait de l'admettre, mais il ne s'en était sorti que par chance.

Il revit son escadron s'enfoncer dans la forêt sombre, à la poursuite de mages repérés. Mais les fugitifs étaient plus puissants que les Timoriens ne l'avaient cru, et surtout plus malins. Ils les attirèrent dans la végétation, qu'ils manipulèrent : troncs en chute mortelle, branche manquant de les assommer, feuilles sauvages et aveuglantes. Le combat ne concernait plus seulement les mages, mais la nature elle-même. Les éléments semblaient rassembler les soldats, avait vite réalisé Nataniel. Avant de se faire encercler, il se fraya un passage hors de la tempête, mais tomba nez-à-nez avec un mage. Le combat s'engagea, féroce et fulgurant. Le mage, adroit et endurant, le poussa dans ses retranchements, franchissant sa garde par deux fois. Nataniel ne fut pas en reste, avec une parade qui sillonna de pourpre la joue du fugitif. Mais il avait remarqué sa faiblesse croissante face aux offensives de l'épée magique, tout comme son adversaire. Se produisit ce qu'il craignait : le mage, l'espace d'un instant, dirigea sa magie vers les racines qu'il venait d'enjamber. Ses jambes fauchées, il bascula, se rétablit d'une roulade et, accroupi, sonda les ténèbres. Un sifflement le frôla, qu'il esquiva d'un bond sur le côté. Adossé contre un tronc, tentant le tout pour le tout, il s'empara de sa dague, coincée dans sa manche gauche. Son cœur battait si fort qu'il craignit de ne pas entendre son assaillant. Suite à cette pensée fugitive, l'arme s'abattit de nouveau, le frôlant d'un pouce, et s'encastra dans l'écorce. Sans hésiter, à l'aveugle, il se redressa et lança sa lame. Elle fendit les airs et un gargouillis étouffé lui indiqua qu'il avait atteint sa cible. Un choc sourd résonna quand le corps s'effondra. Pantelant, Nataniel reprit plusieurs inspirations pour retrouver ses esprits.

Les mages avaient été neutralisés ou capturés, mais cela avait coûté un tiers de l'escadron des Timoriens. Les survivants avaient été en grande majorité blessés. Ce triste bilan fit monter la rage de Nataniel. Il finit de panser ses plaies, puis sortit à grands pas de son baraquement.

Il voulait voir les prisonniers. Les mages étaient rassemblés sous bonne garde. La pluie battante s'infiltrait à travers le toit branlant, fait de rondins de bois humides. Les grelottements des captifs faisaient cliqueter les lourdes chaînes qui maintenaient leurs chevilles et poignets derrière leur dos. Entravés, bâillonnés, ils ne pouvaient communiquer, ni utiliser leur magie. Certains présentaient des bandages de fortune sur de larges plaies tandis que d'autres, aux blessures plus légères, risqueraient l'infection.

Un des gardes se leva, un sourire à la vue de Nataniel. Prénommé Aubin, le jeune homme avait été enrôlé de force alors qu'il croupissait en prison, pour un vol dans un village nordique. Il n'avait jamais manié d'épée, simplement des couteaux, comme la majorité des gamins des bas-fonds. Doté d'une grande précision, ce qui l'avait rapproché de Nataniel, il répugnait pourtant à l'usage des armes. Mais il n'avait eu d'autre choix que de traquer des mages pour garder la vie sauve.

— Combien sont-ils ? demanda Nataniel après l'avoir salué.

— Six. Deux sont morts de leurs blessures. D'autres sont peut-être encore en liberté.

Il désigna un mage.

— Le sous-lieutenant pense qu'il était le chef.

Nataniel s'approcha pour l'observer. Il avait à peine quelques années de plus qu'eux. Son arcade sourcilière avait été fendue, et sa respiration sifflante trahissait des côtes fêlées. Pourtant, son visage affichait une détermination intacte. En dépit du sang, un éclat calculateur brillait dans ses yeux. Il cracha au sol et affronta Nataniel du regard. Le jeune homme se détourna, une sensation désagréable au fond de lui.

L'Héritage d'IrlondorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant