L'Héritage d'Irlondor

Chapitre 28

Pierrick poussa un soupir, enfin assis pour soulager ses membres perclus. Après le long périple d'El Ardyr à Oriem, la fureur des combats, son corps âgé se rappelait à lui. Le crépuscule venait de tomber sur la ville, comme le glas de cette journée meurtrière, mais à la fois promesse d'un renouveau.

La nouvelle de la mort de Jarle s'était répandue comme une trainée de poudre dans la capitale. Des pillages avaient eu lieu, sans que la Timor puisse les réprimer. L'armée s'était fragmentée. Une part, fidèle à Jarle, s'était enfuie. L'autre, convaincue de l'identité de Mia, l'avait reconnue comme héritière. De plus, la survie de Soraya les avait aussi retenus : leur vœu était de protéger le royaume, et ceux à sa tête.

Malgré tout, l'équilibre pouvait se dégrader à tout moment, et mener à une guerre civile, qui n'aurait rien à envier à la Guerre Pourpre. Les soldats ne voyaient pas d'un bon œil la présence des mages à la capitale, et ceux-ci le leur rendaient bien. Quant à la succession, comment décider, qui de Mia ou Soraya et son enfant à naître, accéderait au trône ?

Mia...

Pierrick avait été frappé de stupeur à sa vue. La jeune femme n'était plus que l'ombre d'elle-même. Disparus, le flamboiement de ses yeux, l'espièglerie ou la détermination. Il ne restait que le vide et le silence, ou une sauvagerie inédite, quand elle avait laissé sa magie dépasser tout contrôle.

Il observa la jeune femme. Exténuée après cette journée, elle n'avait pas mis longtemps à sombrer dans le sommeil. Mais il n'était pas paisible. Mia ne cessait de s'agiter, marmonnant des paroles incompréhensibles. Pierrick avait lu la crainte sur son visage quand Elihan, Ewann et lui avaient insisté pour qu'elle prenne du repos, aussi avait-il décidé de rester veiller sur elle, tandis que les deux autres mages resteraient en faction à l'extérieur, et empêcheraient quiconque d'entrer.

Pierrick ne cessait d'imaginer tout ce qu'avait pu subir sa protégée. Les cernes sur son visage creusé montraient les nombreuses nuits sans sommeil qui s'enchainaient. Et il avait vu les cicatrices à ses poignets. Elihan, après avoir examiné Mia, lui avait rapporté les nombreuses blessures physiques infligées, que le renégat avait ensuite guéries. La gorge nouée, le vieux mage ne put empêcher la culpabilité de le saisir. Il avait promis à Martian qu'il veillerait sur elle...

Comme pour lui rappeler cette promesse, un vestige du passé avait été retrouvé dans les appartements de Jarle. Le fragment manquant de la lettre de Martian pour Mia, complétant celui conservé à Adylis.

« tes choix bouleverseront l'équilibre de notre monde. Je sais bien à quel point cela est injuste. Toi, si insouciante et innocente, devras accomplir une tâche colossale, en abnégation totale.

Mais je sais qu'au moment voulu, tu feras le bon choix. Je l'ai vu en toi, depuis ton plus jeune âge. Tu as une force inébranlable, une force que tu devras mettre au service d'une cause juste : le bien de ton peuple, dans son intégralité, sa différence et pluralité.

Ne te laisse jamais pervertir par l'obscurité, mais sache que chaque être à une part de lumière en lui, parfois profondément enfouie.

Ne l'oublie jamais : À l'aube d'une nouvelle guerre peut naître la lumière.

Ton père. »

Après l'avoir lue et relue, inlassablement, Pierrick fut convaincu d'une chose : Martian s'était renseigné sur la prophétie, jusqu'à s'être approprié sa propre signification. Était-elle juste ? Pierrick n'en savait rien. Mais tout pointait vers Mia. En ce sens, Martian l'avait parfaitement saisi, et il avait voulu préparer sa fille au mieux en lui livrant certaines informations implicites. Mais pour tous les mages, le rôle de Mia restait bien plus flou... et il le demeurerait tant qu'ils ne sauraient pas ce qu'avait vécu Mia durant sa captivité.