Chapitre 24 (Partie 1/2)

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Mia tournait la lame de Nataniel, inlassablement. Le mouvement hypnotique s'associait à deux options : s'ôter la vie. Ou tenter de tuer le renégat. La deuxième option n'était pas une tentative de fuite. Seulement une façon de priver Jarle de son meilleur allié, de décharger toute la haine qu'elle avait accumulée, d'assurer à ses compagnons mages une plus longue survie. Cette lame qui avait tué tant de mages en tuerait un dernier, mais ce ne serait que justice.

Aussi, peut-être mourrait-elle dans la tentative. Sans avoir à retourner la lame contre elle...

Était-ce un manque de courage ?

Mia repensa à son père. Pierrick ne lui avait pas tout dit, mais une chose était sûre : Martian savait que sa mort approchait. Il s'était préparé, avait été au-devant du danger, l'affrontant debout. Elle ferait de même. Pour lui, pour les mages.

Alors elle attendit, minute après minute, heure après heure, que le baron réapparaisse. Avec le manque de nourriture, elle ne pourrait faire tenir la lame dans ses vêtements, désormais haillons flottant sur son corps amaigri. En dernier recours, elle la dissimula dans ses cheveux, qui désormais lui tombaient sur les épaules en une tignasse sale et emmêlée. Enfin, elle finit par entendre la voix du renégat. Son cœur s'emballa, le sang battit à ses oreilles, mais elle rassembla toute sa détermination. Tout se terminerait bientôt. Plus de souffrance. Qui sait, peut-être retrouverait-elle Laria, son père, voire ferait la connaissance de sa mère, après tant d'années ?

Lorek s'accroupit devant la cellule. Il avisa toutes les marques laissées par la torture sur sa captive : les cernes bleutés, le regard hagard, les frémissements de son corps entier dès que la fameuse goutte d'eau résonnait. Il avait vu ces mêmes signes sur Adelm. Et le garçon avait fini par céder peu après. Il devait maintenant pousser son avantage jusqu'au bout avec Mia.

- T'es-tu enfin décidée à coopérer ?

Mia garda le silence, comme si ses paroles ne parvenaient pas à atteindre sa conscience. Elle ne devait pas le défier, ou il pourrait décider de prolonger son supplice, anéantissant sa volonté. Elle devait lui faire croire qu'il avait gagné. Et alors, elle se libérerait.

- Transférez-là dans la cellule adjacente, ordonna-t-il à deux de ses hommes.

Les deux Timoriens lui prirent les poignets, puis la trainèrent hors de la minuscule cellule. Ses muscles atrophiés lui tirèrent un gémissement non feint. Elle pria pour que le couteau ne tombe pas de ses cheveux. Heureusement, la lame tint bon. Mia se retrouva dans une cellule plus spacieuse, où elle aurait pu tenir debout. Mais elle resta recroquevillée à terre, frissonnante. Éblouie par la nouvelle clarté, elle gardait les yeux plissés. Elle entendit le renégat la rejoindre, suivi d'une autre personne.

- Tu ne m'as pas répondu, Miana, murmura le mage d'une voix douce. Ta punition peut s'arrêter maintenant, si tu admets tes erreurs. Je suis prêt à te pardonner.

Tu es le seul qui vas payer.

Mia feignit un sanglot étouffé et une respiration hachée.

- Je... Je suis désolée, murmura-t-elle.

Le mage sourit, mais reprit vite son sérieux.

- Je ne t'ai pas entendue.

Mia sentit que le moment était venu. Le mage avait baissé sa garde, sûr de sa victoire. Il s'était imperceptiblement penché vers sa victime pour s'assurer de son triomphe. Elle voyait les jambes des soldats, à quelques pieds de leur seigneur. Trop éloignés pour réagir à temps.

Elle fit semblant d'être prise d'une quinte de toux, mais sa main droite se dirigea vers sa chevelure. Alors qu'elle empoignait la lame, elle redressa la tête et bondit, visant le cœur du renégat.

Son coup et le cri qu'elle poussa portaient toute la rage, toute la souffrance accumulée durant ces interminables jours de torture. Mais l'arme ne toucha jamais sa cible. Mia fut projetée en arrière par un faisceau de magie pure qui avait fondu sur elle. Il ne provenait pas du renégat, mais de son disciple, qu'elle avait aperçu aux côtés de Nataniel. Elle s'effondra contre le mur avant de retomber à terre, sonnée par le choc, le souffle coupé .

Elle avait échoué.

Sa main se tendit pour chercher la lame qui avait valsé à terre, mais les soldats se précipitèrent sur elle pour l'immobiliser. Elle puisa dans le peu de forces qui lui restaient pour laisser jaillir sa magie. Les entailles sur ses poignets s'étant refermées, elle n'était plus autant drainée par les menottes, bien qu'elle demeurait faible suite aux privations.

Les soldats furent repoussés quand elle érigea un bouclier autour d'elle. Mais la protection, déjà frémissante, fut brisée par un assaut de magie pure, qui renvoya Mia au sol. Le renégat s'avança vers elle, la dominant de toute sa hauteur. Pour la première fois, Mia lut un mélange d'émotions sur son visage : surprise, colère, dépit.

Il se pencha vers elle et tendit sa main. Mia sentit alors les battements effrénés de son cœur se ralentir, sa respiration se faire moins erratique. Elle eut juste le temps de comprendre que le renégat en était le responsable, avant de sombrer dans l'inconscience, sans pouvoir résister davantage.

- Vous l'amènerez dans la dernière cellule, ordonna-t-il. Et cette fois, vous vérifierez qu'elle ne possède aucune arme.

Avant cela, le renégat en profita pour retracer les entailles qui lui permettraient de contrôler sa magie. Il procéda en silence, mais sentit le regard de son disciple peser sur lui.

- Tu as fait du bon travail, Adelm, le complimenta-t-il.

Il se retourna, mais le mage fixait le sol, sans répondre.

- Adelm.

Le jeune homme sursauta, comme frappé par la réalité.

- Excusez-moi, Seigneur. Je vous remercie.

Le baron le dévisagea. Il avait remarqué les moments d'absence d'Adelm, ces derniers jours. Depuis son retour, depuis qu'il était à la baronnie en présence de Miana. Avait-il ressenti le lien qui les unissait ? Il était temps qu'il discute avec lui de la jeune fille, mais il devait réfléchir avant à la manière d'aborder les choses. Et, à cet instant, Miana restait son principal tourment. Il congédia son disciple, et s'assit lourdement dans son fauteuil pour tenter d'ordonner ses pensées.

J'aurais dû m'en douter ! se fustigeait Lorek, après avoir repassé les évènements en boucle dans son esprit, et réalisé qu'il s'en était fallu de peu pour qu'il perde la vie. Adelm n'était qu'un enfant, il avait été plus simple de le briser. D'une grande sensibilité, il n'avait pas la détermination farouche de son père, comme c'était le cas de Miana ! Il avait pu utiliser le lien fusionnel qu'Adelm partageait avec sa mère à son avantage, mais cela serait impossible avec Miana, orpheline depuis sa petite enfance. De plus, le statut de Mia, et les risques qu'il représentait, l'obligeait à agir avec plus de prudence.

Lorek maudit son aveuglement. Il avait sous-estimé la jeune femme, mais il ne ferait pas une seconde fois la même erreur. Il inspira profondément pour garder son calme. Son frère avait toujours condamné son impulsivité, un trait de caractère qu'il avait peu à peu dompté au contact de Jarle, en voyant à quel point cela pouvait mener à des actions irréfléchies. Il devait voir l'attaque de Miana comme un défi. Il avait encore du travail à faire pour dompter la jeune mage. Mais il y parviendrait. Car s'il pouvait tirer une conclusion de sa tentative, c'est qu'elle était désespérée. Elle céderait bientôt.


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L'Héritage d'IrlondorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant