XXXV.

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Les femmes ne furent pas seules au village. Lentement, après la mort de ses parents et l'abandon des champs, la terre avait commencé à absorber les minéraux des corps enterrés. Quelques plantes avaient surgi, s'étaient faufilées entre les roches, étaient parvenues au sommet, à s'extraire de l'humus lourd et compact qui les retenait. Alors, avec la lenteur que celle qui convient aux infimes bouleversements, elles s'étaient propagées, s'étaient glissées entre les fissures des façades, avaient envahi les champs au dessus-du village, chacune des graines devenait une goutte d'eau dans une mer verte, chaque année la mer enflait et grossissait, et bientôt elle recouvrit tout.

Les premiers habitants, qui étaient partis, revinrent peupler le village. Quelques maisons s'animèrent, ils plantèrent des arbres, aménagèrent les champs, firent un peu de commerce avec les marchands qui s'en allaient vers la ville. Ils n'étaient pas riches, mais ils étaient chez eux. En l'honneur du sacrifice de la famille qu'ils avaient connu, ils érigèrent un cimetière dans le champ où ils étaient enterrés et le décrétèrent comme le seul valable du village. La vie reprit. Les habitudes revinrent. Des enfants naquirent. La vie était là.

De nouveaux habitants arrivèrent et s'installèrent. C'était le printemps, la colline descendait comme un long fleuve vers le bas de la vallée, les fleurs repoussaient, l'aube était paisible et douce, une femme était dehors, elle regardait le soleil se lever et répandre son ombre sur le mur de sa maison, elle écoutait le murmure du vent, elle tenait sa fille contre elle, elle ne savait pas alors qu'elle épouserait le père d'Antonio, elle ne savait rien de l'avenir, elle regardait le soleil quand quatre silhouettes surgirent devant l'astre brûlant, les silhouettes sombres fondaient, elles approchaient vers elle, elle eut peur soudain, brutalement, que ces formes ne soient des démons, qu'elles envahissent le village, mettent à feu et à sang la quiétude qu'elle avait connue et aimée, les silhouettes avançaient vers elle, l'une était courbée, elle portait l'enfant dans son dos, le soleil continuait de se lever, la femme assise ne bougeait pas, son mari dormait encore, sa fille remua et se mit à geindre, elle pensa qu'elle aussi sentait venir le danger, elle la serra plus fort comme pour la faire rentrer dans sa chair, la protéger grâce à son propre corps, les silhouettes venaient d'entrer dans le village, elle entendit des sanglots, soudain elles surgirent en face d'elle, inattendues, déterminées, saisissantes.

Celle du milieu pleurait.

Elle se dirigeait, hésitante, fébrile, vers la maison de ceux qui étaient morts en premier. La femme assise les regarda passer, immobile, figée, remonter la ruelle, se tenir un instant sur le seuil, contempler la façade, retenir les larmes, essayer d'être digne, une seule fois, pour demeurer dans la maison des Morts, gravir les marches, pousser la porte, le grincement a retentit dans le silence de l'aurore, entrer, s'enfoncer dans les ténèbres, disparaître.

Les Héros InconnusWhere stories live. Discover now