XVII.

40 8 0
                                    

Le lendemain, alors que nous sommes prêts pour repartir, que nos sacs sont repliés et que le guide se tient devant la porte, un éclair s'abat sur la plaine endormie. Les lueurs de l'aube sont alors cachées par d'énormes nuages sombres venus de l'est, le tonnerre gronde, impérial, et ses grognements réveillent le gîte, le font tanguer, il vibre et s'agite, la maison de pierre prend vie et s'ébranle, si bien que je crois un instant qu'elle va nous engloutir, nous dévorer, et que nos visages frappés d'effroi resteront à jamais gravés dans ses murs.

Pourtant, elle se calme soudain, et la poussière qui est tombée du plafond se soulève à chacune de nos respirations. Alors, un rayon de lumière parvient à percer les nuages. C'est un soleil froid, timide et jaune qui passe par une brèche dans la vitre, et il se dessine, cru et limpide, sur le sol blanc. Le guide me fait signe de ne pas bouger, puis il lève sa main, elle reste un instant suspendue dans le vide, elle est ridée, les veines brillent sous la lumière, puis il l'abaisse tout à coup, la poussière s'élève, elle prend forme dans l'obscurité, elle flotte devant nous, puis elle passe dans le rayon de soleil, et alors c'est comme si toutes les étoiles du ciel étaient descendues sur terre, en cet unique instant, et qu'elles flottaient en face de nous durant l'éternité d'une seconde.

Le tonnerre gronde plus fort dehors, il est jaloux sans doute, et le rayon de lumière disparait. Dans les ténèbres de cette nuit qui revient, la poussière retombe, elle a perdu tout son éclat, pourtant elle traîne encore un peu, elle flâne et redescend lentement, comme si elle tentait dans un dernier sursaut de conserver encore un peu la magie de l'instant, mais lorsqu'elle se dépose par terre et qu'il ne reste plus aucune de ses particules infimes dans l'air qui nous entoure, la beauté a disparu.

Nous attendons encore. L'orage est violent, les éclairs sont nombreux. Ils déchirent le ciel et le fissurent, ils surgissent de partout, inattendus et précipités, mais à peine on les voit que déjà ils sont repartis, et ils frappent trois mètres plus loin, avec la même force et la même ardeur. Leurs grandes ramifications d'argent laissent des tâches sur ma rétine, et quand je ferme les yeux, remplaçant les ténèbres par une obscurité plus noire encore, leurs racines s'étendent sur mes paupières, mais elles aussi, comme l'éclat de la poussière, finissent par disparaitre.

Le guide reste dans un coin, silencieux. Vers midi, nous mangeons, puis nous attendons encore. Un peu plus tard, après que le soleil ait réussi à traverser quelques fois les nuages mais que l'orage ait toujours repris le dessus, le soleil plonge derrière les nuages, et la nuit devient d'encre.

La pluie dégouline du ciel pendant quelques heures, et nous déplaçons les lits vers un endroit sec. Je ne peux plus regarder le trou noir ni apercevoir les étoiles que j'aimais regarder durant nos nuits en montagnes, alors je ferme les yeux, l'empreinte d'un éclair effleure une dernière fois ma rétine puis s'efface, je ne contemple plus que le noir de mes pensées, pourtant je n'ai plus peur, et je pense en m'endormant que le chaos de l'orage a apaisé la tempête de mon âme.

Les Héros InconnusWhere stories live. Discover now