Les Héros Inconnus

XXVIII.

Le vent soufflait plus fort. Au dessus de nous, dans l'infinité du ciel qui commençait se fondre dans l'obscurité, des nuages noirs s'amoncelaient et ne créaient plus qu'une vaste étendue grise, où les yeux se perdaient sans rien pour s'y raccrocher. La vieille femme a levé la tête, son regard s'est égaré pendant plusieurs minutes avant qu'il ne redescende brusquement vers moi, le vent faisait voler ses cheveux et ses vêtements, mais elle ne bougeait pas, droite, forte, ancrée dans sa chaise comme un arbre dans la terre, elle m'a regardé, le vent a voulu couvrir sa voix mais ses mots me sont parvenus dans un souffle, lorsqu'elle a dit :

- C'est le vent qui détient les secrets. Il a peur maintenant, peur qu'on les révèle et qu'on le détrône de sa place de sage. Mais il est un temps où les secrets doivent être dits et entendus, si la bouche rencontre l'oreille et que le cœur reçoit la vérité. Alors ne l'écoutons pas, n'écoutons pas la crainte, écoutons seulement notre courage, et crions au vent ce qu'il pensait interdit d'être dit.

Elle refuse de rentrer, de montrer qu'elle cède face à lui. Elle qui a vécu ici si longtemps, sans jamais sortir, sans jamais aller voir ailleurs ce que la vie pouvait offrir, sans jamais se décider à quitter les siens et sa falaise, elle qui a toujours vécu avec le vent, le haïssant souvent pour ses bourrasques et sa perpétuité, elle qui reste assise désormais, dehors, fière, elle est le rocher qui ne se décalera jamais, peut importe que vienne la pluie ou les éclairs.

Elle est forte et le restera. Ce sera à l'univers de reculer devant la fermeté de sa décision.

- Ecoute-moi, écoute-moi à travers le vent. Je sais que tu m'entends. Tes oreilles sont fraîches et pures. Le sifflement du vent caresse seulement tes tympans, au lieu d'y planter ses griffes. Alors entends-moi, jusqu'au bout, te raconter la jeunesse de ton père et l'apparition d'Antonio.

Le vent soufflait plus fort, et au dessus de nous, dans l'infinité du ciel, la vérité implosait.