XXXII.

60 4 0
                                    

Glacé. Le sang de Tom n'avait fait qu'un tour avant de se glacer, à l'entente des mots de son homme, qui avaient atteint ses tympans avec une violence sans nom. Il avait juste envie d'imploser, de frapper pour que sa colère contre ces gens-là passent, ou du moins qu'elle diminue. Il savait bien que ça ne passerait pas. Ils lui avaient volé et violé son homme, ça ne pouvait de toute évidence pas passer. Il savait aussi qu'on ne souhaite jamais la mort de quelqu'un. Pourtant, il souhaitait si fort la leur que c'en était déroutant. S'il avait pu, Tom serait aller les trouver, et leur aurait fait comprendre ce que cela coûte, de faire souffrir son homme. Seulement, il avait juré à Bill qu'il ne ferait rien d'autre que l'écouter. Il avait interdiction formelle de le prendre en pitié – et ce n'était d'ailleurs pas son but. Il commençait enfin à connaître l'origine de toutes les souffrances de son homme, et quelque part, il se sentait rassuré de voir qu'il se confiait, et ne gardait pas tout pour lui comme il le faisait auparavant.

Ils étaient toujours allongés dans le lit. Aucun des deux n'avait une simple idée de l'heure qu'il était, et là n'était d'ailleurs pas leur préoccupation principale. Bill s'était tu après ses aveux difficiles, et demeurait muet depuis, incapable de rebondir sur quoi que ce soit. Parler de sa vie à Auschwitz avait été pour lui comme une opération à coeur ouvert. Il se sentait mieux, mais aussi terriblement mal d'infliger ça à Tom, qui lui n'avait rien demandé à personne et était juste là pour écouter. Il s'en voulait de le faire souffrir avec sa propre douleur. L'aîné avait sa main dans les cheveux de son homme, et les caressait, de manière à apaiser les tourments du plus jeune. Tom lui-même se sentait crispé, mais faisait son possible pour paraître doux et tendre, malgré son envie grandissante de coller un poing dans le mur. Le cadet s'agita soudainement pour se retourner dos à son aimé – jusque là ils se trouvaient l'un en face de l'autre – ce qui eut le don de faire peur à Tom.

- Promets moi que tu iras voir un médecin pour cette jambe. Ce n'est vraiment pas normal que ce soit aussi moche." murmura Bill comme hors du temps, avant de succomber aux caresses de son homme, et de plonger dans un sommeil dont il avait réellement besoin.

Le soldat sourit dans l'obscurité de la chambre. Bill avait toujours été comme ça. S'il y avait bien quelque chose qu'il n'avait pas perdu, c'était ce don qu'il avait de toujours se préoccuper des autres et jamais de lui-même. Là encore, il ne pensait plus qu'au bonheur et à la santé de Tom, avant même de ne serait-ce que réfléchir à la sienne. Pourtant il se trouvait bien plus mal en point que lui. Le brun avait toujours apprécié cet altruisme profond de la part de son homme. Encore aujourd'hui, c'était une qualité qu'il mettait à profit lorsqu'il s'occupait de Solange, par exemple, ou qu'il prenait soin de la jambe blessée de son amant. Tom soupira. Bill était bien trop bon pour ce monde.

Il avait beau se tourner et se retourner dans tous les sens, l'aîné ne trouvait plus le sommeil. Son aimé se trouvait profondément endormi, et il ne pouvait que s'en réjouir : ça lui ferait du bien de dormir et se reposer. Des nuits comme ça, il n'en n'avait pas beaucoup, alors s'il pouvait en profiter, c'était vraiment une bonne chose. Tom s'extirpa des bras de son homme, en douceur, et se rendit à la fenêtre, malgré sa jambe qui le lançait. Il se faisait violence pour ne pas gémir tant les picotements qui l'assaillaient étaient douloureux. Ce serait effectivement bon pour lui d'aller consulter un médecin. Mais il était bien trop traumatisé, et avait bien trop peur des conséquences de cette visite pour y aller sereinement. Un nouveau soupir. Il détestait ses insomnies qui ne cessaient de le tourmenter, l'envahissant de questions en tout genre, principalement le genre de questions dont on ne connaît pas les réponses.

Tom ne cessait de penser aux aveux de Bill. Ils le déchiraient. Tom se sentait si désolé envers son homme, mais en même temps empli d'une colère dont il ignorait l'origine envers ces monstres, ces monstres qui lui avaient tout pris. Bill n'était plus rien, rien d'autre qu'une pauvre loque, un débris fatigué par la vie. Le brun était peiné, il ne voulait pas ça. Il ne voulait pas que son homme se sente triste. Il aurait aimé le voir heureux, heureux comme lorsqu'ils s'embrassaient. Dans ces moments-là, le plus vieux avait juste l'impression de faire renaître son vis-à-vis de ses cendres. Et il sentait, dans ces rares moments, que Bill était bien, qu'il ne se prenait pas la tête, qu'il ne pensait à rien d'autre qu'à eux, et que tout leur allait très bien. Tom retrouvait dans ces baisers leur relation d'antan, en décuplé. À vrai dire, le barbu avait tendance à préférer cette nouvelle relation où ils se prenaient plus le temps. Ils prenaient le temps de réapprendre à se connaître, à leur rythme, et cela leur allait bien. Il ne regrettait pas leur relation d'avant-guerre, bien trop déroutante et physique. Le tout, tout de suite leur était passé, ils avaient grandi, mûri, et avaient cessé de jouer avec la vie. À présent, c'était comme s'ils avaient vieilli, ou changé. Ils ne voulaient plus de cette vie de parisiens pressés en tout. Ils voulaient se poser, apprendre à vivre pleinement, mais correctement, sans prise de tête.

Je t'attendrai.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant