XXIV.

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Bill s'était rendormi. À vrai dire, il était si fatigué qu'une seule minute dans ce lit si confortable comparé aux panches de bois sur lesquelles il somnolait l'avait fait sombrer dans un sommeil étrangement reposant, mais pas désiré. Le brun se sentait l'âme d'un monstre, avait l'impression d'avoir blessé quelque chose en Tom, quelque chose d'irréparable. Il s'était endormi avec pour seule pensée le fait d'avoir frappé le jeune homme. Il était devenu un vulgaire et véritable animal, tant la solution finale nazie avait bien fonctionnée chez lui.

Tom s'était assis dans son vieux fauteuil en bois, près de la fenêtre. Il n'osait pas se recoucher, de peur de se faire violenter une seconde fois. Quelque chose avait changé en Bill, et il en était maintenant plus que certain. Jamais ils ne s'étaient frappés l'un l'autre. Jamais, ô grand jamais il n'avait osé lever sa main sur Bill. Ce dernier venait juste de faire disparaître tout ça. Tom se sentait fissuré, prêt à se briser d'un moment à l'autre. La plaie béante qui commençait tout juste à cicatriser grâce au retour de son homme suintait, et se rouvrait sous l'infection. Tom avait mal, car depuis qu'ils étaient à nouveau tous les deux, plus rien n'allait. Ils étaient devenus des inconnus, des étrangers l'un pour l'autre, alors que sept ans auparavant, chacun considérait l'autre comme la prunelle de ses yeux, la huitième merveille du monde. Comment tout cela avait-il pu évoluer de cette manière, et surtout si vite ? Le brun se posait des questions auxquelles il n'aurait évidemment pas les réponses, et s'emmêlait dans ses propres pensées. Où était donc passé son Bill à lui, le Bill doux et amoureux ? Il n'avait en face de lui qu'un Bill meurtri, brisé, et violent. Pour la première fois depuis qu'ils s'étaient rencontrés, avant la guerre, Tom se dit que cet homme pouvait être dangereux. Pour lui, pour Solange, pour tout son entourage. Bien sûr il l'aimait autant qu'un homme peut aimer, mais la vie à deux devenait difficile dans cette situation. Ils ne se parlaient que trop peu, chacun évitant les sujets délicats, pour éviter de mettre l'autre mal à l'aise. Il fallait se rendre à l'évidence, il existait bel et bien une importante cassure dans leur relation, et il ne suffirait pas de la combler de pierres et d'avancer pour l'oublier.

Le brun, porteur d'une petite pilosité, une légère barbe de deux ou trois jours, observait Bill, insomniaque. Ce dernier était allongé tout habillé, recouvert du drap couleur lin, recroquevillé sur lui-même, ayant adopté la posture d'un être effrayé, apeuré par la situation. Tom se faisait violence pour ne pas venir s'asseoir à ses côtés et lui caresser le visage. Il avait réellement peur des représailles. Ses yeux se promenèrent sur les courbes fines de son homme, dessinées au travers des draps. Il se souvint comme sa maigreur l'avait frappée, lorsqu'il l'avait revu à la gare, pour la première fois. Et il se doutait bien qu'il y avait eu pire. Il s'était surpris à l'observer en cachette, quand il était allé se laver. Il avait vu les bleus, les rougeurs, les cicatrices de petites blessures, tout ça réuni, et il s'était senti coupable d'avoir vu cela alors que Bill ne voulait peut-être pas qu'il les voie. Mais cela brûlait et consumait Tom de voir que son homme souffrait, sans pouvoir savoir pourquoi, et surtout, en ne pouvant pas l'aider. Il avait toujours été à l'écoute, proposant toujours son aide, ses services, sa bonne humeur, n'importe quoi pour peu que le brun aille mieux. Il se sentait impuissant à ne pas pouvoir faire avancer les choses. Il avait compris que Bill aurait besoin de temps, et cet aspect là de leur relation, il allait devoir l'accepter. Ils s'étaient toujours promis d'avancer l'un avec l'autre, et de s'attendre, quoiqu'il en coute.

C'était au tour de Tom d'attendre Bill, si possible avec une main tendue.

[...]

Le jeune brun s'éveilla, dérangé par la lumière que lui offrait le soleil. Il prit le temps de longuement s'étirer, ses muscles encore douloureux de ces années de souffrance. En silence, il observa le vide qui tournait dans la pièce comme un chien prêt à l'attaque. Il entendit soudainement un grincement venir de la cuisine. Lentement, craintif comme un lapin, Bill se redressa dans le lit, et remarqua que la place à ses côtés était vide, mais surtout froide. Les larmes lui montèrent de suite aux yeux, dépassé par la situation actuelle. Alors Tom était parti ? Il l'avait abandonné ? Bill n'était plus sûr de rien à cet instant. On l'avait laissé, une fois de plus, on l'avait laissé et on comptait le faire mourir ici. Il se leva, hystérique, bien décidé à casser tout ce qui se trouvait sur son passage, même avec sa force quasi inexistante. Il était en colère mais surtout terriblement triste. Il ne pensait pas que Tom aurait été capable d'une telle chose. Tel un chien enragé il ouvrit le placard, dans lequel il trouva un petit paquet de feuilles. Essouflé, il se maintint en équilibre pour ne pas tomber, alors qu'il relisait en tremblant ses propres lettres qu'il avait écrites. Foutaises. La seule envie qu'il avait, c'était de prendre son homme par la peau du cou, et de lui encastrer la tête dans sa minuscule boîte aux lettres, histoire de le faire souffrir. Bill respira un grand coup. Bien sûr que ce n'était pas possible. Il était bien trop faible pour ça. Néanmoins, il se tenait là le poing levé face à l'armoire, prêt à frapper sans retenue contre la porte, les larmes dévalant son beau faciès en lignes régulières. Et ça n'y manqua pas. Il écrasa toute la violence qu'il avait en lui contre cette porte, et s'écroula dessus, à bout de forces, trop fatigué pour faire quoi que ce soit de plus, trop triste pour continuer de frapper.

Je t'attendrai.Where stories live. Discover now