XXX.

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Cela faisait à présent des heures que Tom tournait en rond. Il faisait les cent pas dans le salon, s'autoinsultait, avant de monter dans leur chambre et de reproduire exactement le même manège. Des heures durant, il s'était traité de stupide imbécile, et de tout un tas d'autres noms d'oiseaux qui ne sont guères beaux à entendre. Le brun s'épuisait inutilement, mais continuait cependant à tourner dans la pièce, grimaçant à chaque fois que sa jambe blessée entrait en contact avec le sol et y prenait appui. S'il continuait comme ça, il faudrait certainement qu'il aille voir un médecin. Il tournait sans béquille depuis un temps bien trop long, et sa blessure refermée et à demi cicatrisée criait à l'aide. Si seulement il avait pu s'arrêter. Ces cercles qu'il reproduisait avec application n'était que le fruit d'un trop grand stress, d'une trop grande inquiétude, d'une trop puissante colère envers lui-même. Tom s'en voulait comme il ne s'en était jamais voulu. Bill avait eu peur, Bill l'avait frappé, il était parti, et tout ça à cause de lui.

Il avait l'affreux sentiment qu'il revenait aux origines, que son corps revenait lamentablement à la poussière, et que son esprit redevenait celui d'un animal affamé, en proie à n'importe quelle source de nourriture, prêt à se jeter dessus quoiqu'il en coûte. Pour la première fois depuis si longtemps, Tom se sentait mal. Affreusement mal. Plus encore que lorsqu'il était revenu ici sans y trouver Bill. Plus que lorsqu'il reniflait les odeurs de chair pourrie qui le prenaient à la gorge, dans cet immonde hôpital de fortune où il avait séjourné. Plus que lorsqu'il avait perdu ses parents. On pouvait difficilement se sentir plus mal que le brun. Tom en arrivait sans peine à haïr sa propre personne. Il avait de violentes envie de meurtre. Dans son esprit, tout était si écorché qu'il aurait pu tuer, frapper, se faire du mal, hurler, pleurer, mais il n'en avait pas la force physique. Ses pleurs l'avaient épuisé, et pourtant il persistait et marchait encore et encore, inlassablement. Il gravit une nouvelle fois les quelques marches qui le séparaient de sa chambre. Lorsqu'il y entra, il fut assailli d'un tourbillon de souvenirs, d'anecdotes, de choses qui s'étaient déroulées ici, de discussions qui avaient eu lieu.

Ce fut à ce moment que Tom dût s'asseoir un instant, pris de court par cet important flux de souvenirs tous plus violents les uns que les autres. Il soulagea sa jambe en s'asseyant sur le lit, la tête dans ses mains. Le jeune homme respirait mal. Il revoyait le corps nu et désirable de Bill se mouvoir contre le sien félinement, comme les premières fois où ils s'étaient aimés, là, dans cette chambre. Leur première dispute avait eu lieu ici aussi. Mais tout ça, c'était leur vie d'avant, celle – et Bill le lui avait bien fait comprendre – qu'il ne retrouverait plus jamais. S'il voulait vraiment Bill, il allait devoir renoncer à cette existence pleine d'insouciance et rythmée par les petits bonheurs amoureux et les plaisirs sexuels. Encore une fois, Tom avait tout râté. Il n'avait aucune sombre idée de l'heure qu'il était. La seule chose qu'il savait c'était que Bill était dehors, alors que cela faisait presque un an qu'il était rentré, et que depuis il n'était plus jamais ressorti. Mais surtout, Bill était dehors par sa faute. Le brun se rongeait les ongles d'inquiétude, et avait d'ores et déjà pour projet de se bouffer les doigts jusqu'à ce qu'il ne lui reste que les os.

Comme dans les mauvaises histoires, où dans ces mauvais films, la pluie commença soudainement à tomber. Le bruit des gouttes claquant contre la tole de la cour fit se lever le brun. Ça n'avait pas manqué, il recommença à faire les sans pas, malgré sa jambe qui hurlait et son cerveau qui lui ordonnait de s'arrêter. Il faisait nuit noire, Bill était dehors. Ces informations étaient les seules qu'il parvenait à percevoir.

Tom se voulait du mal. Il avait envie de se faire du mal, de se frapper, se détruire. Il culpabilisait tant d'avoir provoqué tout cela. Son aimé lui avait largué la vérité comme une bombe, vérité qu'il n'avait jamais vraiment réalisée correctement. Depuis, les mots tournaient eux aussi en rond dans sa tête, allant même jusqu'à le rendre fou. Bill revient des camps de la mort. Bill s'est battu avec la mort pendant trois ans. Bill avait eu la hargne de se battre là où lui serait sans doute déjà mort. Tom ne mesurait que maintenant la chance qu'il avait d'être revenu, et d'avoir son homme à ses côtés. Il fallait qu'il arrête, qu'il se ressaisisse. C'était déjà si dur pour eux en ce moment. Il avait l'impression que si un pensait A, l'autre pensait B. Ils peinaient à se reconstruire et à recommencer quelque chose de concret. Ils venaient de retomber en bas de l'échelle et Tom se sentait petit et misérable devant la souffrance de son homme. Quand il en mesurait le poids, il se rendait compte qu'effectivement, plus rien ne serait comme avant. Les numéros encrés sur son bras, ainsi que les nombreuses cicatrices et blessures qu'il avait vues en le déshabillant quelques heures auparavant le rappelaient bien à l'ordre.

Je t'attendrai.Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora