V.

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29 Avril 1940.

L'orage dévorait la tranchée, la terre s'amollissait et les hommes regardaient fixement leurs bottes, Tom en profitant pour vider les quelques larmes de ses yeux terreux. Il aurait aimé se rouler en boule comme un enfant et hurler qu'il voulait rentrer à la maison, fatigué de tout ce traquenard. Les soldats n'avaient pas dormis pour la plupart depuis plusieurs jours, les bombardements devenant de plus en plus fréquents ces dernières heures. Chacun se contentait de prier son dieu, alors que survint une accalmis, fruit d'espérances longues et appuyées. Le brun en profita pour sortir un papier de sa poche, plié et replié, jaunit et sale de poussière, ses mains pataudes et tremblantes se battant pour attraper un morceau ridicule de crayon à papier. Ils avaient permission de dormir, mais Tom n'y songeait même pas. De toute manière le cauchemar s'amplifiait chaque minute, comme une nuit interminable, des violences constantes. Le bruit des obus sifflaient sans cesse dans l'esprit du jeune homme alors que dormait auprès de lui un homme qui ne se réveillerait sans doute jamais à en juger par la pâleur de son visage et ses paupières grandes ouvertes.

Il se mit à rédiger, ignorant le bruit de la plus battante, recroquevillé dans cette stupide tranchée, ce tunnel qui le séparait du monde entier, et pourtant l'en protégeait par la même occasion. Stupide bouclier, rempart de terre, abris sans âme. Endroit maudit, tombeau de certains et refuges d'autres plus ou moins chanceux. Il commença à écrire lorsqu'une main calleuse sur son épaule le fit sursauter lui faisant reporter son attention sur l'homme à côté de lui.

- Salut l'jeunot...

Lâcha-t-il d'entre ses dents pourries, serrant entre elles sa gauloise allumée, n'ayant sûrement trouvé d'autre moyen de se réchauffer un peu le corps et le cœur. Le beau visage de Tom conservait ses formes captivantes et douces, malgré les éclats de terres et le sang séché qui encombraient ses joues creusées. Son teint était fade, blanchâtre comme ceux de tous les guerriers. Tous souffraient de la même maladie de vivre. L'homme devait avoir une cinquantaine d'année mais en faisait dix de plus, ses chicots noires de saleté et sa cicatrice imposante sur l'œil gauche. Il avait deux yeux, d'un bleu clair déstabilisant, presque translucide, et des cheveux gras et long jusqu'au bas des oreilles. Il rit en voyant le bout de papier que Tom s'évertuait aussitôt à ranger dans sa veste et sourit, faisant bouger la clope entre ses lèvre gercées en parlant.

- Lettre d'amour hein ? Une gonzesse t'attend à la maison ?

Voyant l'air perdu du plus jeune qui le regardait avec des yeux de poisson frit il reprit, d'un air taquin.

- Marié ? Déjà ? Rho nan à ton âge moi j'cueillais à droite à gauche... Enfin, c'est fini la gaudriole, puis c'est pas dans c'te foutue tranchée qu'on risque d'en trouver, d'la nana...

Sa voix était éraillée et forte. Tom se demandait comment cet homme pouvait trouver la force de plaisanter puis il reporta son attention sur ses vieilles bottes. Son casque lui blessait l'arrière du crâne et tout tournait autour de lui, alors qu'il rêver de se réveiller dans son lit, auprès de Bill, son corps nu sur le siens, et de le serrer durant des heures en lui murmurant des vers de Roméo et Juliette. Cette simple pensée le fit légèrement sourire, alors qu'il avait pourtant oublier comment faire.

- Bon alors l'amoureux ?

- Je... Y'a bien... Quelqu'un qui m'attends à la maison...

Le visage de l'édenté s'éclaira d'un seul coup, alors qu'il reprenait.

- Ah, j'le savais ! Et alors ? L'est jolie ? Tu viens d'où ?

- Paris.

- Y'a pleins d'jolie gonzesses à Paris !

Raconta-t-il, pensif, tout en terminant sa cigarette du bout des lèvres.

Je t'attendrai.Where stories live. Discover now