VIII.

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- Je...écoute je suis très amoureux de Tom. Nous avons une liaison depuis bientôt deux ans. Ça n'a rien de sale, ou de purement sexuel. Je suis juste...Juste amoureux. Amoureux de Tom. D'un homme.

La bouche de Rachel s'ouvrit en grand. Elle n'en croyait pas ses oreilles. Prise d'une panique certainement justifiée, en un sens, elle s'éloigna encore de deux pas, se retrouvant coincée, presque contre le mur. Bill, voyant qu'elle prenait peur et reculait, s'était levé, tentant de l'approcher.

- Rachel...Je..., tenta-t-il, en tendant une petite main fébrile vers le bras de la jeune femme.

- Non, Bill. Non. Reste où tu es. Ne me touche pas.

Ce cri résonnait dans les oreilles du jeune homme, alors qu'il restait immobile, le bras encore en avant, témoin du geste qu'il avait laissé en suspens. Rachel respirait fort. Elle avait peur. Jamais Bill n'aurait pensé qu'elle puisse réagir de cette façon. Bien sûr, il savait que c'était interdit, et qu'il risquait gros. Mais il avait pensé qu'elle accepterait, au moins un peu.

La jeune juive se sentait perdue, mais aussi trahie. Depuis le début, son ami lui cachait ce qui semblait pour lui être un détail, alors que pour elle, cela paraissait être tout le contraire. Cette nouvelle était quelque chose de gros, qui les impliquait tous les deux, à présent. Et si Bill risquait sa vie depuis deux ans, Rachel la risquait d'autant plus, maintenant que le nouveau gouvernement était en place, et que Paris était assiégée par les allemands. Elle savait la haine qu'avaient Hitler et ses hommes pour les juifs comme elle. Elle savait également qu'une personne homosexuelle avait très peu de chances de survivre dans la France annexée dans laquelle ils vivaient.

Elle prit le temps d'observer son ami, immobile, imperturbable, avec les larmes qui menaçaient de couler de ses joues. Bill paraissait fatigué par la vie, épuisé par toute la misère dans laquelle il baignait. Les cernes sur son visage étaient le résultat d'un trop brutal passage à l'heure de Berlin, à peine quelques heures après l'entrée des troupes allemandes dans Paris. Son corps, plus longiligne et fin encore que lorsqu'elle l'avait connu, faisait presque peur. On voyait la guerre dans ses jambes frêles et minces, et au travers de ses côtes qui ressortaient clairement de son ventre. Bill avait les crocs, mais plus rien à se mettre sous la dent. Ce qu'il gagnait en étant fleuriste lui suffisait à peine pour une miche de pain, et maintenant qu'ils étaient rationnés, il n'avait pas droit à plus que ça. Le plus flagrant restait sans doute ses yeux : débordants d'un amour qui en briserait plus d'un. Le jeune homme puait l'amour et la tristesse, l'attente d'un être dans le doute de la mort.

- Rachel...Parle-moi..., le brun suppliait, comprenant qu'il était entrain de perdre son seul et unique pilier.

La jeune fille soupira, et, contournant Bill, alla s'asseoir sur le lit, encore toute tremblante, fébrile. Que devait-elle répondre à ça ? Elle fixa à nouveau le jeune homme, cette fois avec un regard aussi vide que celui d'un mort.

- Je ne comprends pas Bill. J'veux dire, pourquoi ne me l'as tu pas dit plus tôt ?

- J'avais peur. Et j'ai toujours peur d'ailleurs. Tom m'avait fait promettre de ne jamais rien dire à personne, peu importe la situation dans laquelle je me retrouve...Et je...Je lui ai promis que...Qu'ils pourraient bien me battre jusqu'à la mort s'ils le veulent...Que je ne dirais jamais r...rien...

Le brun s'expliquait, secoué par des sanglots plus violents les uns que les autres, alors qu'il se rendait compte, au fur et à mesure, qu'il venait de trahir sa propre parole.

- Pourquoi tu m'en as parlé alors ? Si tu avais promis de ne rien dire ?

- C'est trop dur...Je ne peux plus...Si tu savais comme il me manque, Rachel, si seulement tu pouvais sentir, là, comme mon coeur me fait mal lorsqu'il bat...C'est trop dur d'attendre passivement comme ça, sans avoir de nouvelles, ou bien trop rarement...Je ne supporte plus de rester seul dans cette misère, je me tue moi-même, à attendre des lettres, des nouvelles qui ne viennent plus. Si ça se trouve, il est blessé, si ça se trouve il...Si seulement tu pouvais comprendre à quel point je l'aime, à quel point mon coeur tout entier se déchire, alors qu'on s'éloigne un peu plus de la dernière fois qu'on s'est vus....Dix mois...Presque un an que je ne l'ai plus vu...Je...Je ne sais même plus à quoi il ressemble réellement...Tout ce que j'ai dans la tête, ce sont de vulgaires souvenirs piétinés par la guerre, Rachel. Sans lui je suis si incomplet je...Rachel, je n'ai pas de vie sinon Tom...

Je t'attendrai.Όπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα